éditions écosociété, 238 pages, 19 euros
Résumé de la préface : « Seize mille milliards (16 000 000 000 000). Peu importe comment on l’écrit, voilà un chiffre bien trop grand pour que nous puissions lui donner un sens. C’est pourtant le montant de la dette fédérale des Etats-Unis. Le seul paiement des intérêts de la dette est d’environ 360 milliards de dollars par an, soit 15 % des recettes fiscales. Le déficit budgétaire en 2012 est de 1300 milliards de dollars. Les républicains et le président Obama se disputent pour augmenter le plafond de la dette, mais personne ne discute sérieusement de savoir si cette dette pourra être remboursée. Nos dirigeants ne sont-ils pas fous, si cette question vous a effleuré l’esprit, le livre de John Michael Greer vous intéressera.
John réactualise les analyses de l’économiste britannique Ernst Friedrich Schumacher. Sa division de l’économie en trois niveaux est particulièrement utile. L’économie primaire comprend tout ce qui est produit par la Nature (plus précisément sans l’intervention de l’humain), comme par exemple le pétrole, le miel et les minerais. L’économie secondaire contient toutes les activités d’extraction et de transformation réalisées par l’être humain à partir des produits de l’économie primaire. Elle correspond donc aux secteurs primaires, secondaires et en partie tertiaire de la nomenclature classique. Pour Schumacher, l’économie tertiaire correspond à la finance, c’est-à-dire toutes les opérations économiques qui ne concernent que l’argent. Le fait que les acteurs de cette économie tertiaire ignorent l’existence de l’économie primaire dans leurs raisonnements conduit des Etats à accumuler des montagnes de dette alors que les ressources en énergie hautement concentrée comme le pétrole, pourtant indispensables au remboursement des dettes, deviennent de plus en plus rares et difficiles d’accès.
L’utilisation abusive de l’abstraction est dangereuse pour les civilisations humaines. Plus vous vous éloignez des réalités concrètes, plus vous courrez le risque qu’elles ne soient plus là quand vous en avez besoin. Nous avons perdu le sens des limites par une trop grande vénération de l’abstraction. »
(Hervé Philippe)
Idée générale : « La loi du minimum de Leibig, l’une des pierres d’assise de l’écologie, stipule que le nutriment le moins abondant limite la croissance des êtres vivants, peu importe la disponibilité et l’abondance des autres. Ainsi, vous ne pourrez rien faire pousser si vous n’avez pas assez d’eau, même si le sol et tous les autres facteurs sont parfaits. L’incapacité à reconnaître la différence qui existe entre des biens secondaires, qui peuvent facilement être remplacés par d’autres sans coûts additionnels, et les biens primaires, pour lesquels c’est impossible, est l’une des causes importantes de nos difficultés économiques. Les économies industrielles ont utilisé à un rythme extravagant tout bien primaire pouvant être converti en bien secondaire. Songer à la terre arable, aux stocks de poissons, à la capacité d’absorption de la pollution par l’eau, aux réserves de carburants fossiles : chacun d’eux a été sur-utilisé et malmené sans considérer la dure réalité que l’humanité ne peut rien substituer à plusieurs d’entre eux s’ils disparaissaient.
Les trois siècles de croissance exponentielle qui ont permis de poser les bottes dans la poussière lunaire de la mer de la Tranquillité ont été rendus possible par la conjonction d’accidents historiques et de lois géologiques ayant permis à une poignée de pays de mettre la main sur un trésor fantastique de carburants fossiles enfouis sous terre, de les brûler à une vitesse indécente et d’inonder leurs économies de flots d’énergie concentrée pour presque rien… On ne peut que conjecturer sur la façon dont le monde fera face à une très importante réduction de la richesse, mais le résultat sera de toute façon désagréable. Quand le pouvoir de l’argent affronte le pouvoir de la violence, l’argent perd d’une bonne longueur. »
(John Michael Greer)
1/7) Des sciences économiques obsolètes
Il est devenu évident que les vertus supposées de la science économique n’incluaient pas la capacité de prédire les conséquences des politiques économiques. Voyez le gargantuesque boom immobilier qui a explosé si spectaculairement en 2008, entraînant dans sa chute une bonne part de l’économie mondiale. La grande majorité de ceux qui exprimaient leur opinion affirmaient que la hausse délirante du prix de l’immobilier était justifiée et que les innovations financières exotiques qui la nourrissaient protégeraient les prêteurs hypothécaires. JK.Galbraith faisait remarquer que, dans le monde financier, le mot « innovation » renvoie inévitablement à la redécouverte des mêmes mauvaises idées séduisantes qui mènent toujours au désastre économique quand elles sont mises en pratique. Le problème de la science économique peut se résumer à une forme d’aveuglement à l’égard de la possibilité d’un désastre.
Ce qui est davantage inquiétant est l’affirmation des économistes comme quoi les économies industrielles n’ont pas à se soucier de l’impact d’une croissance illimitée sur la biosphère et sur les ressources dont nos vies dépendent. S’ils s’avèrent qu’ils se trompent là-dessus comme ils se sont trompés à propos de la bulle immobilière, ils auront franchi le pas fatidique entre risquer des milliards de dollars et risquer des milliards de vie. Mais personne n’embauche ceux qui annoncent les conséquences inévitables de certaines politiques économiques, ceux qui encouragent les gens à satisfaire leurs fantasmes de richesse sont bien plus populaires. Quand un marché n’est pas contrôlé par des règles gouvernementales ou des tabous religieux, il le devient nécessairement par des groupes d’individus dont la position stratégique dans le marché leur permettent de maximiser les bénéfices qu’ils en retirent en éliminant leurs rivaux, en manipulant les prix, en corrompant les fonctionnaires, bref en se comportant comme les capitalistes l’ont toujours fait quand ils sont laissés à eux-mêmes.
Le passage d’une économie d’entreprises locales qui dépensaient leurs revenus localement à une économie de compagnies multinationales qui siphonnent l’argent des communautés du monde entier a joué un rôle considérable dans la débâcle économique qui a étouffé tant de petites villes et de régions rurales. Il vaut la peine de souligner que les sociétés pérennes tendent à être celles qui réussissent à mettre au point des façons d’éviter que trop de richesses s’accumulent inutilement dans les mains de ceux qui possèdent plus de pouvoir que les autres. C’est pourquoi les chasseurs-cueilleurs imposent des règles traditionnelles pour partager la viande d’un gros gibier et que les pays qui ont traversé intacts la Grande Dépression (de 1929) sont ceux qui ont imposé des limites raisonnables à la concentration de la richesse.
Au fur et à mesure que les limites de la planète resserreront leur emprise, d’abord en freinant la croissance, puis en déclenchant la décroissance, la contraction de l’économie réelle deviendra la norme. Le jour où les agences de recouvrement de la Nature en auront fini avec nous, elles pourraient avoir repris tout ce que nous avons acheté avec nos emprunts, c’est-à-dire presque tout ce que nous avons construit au cours des trois derniers siècles. Emprunter à nouveau pour créer de la richesse, c’est essayer d’éteindre un incendie en l’arrosant d’essence. On peut affirmer sans risque qu’à long terme la plupart des actifs sur papier en circulation perdront toute valeur, peu importe la devise dans laquelle ils sont libellés.
2/7) l’avenir (sombre) des Etats-Unis
Les Etats-Unis ont tenté de repousser l’ajustement à la baisse radical et inévitable de leur niveau de vie causé par l’épuisement des ressources naturelles qui étaient le fondement de leur économie. Afin d’empêcher cet ajustement, ils se sont efforcés d’accélérer la ponction des ressources naturelles, d’abandonner les infrastructures, les industries et l’arrière pays agricole tout en édifiant des systèmes financiers truqués de plus en plus baroques pour soutenir une économie en voie de désintégration. Au cours des 15 dernières années, le gouvernement s’est contenté de gonfler systématiquement les bulles spéculatives, et maintenant qu’il est acculé au pied du mur, il imprime de l’argent sans compter en le cachant sous l’euphémisme d’assouplissement quantitatif.
Les Etats-Unis ressemblent de plus en plus à un pays du tiers-monde. Ces pays importent la majeure partie de leurs biens manufacturés et exportent des ressources peu ou pas transformées, exactement comme les Etats-Unis. Les économies du tiers-monde manquent de capitaux propres et dépendent de prêts contractés à l’étranger, exactement comme les Etats-Unis. Les pays du tiers-monde sont très souvent dirigés par des oligarchies qui gèrent les affaires de l’Etat au profit de quelques privilégiés, et l’on peut certainement penser que c’est le cas ces temps-ci aux Etats-Unis. Les Etats-Unis pourraient plonger dans une situation semblable à celle des pays d’Europe centrale au début du XXe siècle : pauvreté, manque de nourriture, épidémies, guerres civiles et purges ethniques. Projetons-nous dans dix ans, alors que la moitié de la main d’œuvre n’aura pas d’emploi stable, que les banlieues en décrépitude se transformeront en bidonville et que des soulèvements populaires éclateront..
L’empire des Etats-Unis ne sera plus parce que l’empire est la méthamphétamine des Etats ; à court terme, les effets sont fantastiques, mais ils sont fatals à long terme. Au cours des derniers stades de l’Empire romain, l’économie tertiaire (financière) était devenue corrompue et cancéreuse. Dans la foulée de la chute de Rome, le prêt d’argent avec intérêt disparut durant des siècles. La chrétienté et l’Islam en firent un péché mortel. L’argent ne joua plus qu’un rôle très limité dans la majeure partie de l’ancien empire. Bien des gens pouvaient passer une année sans toucher une pièce de monnaie, le travail remplaça l’argent comme moyen d’échange. Aux yeux des historiens de l’économie, cela représente un immense retour en arrière, mais il y a de bonnes raisons de penser le contraire. En bannissant les abstractions économiques, on a créé un système résilient et stable où la tricherie était très difficile. Pour généraliser, quand des civilisations complexes s’effondrent, la conséquence est le remplacement par des systèmes radicalement simplifiés qui se débarrassent des notions abstraites comme la monnaie et les remplacent par l’économie secondaire concrète, la terre et le travail.
3/7) La fin des avantages sociaux
La foi dans le progrès social combinée à la culture de bénéficiaires empêche les personnages publics de soulever la dure réalité que les Etats industrialisés ne peuvent plus s’offrir la plupart des constructions sociales qu’ils ont adoptées. Nous devrons renoncer à l’idée que la plupart des gens devraient faire des études supérieures afin d’occuper le genre d’emploi gratifiant qui s’exerce assis à un bureau. Nous devrons apprendre à distinguer entre les pauvres méritants, ceux qui sont prêts à travailler si seulement ils en avaient l’occasion, et ceux qui essaient simplement de profiter du système. Nous devrons abandonner l’idée qu’il est sensé de dépenser 250 000 dollars pour prolonger de six mois la vie d’une personne âgée atteinte d’une maladie incurable. La plupart d’entre nous devront découvrir ce que signifie soigner des maladies graves à la maison parce que le recours à un médecin est hors de prix.
La coutume de la retraite a été le résultat de l’ère de l’abondance. Pendant une brève période, moins d’un siècle, les pays riches ont considéré qu’il était rationnel de payer les aînés pour qu’ils quittent le marché du travail afin de maintenir le chômage à un niveau acceptable politiquement. Tout cela découlait d’une économie industrielle qui débordait d’énergie à faible coût, qui facilitait le remplacement de la main d’ouvre par des machines et qui cherchait sans cesse de nouveaux marchés lucratifs, dans ce cas-ci l’industrie de la retraite. Avant cette période, un peu moins de la moitié de toute l’activité économique était le fait de l’économie de marché. La plupart des femmes et beaucoup d’homme trop vieux pour occuper un emploi régulier travaillaient dans l’économie domestique où les échanges familiaux l’emportaient sur les forces du marché. Tous ceux qui auraient eu droit à la retraite, selon nos standards actuels, y participaient. La fin de l’énergie abondante et bon marché signifie que de telles économies domestiques redeviendront nécessaires. On aura intérêt à garder les personnes âgées à la maison pour contribuer aux tâches et n’aura plus intérêt à les mettre à l’écart dans une oisiveté souvent confortable…. Si vous êtes comme moi à plus de trente ans de la retraite, oubliez le financement de la retraite, vous ne la prendrez probablement jamais. Si vous avez une grande famille avec laquelle vous vous entendez bien, vous gagnerez votre place en s’occupant des petits et du potager…
4/7) Le rôle central de l’énergie
Chaque fois qu’un économiste débat de l’avenir de l’approvisionnement énergétique mondial, on peut parier qu’il va prétendre que les limites géologiques à la production de pétrole sont sans importance parce que la main invisible du marché compensera inévitablement toute insuffisance qui pourrait surgir. Sans doute diront-ils que lorsque les gens meurent de faim, c’est simplement signe que leur demande de nourriture a baissé. Les dernières années tendent à montrer que le baril de pétrole à plus de 80 dollars signifie que les coûts primaires et secondaires de l’énergie ont tellement augmenté que le reste de l’économie se lézarde sous leur poids. L’âge de l’abondance est terminé. Mais aucun politicien d’importance ni aucun expert d’un média de masse n’a commencé à parler de l’impact de la fin de cette abondance.
Avec son livre de 1973, Small is beautiful, Ernst Friedrich Schumacher a été le Copernic de l’économie. Il insiste sur le rôle central de l’énergie parmi les biens primaires. En effet la quantité d’énergie disponible par personne fixe le plafond d’activité économique possible dans une société donnée. Les années 1970 avaient été marquées par des crises énergétiques répétées. Une politique énergétique sage aurait consisté à traiter les champs pétroliers comme des réserves vitales à n’utiliser qu’en cas de nécessité pendant que les nations industrialisées entreprendraient leur transition vers une économie alimentée par des ressources renouvelables. Malheureusement on a pompé à toute vitesse le pétrole de la mer du Nord et de l’Alaska. Le marché a été submergé de pétrole bon marché. Nous avons accéléré le déséquilibre désastreux entre un système fondé sur une croissance exponentielle et les limites physiques d’une planète finie. Les conséquences pour nos descendants seront encore plus sérieuses. La morale est simple ; l’économie ne peut tricher avec la réalité physique.
Après un voyage de 150 millions de kilomètres dans l’espace, la lumière solaire est devenue tellement dispersée qu’elle ne peut produire qu’une quantité modique de travail. L’énergie concentrée des carburants fossiles résulte de centaines de millions d’années de rayonnement solaire intercepté par les plantes. Mais elles accumulent moins de 1 % de l’énergie lumineuse qui frapper leurs feuilles. Une fraction infime a été enfouie sous forme de carbone fossile. Il a fallu une série extraordinairement complexe de processus, pendant plus de temps que l’esprit humain est capable d’imaginer. Nous avons gaspillé avec insouciance cette ressource rare en 300 ans seulement. Voilà pourquoi ceux qui s’attendent à ce que l’univers offre une nouvelle source d’énergie pour remplacer les énergies fossiles se leurrent.
La concentration de l’énergie importe beaucoup plus que la quantité. Cette différence résulte de la deuxième loi de la thermodynamique (l’entropie), qui stipule que l’énergie dans un système fermé évolue toujours des formes plus concentrées aux formes plus diffuses. Chaque fois que vous versez une tasse de café chaud, vous voyez l’entropie en action : le café se refroidira pendant que l’air ambiant se réchauffera très légèrement, jusqu’à ce que les deux atteignent la même température. La quantité de travail que vous obtiendrez d’une source d’énergie dépend non pas de la quantité d’énergie contenue dans celle-ci, mais de la différence de concentration énergétique entre la source et l’environnement. Des classes importantes de technologies dont dépend le monde industriel moderne comportent des inefficacités si grandes que les sources d’énergie diffuses ne pourront les faire fonctionner sans occasionner des pertes qui les rendront non économiques. La technologie appropriée dans un contexte de ressources limitées n’est pas la même que celle qui est viable dans un contexte d’abondance. Rien ne sera plus insensé que de construire d’énormes usines qui brûlent des carburants fossiles pour produire de l’électricité qui sera acheminée sur des milliers de kilomètre de lignes à haute tension afin que les consommateurs en fassent de l’énergie diffuse.
L’énergie échappe aux règles ordinaires des échanges économiques. Lorsque vous avez converti quelques millions de boisseaux de grain en nourriture pour les travailleurs qui construisent une pyramide, l’énergie s’est envolée et vous ne pourrez pas obtenir de grain en échange de la pyramide ; il ne reste qu’à attendre la prochaine récolte. Les populations des civilisations agraires comprenaient ce processus. La plupart des gens aujourd’hui non, pourtant notre situation n’est pas tellement différente de la leur. Nous sommes tous aussi dépendants de l’énergie que nous fournit la nature, sauf que cet apport comprend d’énormes quantités d’énergie solaire sous la forme de combustibles fossiles. Nous sommes 7 milliards sur une planète dont les réserves limitées en énergie concentrée s’épuisent rapidement alors que la survie de la plupart d’entre nous en dépend ; les gouvernements et les entreprises agissent de concert comme si la seule difficulté potentielle était de trouver assez d’argent. Il devrait sauter aux yeux qu’aucun somme d’argent ne peut venir à bout des lois naturelles qui ont déterminé une fois pour toute la quantité d’énergie fossile que contient notre planète.
Dans une ère où les ressources sont retreintes, tout projet qui en utilise entre en compétition avec tous les autres usages existants et potentiels, puisqu’il n’y en a pas assez pour tous. Le fait que quelque chose offre un avantage ne garantit pas sa viabilité économique. La décision d’éviscérer les bibliothèques sous prétexte qu’Internet prendrait la relève se révélera remarquablement stupide. Bien peu de gens connaissant la quantité exorbitante de ressources qui est nécessaire pour faire fonctionner l’économie de l’information. Ce n’est pas un hasard si Internet est entré en service lors du dernier sursaut de l’ère de l’énergie bon marché. Les gigawatts consommés par les fermes de serveurs ne sont pas la seule énergie cachée dans le fonctionnement d’Internet : réseau électrique transcontinental nourri par des centrales au charbon, terres rares utilisées dans les semi-conducteurs, formation des techniciens, etc. Les calculs économiques concernant Internet seront bien différents lorsque l’énergie redeviendra plus rare et plus coûteuse. Souvenons-nous que les entreprises se sont fort bien passées d’ordinateurs pendant des millénaires.
Une grande part du superflu devra disparaître au cours de la descente énergétique mondiale. Les bénéfices de l’eau chaude sur le confort la rapprochent de l’essentiel, ce qui n’est pas le cas pour alimenter des consoles de jeu. Les gouvernements ne se rendent pas compte que, dans un certain temps, ils auront le choix non plus entre des modes de production sophistiqués ou artisanaux, mais entre des méthodes artisanales ou rien du tout.
5/7) Pour une société durable
Jusqu’à l’avènement de l’ère industrielle, approximativement 90 % des citoyens travaillaient en agriculture et fournissaient la nourriture et les matières brutes nécessaires à leur subsistance ainsi qu’à celle des 10 % restants qui pouvaient se consacrer à d’autres fonctions. Vers 1900, au sommet de l’âge du charbon, la part de la main d’œuvre occupée à l’agriculture dans plusieurs nations du monde industriel était tombée à moins de 50 %. Vers 2000, grâce à la concentration énergétique du pétrole, seulement 5 % de la main d’œuvre travaillait en agriculture et 95 % jouaient de nouveaux rôles dans l’économie la plus complexe de l’histoire humaine. L’envolée vers l’abstraction (de l’argent) est allée si loin que cela interfère avec les réalités concrètes dont elles sont dérivées. La plus grande part de l’activité économique aujourd’hui se résume à échanger des représentations de représentations de représentations de richesse. Il vaut la peine de rappeler qu’un krach bousier n’entraîne pas la perte de récoltes ou de main d’œuvre. Son impact ne se fait sentir que sur les abstractions superposées aux richesses réelles des économies primaire et secondaire. Cet impact n’en est pas moins dévastateur. Plus vous vous éloignez des réalités concrètes, plus vous courez le risque qu’elles ne soient pas là quand vous en aurez besoin. Les bulles financières virent à la panique ; la valeur imaginaire collective rattachée à des bulbes de tulipes, à des actions, à des maisons en banlieue se dissout dans une fuite effrénée qui ne sera pas toujours pacifique.
Le meilleur endroit où commencer à agir est dans la vie quotidienne d’une personne. En commençant par les choix personnels et les possibilités locales, on augmente de beaucoup la probabilité que ce qui émergera ait de réels effets. Il tombe sous le sens qu’il faut commencer à produire une partie de vos aliments, à diminuer radicalement votre dépendance à des systèmes technologiques complexes, à réduire autant que possible votre consommation d’énergie, à transférer au moins un des membres de votre famille de l’économie de marché à l’économie domestique et ainsi de suite. Quand vous réduisez vos besoins matériels au strict nécessaire, vous pouvez consacrer à des choses plus utiles l’énergie que vous ne dépensez pas à maintenir un haut niveau de vie. Plus vos besoins sont frugaux, moins vous serez exposés aux aléas de l’argent. Quand une proportion substantielle de biens et services est produite dans la sphère domestique sans échange d’argent, les tribulations de l’économie de marché ont une influence limitée sur la vie de tous les jours. Cette limitation disparaît lorsque les biens et services qui étaient auparavant produits à la maison doivent être achetés avec de l’argent sur le marché. Or la richesse sur papier surgit de nulle part pendant la croissance économique et y retourne pendant la récession.
Les mots-clés qui doivent définir l’innovation technologique aujourd’hui sont local, résilient, durable et peu coûteux. Les personnes et les groupes qui veulent développer la résilience locale devraient placer au cœur de leur projet des technologies simples, telles que le chauffe-eau solaire ou les éoliennes domestiques. Avant l’arrivée du pétrole en Europe et aux Etats-Unis, on produisait dans sa cour arrière. Des serres froides et des poulaillers aidant à garnir les garde-manger urbains, et aucune fermière ne se serait privée d’un potager et d’une douzaine d’arbres fruitiers tout autour de la maison.
6/7) La primauté de la Nature
Les défenseurs du « socialisme vert » auraient intérêt à relire Marx, qui rejetait explicitement l’idée que les « cadeaux de la nature » puissent avoir une quelconque valeur. La plus profonde et la plus dangereuse de nos superstitions est de croire que la Nature peut être ignorée en toute impunité. L’abondance délirante qui a rendu possible les pentes de ski intérieures de Dubaï et les fraises fraîches en plein hiver en Angleterre incitait en toute logique à faire comme si les contraintes naturelles pourraient toujours être contournées. Que les riches de ce monde puissent consacrer leur fortune à des soins de santé pour quand même vieillir et mourir est un rappel à cette réalité que l’argent ne peut abolir les lois de la Nature.
La nature met la table et détermine la taille de la production humaine. Le travail annuel de la nation (le PIB) serait parfaitement infaisable sans les biens et services offerts gratuitement par la Nature. Quand on a la conscience des limites, il semble évident que la dépendance de la civilisation industrialisée envers une exploitation croissante des ressources non renouvelables et finies enfonce cette société dans des difficultés considérables. Les seules options viables seraient de rejeter le fantasme de la croissance perpétuelle et de viser une descente contrôlée vers un niveau de consommation de ressources qui pourrait être soutenu à long terme. Il se trouve que le doute sur l’existence de limites écologiques est bien plus répandu ces temps-ci que la conviction qu’elles existent. Etrange inversion puisque les preuves qui démontrent l’emprise des limites écologiques sur les affaires humaines sont écrasantes.
Quand la civilisation maya dépassa la capacité de l’environnement fragile des plaines qu’elle occupait, l’élite réagit aux crises en construisant des temples de plus en plus grands, ce qui avait réussi dans le passé mais qui échoua à ce moment-là car les choses étaient différentes. Le problème n’était plus de gérer les tensions sociales, mais plutôt la crise causée par la séparation de la société maya du monde naturel dont elle dépendait. Les mayas érigeaient d’immenses pyramides en pierre ; les nôtres, encore plus démesurées, sont faites d’argent (les Grands travaux inutiles). Avec l’avènement du pic pétrolier, le défi auquel devront faire face les sociétés industrialisées est de gérer non pas l’abondance, mais la fin de l’abondance. Toute activité économique dépendante de l’argent sera bientôt plongée dans des incertitudes, des instabilités et des risques sévères. La majorité de la dette perdra de sa valeur après des défauts de paiement, et/ou disparaîtra par suite d’une hyper-inflation. Les pensions, les épargnes et les polices d’assurance seront pratiquement perdues.
Quand les gens prendront l’habitude de voir les arbres, les abeilles et les cycles minéraux comme des secteurs de l’économie dont ils dépendent, l’habitude de traiter la Nature comme quantité négligeable cédera la place à une façon de penser plus rationnelle. L’une des leçons essentielles enseignées par notre crise écologique est que les systèmes naturels n’aiment pas être « restructurés » pour convenir aux humains.
7/7) conclusion
Il est difficile d’imaginer les passagers d’un paquebot en train de couler qui regarderaient par-dessus la rambarde l’eau qui monte avant de retourner à leur partie de shuffleboard, mais ce type de comportement est loin d’être rare par les temps qui courent. Nous avons connu une telle abondance pendant si longtemps que la plupart d’entre nous semblent avoir oublié qu’il existe des limites que ni un emprunt, ni une pirouette ne peuvent faire disparaître.
Quand votre bateau a déjà frappé l’iceberg et que l’eau s’engouffre dans la cale, il est inutile de s’obstiner à atteindre la destination prévue à l’horaire. Quand votre bateau a déjà frappé l’iceberg et que l’eau s’engouffre dans la cale, il est un peu tard pour proposer de refaire la coque selon un tout nouveau principe de construction navale. Notre refus collectif d’emboîter le pas à ceux qui nous enjoignent d’apprendre à nous contenter de peu ne nous dispensera pas de le faire en fin de compte. C’est l’inconvénient du mur ; vous serez forcé d’arrêter ou de le percuter.
Avec la déconfiture de l’âge industriel, presque toutes les idées plausibles destinées à résoudre les problèmes de la complexité avec davantage de complexité seront subventionnées et essayées, comme c’est déjà le cas dans le domaine de l’énergie. Il y aura un boom de l’isolation et du calfeutrage, un boom de chauffe-eau solaire… Quand l’ensemble de la société a dépassé le seuil de rendement négatif, l’effondrement peut se révéler une réaction adéquate à la spirale de crises successives qui ne peut être rompue autrement.
Avec la désindustrialisation, les muscles humains redeviendront abondants. Cela implique que le salaire réel pour la plupart des gens dans le monde industrialisé continuera de se rapprocher de ceux du tiers-monde. J’aimerais pourvoir dire autre chose, d’autant que je risque de dégringoler moi aussi.
Toute activité économique qui produit des biens et des services pouvant être utilisés directement par leurs producteurs, leurs familles ou leurs communautés sera beaucoup moins affectée par l’instabilité économique.