éditions Denoël, 306 pages, 17 euros
L’espérance de vie en bonne santé commence à régresser dans bon nombre de pays, les conditions de mortalité dans l’avenir ne seront pas identiques. Autrefois l’agriculture était largement exempte des intrants de synthèse (pesticides), l’alimentation n’était pas encore passée sous la coupe des géants de l’agroalimentaires, etc. Les femmes enceintes et les jeunes sont exposés aujourd’hui à une quantité toujours plus grande de substances qui interfèrent avec le système hormonal ; l’obésité infantile aura aussi des effets sur l’espérance de vie. Les inconvénients du système technique commencent à prendre le pas sur les bénéfices qu’ils nous ont apporté. Les maladies de civilisation, favorisées ou provoquées par la technique, pèsent désormais plus lourd que les maladies naturelles.
Stéphane Foucart est honnête et compétent. Il en dit bien plus dans ce livre que ce qu’il peut dire dans LE MONDE, dont il est journaliste scientifique. Voici quelques extraits de son livre accompagnées de quelques notes:
1/6) Les fabricants de cigarette et la science
Lire notre article sur un compte-rendu de Stéphane Foucart dans LE MONDE. Il va à l’essentiel : Le tabac tue et rend esclave
2/6) L’amiante et l’opération Heidelberg
L’appel d’Heidelberg est rendu public le 1er juin 1992 à la veille de l’ouverture du Sommet de la Terre, à Rio. Il s’agit, ni plus ni moins, d’enrôler des scientifiques pour attaquer – sans le dire explicitement – la science de l’environnement. Il faut donc s’interroger sur les initiateurs de cet appel. L’homme qui rédige la première mouture de l’appel d’Heidelberg s’appelle Michel Salomon. Docteur en médecine, directeur entre autres de la communication d’une firme pharmaceutique, il organise un séminaire à Heidelberg. Il faut chercher les commanditaires. C’est l’ICSE, International Center for a Scientific Ecology, créé à l’origine pour soutenir le lobby de l’amiante, puis celui des fournisseurs de cigarette.
On trouve dans l’intitulé même de cette organisation cette référence, également présente dans l’appel d’Heidelberg, à une « écologie scientifique ». Se réclamer de quelque chose pour le tuer, inverser le sens des mots pour changer la perception du réel, c’est digne du livre 1984 de George Orwell.
3/6) Les think tanks et le dérèglement climatique
Qui considère que le changement climatique d’origine anthropique est une réalité ? Toutes les grandes sociétés savantes compétentes. Ce consensus de la communauté scientifique se cristallise dans les rapports du GIEC qui rassemblent des milliers d’études publiées sur le sujet. En dépit de cela, le discours climato-sceptique fait florès. Comment une telle dissonance cognitive, cet hiatus entre ce que nous croyons et ce que nous savons, s’est-elle construite ? Les entreprises incommodées par la question climatique ont eu massivement recours à une galaxie de think tanks qui ont propagé dans la sphère publique un discours pseudo-scientifique. Pour insinuer le doute.
Lire à ce propos Les marchands de doute de Naomi Oreskes et Erik Conway
Lire aussi Le populisme climatique, Claude Allègre et Cie (enquête sur les ennemis de la science) de Stéphane Foucart
4/6) Les abeilles et les insecticides
Le fait qu’il faille démontrer la nocivité d’un produit toxique produit obligatoirement des idées fausses. Pourtant il ne devrait pas être si incroyable qu’une substance conçue pour s’attaquer au système nerveux central des insectes leur cause effectivement des dommages au niveau du système nerveux central.
Lire notre article synthétique sur la question : écologie du risque et course contre le temps
5/6) Une bombe à retardement : les perturbateurs endocriniens
L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a publié en mars 2013 son rapport sur les perturbateurs endocriniens – ces substances chimiques interférant avec le système hormonal. L’article de Stéphane Foucart dans le Monde-papier reste ambigu : « Les perturbateurs endocriniens sont suspectés de jouer un rôle important dans l'augmentation d'incidence d'une variété de troubles et de pathologies. »* Le même Stéphane Foucart est au contraire affirmatif dans ce livre : « La science sait avec certitude (depuis 1991) que les composés organochlorés, du fait de leur persistance, sont capables de dérégler le système endocrinien des animaux… Les effets se manifestent surtout sur la génération suivante, et non sur les parents exposés… Les humains sont également affectés par ces composés. (in chapitre Une bombe à retardement). »
Stéphane montre d’ailleurs clairement dans ce livre que l’EFSA est un organisme complètement soumis au lobby industriel. « Mise en regard de l’énormité des enjeux, la composition du groupe d’experts de l’EFSA ne peut raisonnablement susciter qu’une seule chose : une profonde inquiétude. Sur les 18 experts choisis par l’EFSA, 8 ont des liens contractuels ou scientifiques avec l’industrie et notamment l’ILSI, Nestlé, Unilever… Ce n’est pas tout : 11 des 18 experts n’ont aucune publication à leur actif sur la question des perturbateurs endocriniens. La présence d’un toxicologue, Joseph Schlatter, défend clairement l’intérêt des industriels ; il a bénéficié des subsides des cigarettiers entre 1972 et 1985. Il assurait en 1986 qu’il est « douteux que la preuve exacte soit jamais apportée que le tabagisme passif soit une cause de cancer du poumon ».
Stéphane Foucart nous éclaire sur la schizophrénie médiatique à la fin de son livre : « Le système médiatique peut-il cesser d’être le simple relais de l’ignorance construite à dessein par les industriels ? Le plus important des rouages journalistiques à fabriquer de l’ignorance n’est pas le mal-journalisme mais bien plutôt la volonté de neutralité. Il faut confronter les opinions. Le problème est que cette confrontation détruit de la connaissance plus qu’elle n’en crée. »
* LE MONDE du 21 mars 2013, Perturbateurs hormonaux : l'EFSA ne tranche pas
6/6) La recherche sur les OGM : tous les moyens sont bons
Internet est souvent vu comme un formidable outil d’émancipation, c’est aussi un instrument très adapté à la pire forme de propagande, la propagande virale. Le biologiste Ignacio Chapela en a fait les frais immédiatement après la publication de son article, dans Nature, faisant état de contaminations des variétés mexicaines de maïs par les transgènes de Monsanto. Le jour même de la publication, un courriel indigné a été envoyé à 3 000 scientifiques : « Ignacio Chapela est membre du bureau de l’ONG Pesticide Action Network, ce n’est pas exactement ce que vous pourriez appeler un scientifique impartial. » Ce message aboutit à un mouvement de plusieurs centaines de biologistes qui, fermement convaincu que l’article d’Ignacio Chapela était biaisé, ont lancé des textes de protestation. Il est très probable que nombre d’entre eux ne l’avaient pas lu. Le courriel « indigné » provenait d’une société, Bivings, société de communication virale qui comptait Monsanto au nombre de ses clients.
L’une des raisons pour lesquelles il est impérieux, pour les agrochimistes, de discréditer les chercheurs hostiles aux biotechnologies végétales n’est pas seulement commercial. Il faut conserver vivace l’idée que la science est le progrès technique. Ceux qui mettent en garde contre les limites de la technique sont donc nécessairement animés par l’irrationalité et l’émotion. Il s’agit d’exercer un contrôle sur les mots et les idées. Les industriels parviennent ainsi à fabriquer des idées trompeuses, en recourant à des arguments puisés dans la science même. Cette production d’ignorance vise deux objectifs. Le premier est de peser sur les instances d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux, afin de leur faire minimiser les risques induits par telle ou telle technologie. Est-ce vraiment un hasard qu’en France, aucun épidémiologiste n’ait travaillé sur les effets de l’amiante jusqu’en 1993, alors que sa nocivité à faible dose était déjà bien établie dans les années 1960 ? Le second objectif est de coloniser nos conversations. Il vise les médias de masse et les nouvelles communications en ligne. Les pollinisateurs déclinent partout dans le monde à un rythme accéléré, C’est multifactoriel. Le changement climatique menace de s’aggraver ? Nous sommes loin des températures qui régnaient en l’an mil.
La science est un processus collectif qui repose sur la prudence, le doute. L’industrie capitalise sur ces caractéristiques : le doute peut être maintenu ad aeternam. En s’enfermant dans de faux débats scientifiques, il devient facile de ne prendre qu’avec beaucoup de retard la moindre décision. Bon nombre de catastrophes sanitaires ou environnementales ont été ou sont rendues possibles par cette instrumentalisation de la science. Il y a, comme cause sous-jacente au défaut de régulation du système technique, la mise en cause des connaissances scientifiques par les industries.
La science permet l’élaboration de la technique, la technique offre de nouveaux outils à la science. Mais il faut rappeler une évidence. La science n’est pas la technique, le projet scientifique est de comprendre le monde. Le projet technique est d’en tirer parti.