Il s’agit d’un livre qui devrait être connu de tous les lycéens de sciences économiques et sociales, et même de tous les citoyens. Cela nécessite sans doute la connaissance d’un vocabulaire complexe, endo- et exosomatique, thermodynamique, entropie, bio-économie, durabilité forte/faible (substitution ou non entre facteurs de production), etc. Mais le résultat sera probant, une remise en cause fondamentale de l’économie standard, celle qui est enseignée dans les écoles et qui oublie que les activités économiques sont complètement dépendantes des ressources naturelles. Pour Nicholas Georgescu-Roegen, « la physique thermodynamique nous enseigne que la sphère économique n’est qu’un sous-système du système-Terre ». Pour un élève de SES, cela implique que le circuit économique qui se contente de tourner en boucle revenu, consommation et monnaie est incomplet. Il dépend de la biosphère dans laquelle d’ailleurs il rejette sa pollution. Les questions de l’énergie, de la démographie et des générations futures sont aussi traitées sans tabou.
L’intérêt de ce livre est encore plus grand que la formulation d’un nouveau paradigme pour l’économie politique. Il propose des moyens d’action pour éviter l’effondrement probable d’une croissance qui a nié ses limites naturelles. Comme nous désirons nous raser plus vite dans le seul but d’avoir plus de temps pour dessiner une machine qui rase encore plus vite, Georgescu-Roegen nous invite à la sobriété. En ce sens, il est devenu la référence des mouvements de la décroissance.
Nous conseillons de commencer la lecture de ce livre par la fin, le texte synthétique écrit directement en français par Georgescu-Roegen en 1978 pour ensuite renforcer sa compréhension de la bio-économie grâce aux commentaires d’Antoine Missemer.
1/3) De la science économique à la bioéconomie
Voici quelques extraits du texte de 1978 directement publié en français par Georgescu-Roegen:
Organes endosomatiqeus et exosomatiques
Le problème des relations de l’homme avec l’environnement ne peut être réduit à celui de savoir ce que devra être le prix de l’essence demain. Ce problème n’est pas économique, au sens étroit du terme. Sa nature est bioéconomique, car il concerne le mode de vie particulier de l’humanité en tant qu’espèce biologique. Le terme « bioéconomique » a déjà été employé en 1925 par le biologiste Baranoff. Mais Baranoff entendait par ce terme une analyse économique de certains phénomènes biologiques et non la conception du processus économique comme une extension de l’évolution biologique. Comme toutes les autres espèces terrestres, l’espèce humaine est confinée dans un espace limitée et à l’intérieur duquel elle est soumise aux contraintes imposées par les lois physico-chimiques. Toutes les espèces se sont adaptées à la vie grâce à des organes endosomatiques. Le caractère unique de l’espèce humaine réside dans le fait que l’humanité a transcendé la lente amélioration endosomatique par la production d’organes exosomatiques : massues, couteaux, bateaux, canons, cerveaux électroniques, etc. Le progrès technique – dans la mesure où on peut sans réserve l’appeler progrès – est un autre nom de cette évolution qui a permis à une partie de l’humanité de jouir du confort fantastique offert par l’existence exosomatique.
Mais curieusement, nous n’avons pas réalisé que ce changement n’a pas été une bénédiction pure et simple pour l’humanité. Cette évolution exosomatique a assujetti l’humanité à plusieurs vicissitudes. La première découle de notre attachement pathologique au confort. Que l’on songe aux apocalyptiques convulsions de manque qui s’ensuivraient si l’usage des organes détachables nous était soudain complètement interdit ! Or, pour produire des organes exosomatiques, l’homme doit employer les ressources en énergie et en minerais qui se trouvent dans les entrailles de la terre. C’est pour cela que l’homme est devenu un véritable agent géologique qui fouille et disloque maintenant le sous-sol. La deuxième vicissitude tient à la division de l’humanité en espèces exosomatiques différentes. L’Homo Indicus est un individu entièrement différent de l’Homo Americanus. Il voyage principalement à pied et fait sa cuisine dans un hibachi primitif. L’Homo Americanus voyage en automobile, si ce n’est en avion, fait sa cuisine dans un four à démarrage, arrêt et nettoyage automatiques. La séparation est plus profonde que celle qui sépare des espèces biologiques d’un même genre - disons le tigre et le lion. Cette inégalité exosomatique doit disparaître. Cela ne signifie pas que les Esquimaux, emploieront les même outils que les Indiens, ni qu’ils auront les mêmes mœurs que les Français.
La troisième vicissitude réside dans le conflit interne à une communauté. La production d’instruments exosomatiques a entraîné une division entre gouvernants et gouvernés. Qui descendra au fond de la mine et qui en dirigera les opérations, qui utilisera le plus de charbon extrait, quels membres doivent bénéficier de l’usage des instruments exosomatiques ? Rien dans le « soma » d’un nouveau-né humain ne détermine son futur rôle dans la division sociale du travail. Le conflit social fera donc malheureusement partie du lot de l’humanité aussi longtemps que notre mode de vie dépendra de la production à grande échelle d’instruments exosomatiques. Toute opération dans un environnement limité subit une pression croissante avec l’échelle. Des automobiles, des réfrigérateurs, des avions à réaction toujours plus grand et meilleurs (bigger and better comme dit le slogan américain) accélèrent l’épuisement des ressources et ipso facto accroissent la pollution.
(note de la rédaction : endosomatique et exosomatique est une distinction opérée par les travaux du physicien Alfred Lotka)
de l’économie standard à l’entropie
L’économie standard, à savoir la science économique telle qu’on l’a pratique depuis environ cent ans, se définit comme l’étude de la gestion des ressources rares. Par « ressources » l’économie standard comprend seulement le travail, le capital et la terre ricardienne (c’est-à-dire la terre comme dimension spatiale). Le processus économique est considéré comme un mécanisme circulaire auto-entretenu, une sorte de manège de foire entre « production » et « consommation ». C’est une philosophie mécaniste qui permet d’introduire l’instrument mathématique qui a fini par transformer cette science en un parc où tout amateur d’exercices mathématiques oisifs peut s’amuser à son gré. Le rôle joué par les ressources naturelles dans le processus économique est complètement ignoré.
La science de la thermodynamique aurait dû mettre fin à ce mythe d’une corne d’abondance perpétuelle. Les processus vitaux modifient continuellement l’environnement et subissent en retour les effets de cette modification. En bouleversant l’environnement bien plus que toute autre espèce, l’homme a subi un ricochet d’autant plus ébranlant. La matière-énergie disponible d’un système isolé est continuellement et irréversiblement dégradé en l’état non-disponible. L’entropie est un indice relatif de la quantité d’énergie non disponible. Si un rayon solaire frappe un rocher, son énergie se dégrade instantanément en chaleur dissipée, non disponible. Mais s’il touche une plante verte, une partie de l’énergie sera retenue comme énergie chimique, disponible. Au contraire des plantes vertes, toutes les autres formes de vie –consommateurs, prédateurs et décomposeurs – accélèrent la dégradation entropique.
L’épuisement des ressources ne peut pas être inversé et une bonne partie des déchets reste toujours déchets. Cette proposition contient la racine de la rareté vue dans une perspective écologique globale.
La quatrième loi des phénomènes entropiques
Il faut tenir compte de l’énergie et de la matière en même temps. Il n’y a pas de matériaux qui ne se dissipent pas par la friction, il n’y a pas de membranes qui ne s’obstruent avec le temps, il n’y a pas de solides indéformables, aucun piston ne peut rester identique à lui-même. Pendant que l’énergie se dissipe irrévocablement, la matière se dissipe aussi, de sorte qu’elle devient non disponible. Tout automobiliste sait qu’il dissipe non seulement l’ énergie de l’essence, mais aussi la matière des pneus et celle de l’automobile entière. Les molécules de cuivre dispersées aux quatre vents par l’usage d’une pièce de monnaie sont aussi perdues à jamais pour nous. L’extraction d’un minerai dissipera de la matière de l’équipement utilisé. Cet équipement devra être remplacé, ce qui exigera des matériaux nouveaux extraits de l’environnement. Il s’ensuit que la fin d’un système isolé n’est pas la mort de la chaleur – ainsi que nous l’apprend la thermodynamique – mais le chaos complet.
Les fantaisistes mis à part, aucun auteur que je sache n’a soutenu sans réserves que le recyclage global et complet soit possible. La différence entre recyclage et extraction est de degré seulement : le recyclage veut dire extraction d’un mélange avec une très haute teneur de l’élément en question. L’opération de recyclage n’est pas sans coût, en énergie, matière et travail. De plus, pour chaque substance et pour chaque mélange, il y a une limite de la teneur au-dessous de laquelle l’extraction de la substance n’est plus possible. Le fait que la matière ne peut pas être recyclée complètement, conduit une nouvelle loi qui s’ajoute aux autres lois de la thermodynamique ayant trait à l’énergie seulement. On peut l’appeler la quatrième loi des phénomènes entropiques.
L’épuisement d’un seul des éléments chimiques peut bouleverser la technologie à tout moment. Plusieurs éléments – qu’on appelle « éléments vitamines* » - s’approchent à grands pas de cette fin. Il est très possible que, en fin de compte, la matière s’avère un élément plus critique que l’énergie pour la technologie moderne. Le salut écologique ne peut pas venir de l’état stationnaire. La loi écologique est beaucoup plus dure. Comme il en résulte des lois de l’entropie de l’énergie et de la matière, tout ce que nous faisons se solde par un déficit en termes entropiques. L’épuisement des ressources, de toutes les sortes de ressources, est irrémédiable. Il y a seulement une lutte acharnée avec une nature avare. Puisque l’énergie et la matière disponible ne peuvent être utilisées qu’une seule fois, le fer par exemple, que nous employons pour produire des Maserati et des Rolls Royce, signifie moins de charrues pour certaines générations dans le lointain futur. La tendance définitive est à la décroissance ; seulement la décroissance dans une aire restreinte est si lente qu’il est difficile de la mesurer dans un laps de temps convenable.
*Note de la rédaction : « élément vitamine », autrement dit « facteur limitant » au sens de la loi de Liebig. Le fonctionnement d’un organisme est limité par le facteur dont la quantité est la moins favorable. Si le phosphore manque, la production agricole chutera.
La question démographique
Divers auteurs ont suggéré que la terre pourrait nourrir même une population de cent milliards. Mais ils ne se sont pas demandés : « pour combien de temps ? ». Ceux qui nient l’effet de la surpopulation devraient penser au fait suivant, presque incroyable : si la population des Etats-Unis était aussi dense qu’au Bangladesh, elle se monterait à cinq milliards d’habitants – un milliard de plus que la population actuelle du globe (ndlr : phrase écrite en 1978). Tout auteur qui n’a pas de parti pris doit convenir aussi que la grandeur de la population influe substantiellement sur le gaspillage.
La grandeur de la population est sujette à deux contraintes dans le temps : la surface cultivée et la quantité d’entropie basse terrestre utilisée par tête d’habitant. Au-delà d’une certaine taille de population globale, le coût en entropie basse terrestre pour maintenir une personne en vie croît avec la taille. On a dû introduire l’agriculture mécanisée pour pouvoir nourrir tant bien que mal une population qui semble croître sans fin. Le prix de cette façon de « forcer » le sol à produire plus est un surplus énorme de dégradation d’énergie et de matières terrestres. Parce que l’espèce humaine représente la merveille intellectuelle de l’existence terrestre et que normalement chacun devrait aimer son voisin contemporain, mais aussi son « voisin » futur (c’est-à-dire l’espèce elle-même), un critère bioéconomique qui me semble tout à fait rationnel est celui-là : la population du globe doit arriver à un niveau où elle puisse être nourrie d’une manière adéquate par une agriculture organique (ndlr : biologique) seulement. Cet objectif d’optimalité s’imposera, très probablement, sous la pression de la pénurie croissante des ressources fossiles.
Un certain nivellement du standard de vie de l’humanité est tout aussi impératif que la réduction de la pression démographique.
Un programme bioéconomique
Le premier commandement bioéconomique est de tâcher de remplacer l’énergie terrestre par l’énergie solaire toutes les fois que cela est possible. La quantité de radiation solaire qui tombe en moyenne sur la terre est une constante cosmologique : aucune génération ne peut donc priver les générations futures de leur revenu en énergie solaire.
Note de la rédaction : nous trouvons un programme bioéconomique plus complet dans son livre de 1971, « The entropy law and the economic process », thématique reprise en France sous le titre « La décroissance (entropie - écologie - économie) » en 1979. Voici ce passage :
Il convient d’expliquer au public cette double difficulté : un épuisement plus lent des ressources signifie moins de confort exosomatique, et un plus grand contrôle de la pollution requiert proportionnellement une plus grande consommation de ressources. Bien sot celui qui proposerait de renoncer totalement au confort industriel de l’évolution exosomatique, mais il faut un programme bio-économique minimal :
- interdire totalement non seulement la guerre elle-même, mais la production de toutes les armes de guerre.
- aider les nations sous-développées à parvenir à une existence digne d’être vécue
- diminuer progressivement la population humaine
- réglementer strictement tout gaspillage d’énergie
- vous guérir de votre soif morbide de gadgets extravagants.
- mépriser la mode qui vous incite à jeter ce qui peut encore servir
- rendre les marchandises durables, donc réparables
- ne plus se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore.
2/3) Les précisions d’Antoine Missemer
Encore proche des milieux académiques les plus influents à la fin des années 1960, Nicholas Georgescu-Roegen se trouve de plus en plus isolé à partir de ses premiers travaux bioéconomiques axés sur les enjeux environnementaux (1970, 1971).
Pour une transformation de l’économie standard
L’idée générale de Georgescu-Roegen est la suivante. La science économique se doit d’adopter des bases scientifiques plus pertinentes que la mécanique newtonienne : la physique thermodynamique montre qu’un processus implique toujours des changements qualitatifs la plupart du temps irréversibles. La science économique mécaniste (standard) ne s’intéresse qu’au système économique lui-même, ignorant du même coup les contraintes extérieures, alors que la bioéconomie repose sur une démarche plus intégrée, et donc plus sensible aux interdépendances systémiques.
L’économie standard s’appuie sur un lexique arithmomorphique : des concepts qui renvoient à des notions précises et quantifiables, la consommation, le PIB, etc. Mais le but ultime de l’activité économique concerne l’utilité de la consommation des biens, la joie de vivre, notions parfaitement subjectives qui relèvent du lexique dialectique, polymorphe. L’ambition de Georgescu-Roegen était de voir un basculement de paradigme, une métamorphose complète des manières de concevoir la science économique. L’idée n’était pas de former une nouvelle école de pensée, mais de convaincre ses collèges conventionnels qu’un changement de perspective était nécessaire. Mais la révolution bioéconomique ne s’est pas produite du temps de Georgescu-Roegen.
Depuis, un vaste courant, l’économie écologique (ecological economics) s’est positionné comme l’hériter de la révolution bioéconomique voulue par Georgescu-Roegen. On insiste sur le problème de l’entropie, sur la faiblesse de l’hypothèse de rationalité, sur l’impossibilité de substitution totale des facteurs de production capital et travail aux ressources naturelles. Une démarche transdisciplinaire, inspirée de la démarche bioéconomique, semble indispensable.
Le système-Terre est un système autonome dans lequel prend place l’activité humaine. Comme Georgescu-Roegen invitait à le faire, les économistes écologiques attachent de l’importance à la co-évolution entre ces deux systèmes interdépendants que forment les milieux naturels et la sphère économique. Mais en adoptant une lecture des enjeux environnementaux relativement ouverte à la problématique du développement durable, les économistes écologiques ont perdu le soutien explicite de Georgescu-Roegen.
Les changements nécessaires
Georgescu-Roegen met en évidence le lien étroit qui existe entre crise économique et crise de société. L’entropie, comme loi immuable de la nature, ne promet pas seulement à l’humanité des difficultés économiques, elle est aussi susceptible de créer des tensions sociales dépassant les seuls processus matériels.
Le changement fondamental sous-tendu par la logique bioéconomique est un changement d’éthique : « Au commencement, l’homme s’est efforcé d’observer le commandement : « Tu ne tueras point. » ; plus tard, « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Voici le commandement de cette ère-ci : « Tu aimeras ton espèce comme toi-même ». Le principe du « tout, tout de suite », hérité de la révolution industrielle et de la recherche incessante des gains de productivité, doit être remplacé par un principe associant justice et tempérance. La sobriété et la prise en compte des générations futures sont deux changements éthiques majeurs. Cela nécessitera de renoncer en partie au confort exosomatique, et il n’est pas certain que ce sacrifice soit accepté par tous.
Une analyse qui est passée dans les mœurs
Les mesures que propose Georgescu-Roegen sont aujourd’hui les fondements de la transition écologique : sobriété, durabilité des biens, agriculture biologique, énergies renouvelables, sensibilisation au destin des générations futures.
3/3) bonus
Les illusions du marxisme
Karl Marx a mis en évidence l’existence de classes sociales. Mais la socialisation des moyens de production, loi fondamentale des marxistes, ne peut pas mettre fin au conflit social. Là où il y a actuellement des directeurs et des présidents, on trouvera des commissaires et des secrétaires, une nouvelle classe avec leurs privilèges.
Karl Marx a aussi défendu avec une insistance sans bornes l’idée que la nature ne joue aucun rôle dans le processus économique puisqu’elle nous offre ses trésors gratuitement.
Quelques citations
La quantité moyenne de matière nécessaire pour l’utilisation de l’énergie solaire ou de l’énergie nucléaire est beaucoup plus grande que celle nécessitée pat les combustibles fossiles. Dans le cas de l’énergie solaire, il faut concentrer une intensité extrêmement faible ; dans le cas de l’énergie nucléaire, il faut au contraire empêcher une intensité mortelle de se répandre.
La demande actuelle comprend un énorme gaspillage. Par exemple les automobiles qui atteignent deux cents kilomètres à l’heure avant que l’allume-cigare ne devienne chaud.
Voici une liste de gaspillages : sur-chauffage, sur-conditionnement d’air, sur-éclairage, sur-accélération et nombre d’autres « sur ». On ne doit pas oublier la mode, cette maladie de l’esprit humain qui nous oblige à jeter des objets encore parfaitement utilisables.
Dans toute situation où les ressources deviennent de plus en plus rares, une sage politique consiste à agir en premier lieu sur la demande. Car même les croyants dans le pouvoir infaillible de l’homme de toujours s’en sortir devraient reconnaître que cette recommandation signifie plus de temps, donc plus de chances pour découvrir un nouveau moyen effectif « pour nous en sortir ».
Le progrès technique est également responsable du fait que la plupart des objets ne peuvent pas être réparés. C’est comme si on devait jeter une paire de souliers seulement parce qu’un lacet est cassé.
Nous souffrons de ce que j’ai appelé « le circumdrome de la machine à raser ». Nous désirons nous raser vite dans le seul but d’avoir plus de temps pour dessiner une machine qui rase encore plus vite.
L’économie politique considère l’administration des ressources rares seulement pendant l’horizon économique d’une génération. Le problème bioéconomique concerne l’affectation des ressources dans l’intérêt de toutes les générations. On ne doit sous-estimer les besoins d’aucune génération future.
C’est précisément parce que dans le passé nous avons toujours essayé de maximiser la satisfaction courante que nos regrets sont aujourd’hui tellement amers. Une grande partie des ressources pétrolières a été épuisée pour des satisfactions extravagantes sinon absurdes. Le principe qui doit nous conduire est celui de minimiser les regrets futurs et non de maximiser l’espérance mathématique de l’utilité.
Aujourd’hui nous forgeons des socs de charrue qui appartiennent à des générations futures en « épées » présentes, capables d’anéantir toute vie sur cette planète. C’est là le plus grand crime écologique.
Des taxes sur les délits bioéconomiques favorisent ceux qui peuvent les payer. Par ailleurs une pollution irrémédiable n’a pas de coût pour savoir ce qu’on doit payer.
Il semble improbable que les gens renoncent facilement à leurs vices engendrés par l’existence exosomatique, ni pour le bénéfice des générations futures, ni pour celui de leurs semblables contemporains.
Il n’est pas exclu que l’humanité entre dans un Âge substantiellement différent de l’Âge des combustibles fossiles. Il amènera un grand degré de désurbanisation.
Une tâche dont la nécessité est imposée par l’histoire sera accomplie, que ce soit avec nous ou contre nous. Je suis convaincu que cela sera le cas aussi pour le programme bioéconomique.
Il serait absurde de penser que le processus économique existe seulement pour transformer des ressources naturelles en déchets. Le véritable produit ce processus n’est pas un flux matériel, mais un flux immatériel qui est la jouissance de la vie. Une telle sensation doit exister même dans les organismes très inférieurs.
ENS éditions, 136 pages, 13 euros - http://catalogue-editions.ens-lyon.fr/