éditions Sang de la Terre, 178 pages
Malthus était un écologiste avant la lettre. A la fin du XIXe siècle il mettait en évidence une constante historique : la population humaine avait tendance à augmenter plus vite que les ressources pour la nourrir. La littérature récente a pourtant choisi de ne parler presque exclusivement que d’agriculture : « Nourrir l’humanité », « Entre faim de terres et appétit d’espace », « La fin des terres, comment mangerons-nous demain », « Et si l’agriculture sauvait l’Afrique ? », « Vers l’autonomie alimentaire », etc. Certains pensent même qu’il nous faut oublier Malthus tellement son analyse est dénigrée.
Dans le contexte de la littérature francophone, il est donc courageux d’aborder l’autre tenant de la relation population/alimentation, à savoir la maîtrise de notre croissance naturelle et migratoire. C’est ce qu’ont fait treize personnes dans ce livre collectif « Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie) ». Leur constat est simple : une population moins nombreuse faciliterait l’organisation sociale, le partage de l’espace, et donc l’émergence possible de relations apaisées entre humains et avec la nature. Ils ont aussi considéré que nous n’avons pas le choix, la crise à la fois socio-économique et écologique nous impose de réguler l’augmentation de la population. Il leur semble intenable que l’espèce humaine augmente de un milliard de personnes tous les douze ans environ sur une petite planète dont nous avons déjà dépassé les limites.
Voici une première approche de ce livre, en espérant que cela vous donnera envie de le lire.
1/2) présentation synthétique du livre
La plupart des décroissants tirent à boulets rouges sur les néo-malthusiens. S’ils admettent parfois qu’une régulation de la population est nécessaire, ils ne considèrent pas ce problème comme prioritaire, mais tout à fait accessoire. Parce que leur foi en l’homme leur fait croire que les nantis vont accepter une « transition sereine et démocratique » faisant que le souhait de Gandhi se réalise prochainement : « Vivre simplement pour que d’autres, simplement, puissent vivre. » Ce qui est un leurre. C’est méconnaître la nature humaine, c’est-à-dire l’histoire des dix derniers millénaires de l’humanité. En fait la « décroissance » est un tout cohérent dont la démographie fait partie. C’est ce que montre Annaba dans un premier chapitre, « les décroissants ne peuvent qu’être malthusiens ».
En écologie, la question démographique fait l’objet d’un véritable tabou. Alors que de nombreux facteurs de pression anthropiques sont étudiés, montrés du doigt et parfois combattus, la problématique du nombre des hommes est généralement passée sous silence, rejetée comme non politiquement correcte. Il s’agit de montrer dans une deuxième partie, avec Didier Barthès, qu’une autre vision, en réalité plus humaniste, est possible : « Un droit contre tous les autres. » Le droit à une reproduction « infinie » s’oppose à tous les autres droits des hommes. Il s’oppose à celui de disposer durablement d’un monde écologiquement viable. Il s’oppose à la mise à disposition d’un confort minimal impliquant une consommation mesurée de ressources. Ce droit s’oppose aussi à lui-même, puisque plus nous laissons grandir notre nombre, plus demain nous devrons prendre de gré ou de force des mesures pour le restreindre. Dit plus simplement, le droit au nombre s’oppose à une société agréable et durable.
Nous sommes désormais plus de 7 milliards, mais savons-nous seulement de quelle superficie de terre habitable dispose chaque être humain pour produire tout ce qu’il consommera durant sa vie et absorber tous ses déchets ? Nul débat sur la population mondiale n’est pensable sans connaître la réponse à cette question. Introduction au concept de surpollupopulation : le problème n’est aucunement le mode de vie, mais la quantité d’individus qui pratiquent ce mode de vie. La preuve par Tikopia : un très mauvais exemple de « gestion durable ». Comme quoi la décroissance économique n’est qu’une pseudo-solution, alors que la dénatalité au contraire n’a rien d’une utopie. Deux clés majeures : le féminisme, et l’instauration d’une formation scolaire à la non-parentalité. Objectif : 300 millions d’humains en 2100. Ce sont les thèses radicales défendues avec humour par Théophile de Giraud dans « Save the planet, make no baby !»
Alain Gras est beaucoup plus technique : « La surchauffe de la croissance ». Il développe les enseignements de François Meyer, Lotka, Paul Chefurka, Joseph Tainter, etc. Leurs analyses prospectives font apparaître des risques majeurs de surpopulation relative, liée à la question énergétique, à la taille des villes, aux rendements agricoles, et autres variables. On peut craindre des effets de seuil et des risques d'effondrement car le processus évolutif n'est pas linéaire. Nous sommes peut-être assez proches, au niveau mondial, de la situation au XIVe siècle en Europe, au moment de la peste noire qui avait découlé de l’urbanisation. L'obsession folle du progrès conduit à une accélération de la prédation, qui est une surchauffe d'un autre type que celle de la démographie, mais qui, combinée avec elle, rend l'avenir invivable. Le problème est global et Alain Gras ne sait s'il y a une solution.
Alain Hervé s’interroge sur « l’inconvénient d’être humain ». Chaque être humain est l’équivalent d’une cellule du grand corps de l’humanité. Il semble que l’humanité souffre d’un cancer, d’une prolifération excessive des ses cellules. Alors l’humanité subit des opérations chirurgicales. Ce sont les guerres, les épidémies, les famines, les stérilisations massives autoritaires, les génocides, les fièvres puerpérales, les perturbations climatiques… Restent les traitements radiothérapiques et chimiques que les Etats et les Nations Unies peuvent concevoir sous diverses formes d’incitations brutales à la dénatalité, par exemple en Chine. La population mondiale se stabiliserait vers 9 milliards en 2050 : il n'est même pas certain que ce chiffre sera atteint.
Corinne Maier interroge la politique nataliste française : « la grande baby-llusion ». Aucune dépense n’est trop lourde pour permettre aux habitants de notre beau pays de se reproduire. La presse et les sondages prétendent que pouponner est la préoccupation majeure du-de la Français(e). Nous voici de plein pied dans la version moderne du nationalisme, « faites des enfants, cela va vous épanouir » : un slogan plus tendance que les fanfaronnades de Pétain, mais pas moins rance. L’enjeu est double : d’abord offrir toujours plus de petits consommateurs à un capitalisme qui a besoin de vendre davantage de cochonneries ; ensuite, cultiver avec des bébés made in France cette fleur fragile qu’est la francitude. Il est temps d’examiner avec un regard critique cette politique nataliste, en s’interrogeant sur son utilité collective.
Homo « Sapiens » (!) pense pouvoir maîtriser les lois de la nature (procréation in vitro, OGM, biologie synthétique etc.). Mais la nature sera toujours la plus forte. Il faut qu'elle puisse reprendre ses droits car l'homme a oublié qu'il en était lui-même issu. Y compris et surtout pour notre alimentation, car sans agronomie et sans paysan, pas de société humaine... C’est la thématique développée par Jacques Maret, « Population, alimentation, agronomie et famines ». Pour les démographes officiels, les économistes et politiques, la croissance d'une population déclencherait une dynamique économique. Dans un monde fermé les flux de nourriture et d'énergies nécessaires à la (sur)vie humaine posent des problèmes de logistique, les limites de la Planète s'imposent. La nécessité de décroître énoncée par Malthus (1766-1834) est donc incontournable.
Jean-Claude Noyé s’interroge sur « contraception et avortement, ce qu’en disent les religions ». L'occasion de réaffirmer que le fait religieux se décline au pluriel. Il convient de parler « des » christianismes ainsi que des diverses modalités de l'islam, du judaïsme, du bouddhisme, etc. Ces modalités et sensibilités contrastées orientent le regard des fidèles sur la population. Ainsi catholiques progressistes ou conservateurs ne reçoivent pas de la même façon les directives du magistère romain. A fortiori quand il s'agit de la fameuse encyclique de Paul VI sur la contraception, Humanae Vitae (juillet 1968),dont le contenu s'inscrit dans le droit fil d'un refus constant de l'Eglise catholique non seulement de l'avortement mais aussi de tout moyen de contraception non « naturel ». Ce texte consomma un peu plus la rupture entre le Vatican et le monde moderne. Alors même que le concile Vatican II avait porté, quelques années auparavant, l'espoir d'un rabibochage entre eux. Que va faire le pape François ?
« 9 milliards en 2050 ? Pas si sûr » C’est de la prévision moyenne de la population humaine en 2050 qu’est partie la réflexion de Pablo Servigne. Il montre que ce chiffre est issu d’un modèle démographique qui ne tient pas compte des ressources. Or, intégrer les limites physiques de la Terre donne des prévisions bien différentes. Selon d’autres modèles démographiques, bien plus réalistes, il est très probable que nous n'atteignions jamais 9 milliards d’être humains et que la population chute de manière incontrôlée aux alentours de 2030... si rien n’est fait en matière de politique démographique. Brandir un chiffre « optimiste », même s’il est de l’ONU, n’est pas une preuve scientifique que nous pouvons contourner les lois de la thermodynamique. C’est un vœu pieux, qui ne suffit plus à masquer la probabilité croissante d’un effondrement.
Michel Sourrouille aborde une question rarement évoquée, « la décroissance des migrations sur une planète close et saturée ». En effet cet aspect sent le souffre puisque l’arrêt des migrations est une thématique portée par l’extrême droite. Mais pas seulement.Sur une planète saturée d’humains, les frontières se ferment. Les lois contre les étrangers se durcissent un peu partout, dans les pays riches comme dans les pays pauvres. La décroissance démographique ne touchera pas seulement les migrants économiques, mais aussi le tourisme de masse. Le plus insoluble sera certainement le statut à donner aux éco-réfugiés, nombre fortement accru par les effets du réchauffement climatique. Cela posera demain un problème peut-être insoluble à l’idée de solidarité humaine. Or, si notre société est devenue une société de forte mobilité, il n’en a pas toujours été ainsi.
Michel Tarrier s’intéresse à une autre question, aussi largement délaissée : « Notre occupation indue des niches écologiques des autres espèces. » Nous serons entre 9 et 10 milliards dans moins d’un siècle, c’est une surcharge planétaire outrancière et délétère puisque nous sommes déjà entrés dans une crise écosystémique et d'extinction massive d'espèces (cette sixième est la nôtre !), avec 24 351 espèces végétales et animales disparues, 11 millions d’hectares de forêt anéanties à jamais et... un pic pétrolier avéré d'un débit de 28 milliards de barils pompés. À quel titre et au nom de quoi et de qui l'espèce humaine se permettrait-elle de proliférer sans limite au détriment de toutes les autres espèces animales et végétales de la Planète ?
Pour clore cet ouvrage collectif, Jean Christophe Vignal peut écrire : « Penser la dénatalité est un exercice difficile ». Difficile, car il heurte le discours de la cécité volontaire sur la croissance économique comme démographique, appuyé sur une écologie facile et optimiste mais irréaliste. Difficile aussi du fait de notre organisation sociale construite au fil du temps sur l'encouragement à 'toujours plus d'hommes', confondant ainsi croissance démographique et viridité ; il ne s’agit pas seulement de limiter les allocations familiales, mais d’interroger l’ensemble des prestations fournies par notre État-providence, jusqu'à questionner notre conception de la transmission et du droit de la famille. Difficile enfin, parce que cerner les conséquences concrètes induites par une décroissance démographique s’inscrivant dans une transition écologique assez forte pour être à la hauteur des enjeux, le tout dans le respect des droits de l’homme, agite tant d'éléments techniques, sociaux, politiques, que ce choix est aussi une aventure.
La dénatalité pourrait favoriser le bonheur sur Terre, c’est l’aventure qui est proposée dans ce livre…
2/2) la préface d’Yves Cochet
La question démographique se situe à l'intersection des questions culturelles et des questions naturelles, elle en rassemble les difficultés et les controverses. Les néomalthusiens réunis dans ce livre sont l'objet de critiques politiques en provenance de tous les bords. Dans la décroissance démographique que nous soutenons, la droite décèle une campagne en faveur d'avortements massifs, de promotion de l'homosexualité et d'abandon du patriotisme. La gauche nous soupçonne d'attaquer les droits humains, de fuir le problème du financement des retraites, voire de prêcher l'eugénisme ou le racisme. D'une façon générale, la question est taboue ou considérée comme mal posée : l'information, la croissance et la technologie résoudront les éventuels problèmes démographiques. Quant aux organisations écologistes, associatives ou politiques, elles résolvent la question en ne se la posant pas, alors que l'écologie des populations est une discipline importante de l'écologie scientifique.
Un exemple vécu illustre ce non-pensé et ce non-dit. Au cours du premier semestre 2013, j'ai participé aux réunions du Conseil national du Débat sur la Transition énergétique (CNDTE, environ 120 personnes) et à celles de son groupe de travail « Sobriété - Efficacité » (environ 40 personnes) représentant les « forces vives » de la France que sont les syndicats de salariés, les employeurs, les ONG environnementales, les associations sociales, les élus locaux, les parlementaires et l'État. Notre groupe de travail était chargé d'examiner tous les aspects d'une politique énergétique sobre et efficace, dans les domaines de l'habitat, de la mobilité, de l'industrie, de l'agriculture et de l'électricité spécifique. Nous devions étudier, analyser, débattre et, bien sûr, proposer des orientations, rédiger des mesures. Plus d'une centaine de ses mesures furent mises sur la table, en provenance de tous les acteurs présents. Toutes furent d'ordre technique, tels des amendements à un projet de loi. Lors d'une des premières réunions du groupe de travail, j'ai tenté, en vain, de placer notre réflexion collective dans un cadre qui prenne en compte les facteurs les plus directs de la consommation d'énergie. Plus précisément, j'ai évoqué l'équation I = PAT, que l'on peut interpréter ainsi dans le domaine de l'énergie : « I » est l'impact des activités humaines sur l'environnement, en l'occurrence la consommation totale d'énergie, « P » représente la population du territoire examiné (le monde, la France...), « A » est la variable « affluence », c'est-à-dire la consommation moyenne d'énergie par personne, et « T » représente l'intensité énergétique de la production de biens et de services pour l'affluence. Bien entendu, des améliorations technologiques de l'efficacité énergétique peuvent réduire l'intensité énergétique représentée par le facteur « T » dans la multiplication qui constitue le second membre de l'équation I = PxAxT. Mais pourquoi se restreindre à ce seul facteur dans une réflexion politique d'ensemble sur l'énergie ? Le Président Hollande lui-même n'affirmait-il pas : « La transition que je vous propose d'engager, n'est pas un programme, n'est pas non plus un choix politique partisan, c'est un projet de société, c'est un modèle de développement, c'est une conception du monde » (14 septembre 2012). A un tel niveau d'ambition, nous nous devions d'être intrépides, de ne pas nous cantonner à la technique (T). Certes, quelques mesures relevant de l'affluence (A) – c’est-à-dire du mode de vie, de la « richesse » – furent envisagées : l'abaissement des vitesses maximales autorisées sur route et en ville, ou bien l'établissement de la semaine de quatre jours de travail. Mais, considérées comme trop audacieuses, elles furent rejetées. Quant au facteur « P » comme population, il ne fut plus question d'en parler.
J'avais déjà rencontré cet interdit en 2008, lors d'un séminaire public organisé par la revue Entropia. Mon exposé portait sur l'empreinte écologique, et avait notamment rappelé les grandes différences entre les volets énergétiques de cette empreinte selon les régions du monde considérées : Le Qatari moyen dissipe 30 kW de puissance énergétique, l'Étasunien moyen 10 kW, l'Européen 5 kW, tandis que le Chinois moyen dissipe 2 kW, l'Indien 0,5 kW et le Sénégalais 0,3 kW. Les chiffres sont du même ordre de différence lorsqu'on examine les émissions de gaz à effet de serre ou la consommation des matières premières minérales. J'en déduisais que, d'un point de vue écologique, l'empreinte énergétique d'un nouveau-né européen est dix fois plus importante que celle d'un nouveau-né au Tamil Nadu, entre autres. Que la question de la surpopulation ne se réduisait donc pas au nombre des personnes mais à la multiplication de ce nombre par l'empreinte moyenne de la population du territoire en question. Que, par conséquent, il était rationnel de se poser aussi la question d'une baisse de la natalité en Europe que j'ai énoncée sous la forme spectaculaire de slogans tels que « la grève du troisième ventre européen » ou « l'inversion de l'échelle des allocations familiales ». Qu'avais-je dit là !
Les innombrables partisans du jeunisme, du croissancisme et du patriotisme, idéologies compagnes du natalisme comme horizon indépassable de la richesse des nations, m'ont immédiatement accablé des qualificatifs les plus pénalisants, jusqu'à celui de « nazi », comme prévu par la loi de Godwin. Cependant, j'avais simplement résumé la principale tendance historique depuis soixante ans : l'accès impérial des Occidentaux aux matières premières du monde et l'exubérance énergétique bon marché sont les deux paramètres qui permirent de propager presque partout la « révolution verte » agricole et l'amélioration sanitaire, engendrant ainsi une forte croissance démographique. Si l'on respecte le principe d'égalité entre tous les humains, règle d'or de la morale politique, et si l'on estime que le mode de vie occidental est le plus désirable – ce qui est contestable, mais qui le conteste ? - on en déduit que nos soeurs et frères chinois, indiens, africains et sud-américains devraient eux aussi vivre à l'occidentale en bénéficiant des joies du consumérisme de masse. Ce lieu commun de tous les discours sur le « développement » depuis cinquante ans est contredit par l'impossibilité matérielle d'une telle fantaisie. Prenons un exemple entre mille : en 2012, la France abritait environ 40 millions d'automobiles pour 65 millions d'habitants, soit une voiture pour 1,6 habitants, tandis que la Chine abritait environ 90 millions d'automobiles pour 1 343 millions d'habitants, soit une voiture pour 14,2 habitants. Si la Chine devait vivre comme la France, sous le seul rapport des automobiles, elle devrait abriter 840 millions de véhicules particuliers. Et l'Inde 760 millions ! Soit, pour ces deux seuls pays, une augmentation de 150% du nombre de voitures dans le monde, à environ 2,5 milliards d'unités pour un milliard aujourd'hui. Ni en 2030, ni en 2050 ces chiffres ne seront atteints : il n'y a pas assez de pétrole, d'acier, d'aluminium, de platine, de palladium, de rhodium et autres éléments sur Terre pour satisfaire cette demande à bon compte. Ajoutons l'Afrique et l'Amérique du Sud du côté des humains « en développement », et les écrans plats, les lave-linges et les ordinateurs du côté de l'affluence, pour renforcer notre conviction de l'impossible extension planétaire du mode de vie occidental.
Mais, à l'extérieur de l'Occident, les communications mondiales exhibent désormais cette opulence de l'Ouest aux yeux des multitudes. Les plus audacieux de ces laissés-pour-compte du « développement » n'hésitent pas à risquer leur vie dans des voyages sordides pour atteindre les territoires européens ou nord-américains. Aucun policier ou barbelé supplémentaire, aucun mur ou radar côtier ne parviendront à endiguer le flux croissant de jeunes méditerranéens, africains ou ouest-asiatiques qui parviendront en Europe, mimétiquement fascinés par les lumières du Nord. Les conséquences sont incertaines, entre le risque de régimes autoritaires et xénophobes en Europe et l'espoir unique d'un partage équitable des ressources avec les sous-continents dont ces jeunes sont issus. Sachant que, dans l'un et l'autre cas, lesdites ressources déclinant, c'est le mode de vie européen – la surconsommation – qui est en question. Autrement dit, si nous espérons encore vivre à l'avenir dans un continent civilisé et démocratique, ne subsiste que la possibilité précaire de diminuer le flux de migrants en Europe par une politique de décroissance matérielle ici, tout en encourageant l'évolution endogène des régions là-bas.
Si l'on s'en tient à l'idéal de la pensée politique progressiste courante, l'Europe vieillissante et en baisse démographique devra accueillir des millions de jeunes émigrés du Sud pour tenter de résoudre les problèmes d'une société de croissance : déséquilibre entre le nombre de retraités et le nombre d'actifs, mutation de la demande de biens et services traditionnels et des types d'emplois afférents dans le sens du « care », évolution des jeux de pouvoir nationaux au profit des nouveaux citoyens émigrés. C'est là une conception de l'augmentation démographique qui ne profite qu'au tenants de la croissance, du dynamisme des marchés et de la compétitivité à tout prix. La solution à un vieillissement de la population ne peut pas être l'augmentation de la proportion de jeunes, car ces derniers seraient vieux à leur tour un jour et réclameraient donc encore plus de jeunes : c'est la fuite en avant, la situation ne ferait que s'aggraver. Nous croyons, au contraire, que la peur occidentale du vieillissement de la population doit être affrontée aujourd'hui, et que, d'ailleurs, nous ne devons craindre une population âgée. Une société âgée possède des qualités économiques, sociales et écologiques comparables, voire meilleures, qu'une société plus jeune. Même à la retraite, les personnes âgées contribuent de façon appréciable à la prospérité de la société, par tout le travail bénévole qu'elles assument, auquel il faut ajouter les contributions intellectuelles de la sagesse de l'âge. Les grands-parents européens assurent les deux-tiers des services de garde informels des enfants. La grande majorité des personnes âgées sont auto-suffisantes, elles ne sont pas un fardeau financier pour leurs enfants. C'est plutôt elles qui, bien souvent, soutiennent les jeunes générations, notamment les chômeurs. Tout compte fait, les jeunes sont plus coûteux pour l'économie, en temps et en argent pour leur entretien et leur éducation, que les vieux pour leurs pensions. Plus de retraites à payer est compensé par moins d'investissements scolaires. De même, dans le secteur de l'habitat et des infrastructures en général, une population stagnante ou déclinante est évidemment moins coûteuse qu'une population croissante. A l'échelon individuel, une famille avec un ou deux enfants disperse moins son héritage qu'une famille avec trois ou quatre, ce qui favorise les enfants de la première famille.
« Quel type de monde voulons-nous ? » est la question finale souvent posée à l'issue d'un débat autour d'un grand problème. En tant qu'homme politique, je devrais être conduit à dresser un constat et à esquisser une solution. Le constat ? Tous les écologues qui ont travaillé la question des relations démographie/environnement parviennent plus ou moins à la même conclusion : si nous souhaitons que l'immense majorité de la population mondiale bénéficie d'un style de vie comparable à celui d'un Européen moyen de 2010, le nombre de cette population se situerait autour d'un milliard. A la condition supplémentaire que ce style de vie devienne rapidement beaucoup plus économe en consommation d'énergie et de matières premières, et beaucoup plus fondé sur les énergies renouvelables et le recyclage. La solution ? Qu'une extraordinaire mobilisation internationale soit décidée et mise en oeuvre dans un sommet onusien avec ce double objectif : réduire massivement la population mondiale par un programme d'information et de formation au planning familial (comme le fait avec succès le Brésil depuis dix ans) et réaliser une transition énergétique drastique par la sobriété, l'efficacité et les énergies renouvelables. Cependant, si l'on observe que le sommet climatique de Copenhague (décembre 2009) détruisit le mince espoir que représentait le Protocole de Kyoto, et que le sommet de la Terre, dit « Rio+20 » (juin 2012), n'a pas abordé la question démographique, on ne peut qu'être sceptique sur la plausibilité de cette « solution ».
Néanmoins, cette « solution » a été proposée par des ONG à la Conférence internationale de Leeds (UK) en juin 2010. Lucidement, ces ONG ont constaté que « la croissance démographique indéfinie étant physiquement impossible, elle doit s'arrêter à un moment donné : soit tôt par la réduction du nombre de naissances via la contraception et une politique démographique humaine ; soit plus tard par plus de morts par la famine, la maladie, la guerre et l'effondrement de l'environnement ; ou par une combinaison de ces deux perspectives ». Et elles proposent de :
« - Soutenir, financer ou assurer l'accès universel à l'information et aux services de planning familial dans le monde entier, comme convenu lors de la Conférence du Caire de 1994 et dans l'objectif 5 du Millénaire pour 2012,
- Soutenir, financer ou assurer l'éducation et l'autonomisation des femmes, en leur permettant de contrôler leur propre fécondité,
- Adopter des politiques non coercitives cherchant à stabiliser ou à réduire les populations à des niveaux soutenables, y compris la planification d'une population vieillissante,
- Prendre des mesures fermes, surtout dans les pays industrialisés, afin de promouvoir la réduction de l'épuisement des ressources par habitant et la dégradation de l'environnement ».
Vive cette démographie responsable !