sous-titré « essai d’écologie politique »
éditions La Découverte, 206 pages, 16 euros
Le titre veut montrer que la monté de l’écologisme ne va pas être un long fleuve tranquille. Entre racisme environnemental et guerres vertes, le 21ème siècle sera empli de bruits et de fureurs. Nous passerons de la catastrophe au cataclysme. Dans la littérature assurantielle, est dit catastrophique un événement dont les dommages s’élèvent à plus de 25 millions de dollars (1997). Au-delà il est cataclysmique. Voici quelques extraits de ce livre :
1/3) Racisme environnemental
Ce chapitre bat en brèche l’idée que l’humanité subit uniformément les conséquences de la crise écologique. Tout comme il existe des inégalités économiques ou culturelles, on en trouve dans le rapport des individus ou groupes d’individus aux ressources qu’offre la nature aussi bien qu’à l’exposition des effets néfastes de la croissance, pollution, dégradation de la qualité de l’eau, inégalités d’accès à l’énergie, etc.
Les catégories populaires et les minorités raciales ont une propension moindre à recourir à la loi pour empêcher l’enfouissement des déchets toxiques à proximité de leurs quartiers. Les possibilités d’évitement de sacrifices privés ne sont pas équitablement distribuées dans la population. Le Sierra Club, grande organisation environnementale, mena une enquête parmi ses membres pour déterminer s’ils souhaitaient que l’association développe des politiques spécifiquement destinées aux pauvres et aux minorités. Deux tiers de ses membres répondirent par la négative. L’écrasante majorité de ses membres étaient blancs, de classes moyennes et supérieures. La couleur de l’écologie n’est pas le vert, mais le blanc.
2/3) Financiariser la nature
En générant du capital fictif, la finance permet de reporter dans le temps, et donc d’atténuer provisoirement, les contradictions inhérentes à la production capitaliste comme l’a illustré avant 2008 le mécanisme des subprimes. On assiste à l’heure actuelle à une prolifération des produits financiers « branchés » sur la nature ou sur la biodiversité : marchés carbone, dérivés climatiques, obligations catastrophe… De la part du capitalisme, la nature est devenue l’objet d’une stratégie d’accumulation. A l’origine, l’exploitation de la nature ne coûte rien ou presque. Avec le temps, l’épuisement des ressources conduit à leur renchérissement, alors que la gestion des effets néfastes du développement coûte de plus en plus cher. Cette tendance pèse à la baisse sur le taux de profit. Que fait alors le capitalisme ? Il transfère ces coûts croissants à l’Etat : socialisation des pertes. Mais les rentrées fiscales n’augmentent pas au même rythme que les dépenses budgétaires, les finances publiques deviennent structurellement déficitaires. Il y a aussi financiarisation de la dette, l’Etat est conduit à emprunter de plus en plus sur les marchés financiers.
L’abstraction est un mécanisme crucial dans la formation de la valeur capitaliste. Les individus sont désormais dominés par des abstractions tandis qu’auparavant ils étaient dépendants les uns des autres. Autrefois une domination était explicite, aujourd’hui l’objet et son apparence deviennent en quelque sorte indiscernables et acquièrent une puissance causale propre. Pour que des marchandises soient échangées sur un marché, il faut transformer les valeurs d’usage, singulières et qualitatives, en valeurs d’échange, homogènes et quantitatives. L’histoire du capitalisme n’est autre qu’une succession de procédés visant à marchandiser toujours davantage de secteurs de la réalité. Afin de transcender la singularité des usages, il s’agit d’abord de façonner, reconstruire la marchandise pour qu’elle puisse être échangée. Il faut aussi désencastrer l’objet, c’est-à-dire l’isoler de son contexte matériel et humain qui lui donnait sa singularité. Enfin le passage de la valeur d’usage à la valeur d’échange suppose l’instauration d’une calculabilité généralisée. Ces trois opérations, construction, désencastrement et calculabilité, caractérisent les marchés des droits à polluer. Le marché carbone par exemple suppose la construction d’une entité, la tonne de carbone, qui sert d’unité de compte et d’échange. Celle-ci n’a rien de naturel même si les gaz à effet de serre le sont. Le désencastrement permet le financement par une entreprise polluante française de projets supposés écologiquement propres à l’autre bout de la planète (mécanisme de compensation). Le rôle de l’Etat est crucial puisque c’est lui qui met en place le dispositif comptable fixant les quotas carbone par entreprises. Il est l’interface entre le capitalisme et la nature.
Si le capitalisme a besoin de l’Etat, c’est surtout dans un but d’autolimitation. La nature livrée au capital sans interface serait rapidement détruite par lui. Or il y a crise fiscale de l’Etat, il n’a plus les moyens financiers de sa politique ; il s’agit là d’une donnée structurelle. La crise fiscale de l’Etat est étroitement liée à la crise environnementale. Du fait des limitations budgétaires, les Etats sont de moins en moins capables d’assumer le coût assurantiel des catastrophes climatiques par l’impôt. Ils le seront d’autant moins que le nombre et la puissance des catastrophes iront en augmentant du fait du réchauffement climatique. Il y a fusion de la crise écologique et de la crise financière. Les Etats sont aussi placés devant deux obligations contradictoires : d’une part, consolider leurs finances publiques pour réduire dette et déficits. De l’autre continuer à procurer à leurs populations des niveaux d’investissement dans l’éducation, la santé, les retraites, etc. En période de taux de croissance historiquement bas depuis plusieurs décennies, ces deux obligations sont impossibles à concilier. Capitalisme et démocratie ne seront plus compatibles pour longtemps. Mais en détruisant (littéralement) du capital, la guerre permet de relancer l’accumulation sur de nouvelles bases.
3/3) Les guerres vertes, ou la militarisation de l’écologie
La classe politique est victime d’un court-termisme qui la rend inapte à intégrer les crises écologiques dans ses calculs. Pourtant la nécessité d’assurer le contrôle sur l’extraction et la circulation des ressources, mais aussi l’accroissement de la contestation du système tendent à conférer à la conflictualité politique un caractère plus aigu. Les élites militaires sont en mesure de réfléchir sur une durée allant de 30 à 50 ans.
En 2010 le NSS américain (National Security Strategy) inclut pour la première fois une section consacrée aux implications militaires du changement climatique. Les émissions de gaz à effet de serre deviennent un « multiplicateur des menaces ». Les inégalités, la corruption, les conflits interethniques augmenteront du fait de la raréfaction des ressources et la fréquence des catastrophes. Le terrorisme international va prospérer, il y aura une urbanisation de la guerre dans le bidonville global. L’ONU envisage de créer des « casques verts », visant à désamorcer les conflits liés au changement climatique. En France, l’Assemblée nationale a consacré en 2012 un rapport parlementaire à « l’impact du changement climatique sur la sécurité et la défense ». Il avance l’hypothèse que l’armée pourrait exercer dans l’avenir la fonction de « spécialiste du chaos ». Afin de protéger l’Europe des réfugiés climatiques, le rapport recommande la mise en place d’une protection navale renforcée en méditerranée pour gérer les flux migratoires.
Aux yeux des analystes, le changement climatique risque d’affaiblir certains Etats, les fameux failed states, les Etats faillis, incapables d’assurer les fonctions normales d’un Etat : sécurité, égalité devant la loi… Il en existe une cinquantaine. La Somalie est l’Etat le plus « failli » selon la revue Foreign Policy, Haïti est le premier Etat non africain dans la liste. Si les militaires occidentaux redoutent les Etats faillis, c’est parce que les réseaux terroristes s’y installent, profitant du vide de pouvoir et du désespoir des populations. En Afghanistan, la crise climatique interagit avec l’insurrection talibane par l’entremise du trafic de drogue. La persistance du commerce de l’opium dans ce pays s’explique en partie par le fait que la culture du pavot nécessite peu d’eau, le sixième seulement de la quantité d’eau requise pour cultiver le blé. Le terrorisme et le changement climatique ont ceci de commun qu’il s’agit de phénomènes transnationaux, qu’un Etat ne saurait combattre seul.
La préoccupation des militaires pour le changement climatique prend place dans un contexte de renchérissement des énergies fossiles. Des effectifs importants doivent être mobilisés pour sécuriser les voies d’acheminement du pétrole. C’est la doctrine Carter : les Etats-Unis interviendront militairement chaque fois que leurs circuits d’approvisionnement énergétique seront menacés. Pour cela les armées ont besoin de pétrole, ce qui en accroît d’autant la consommation. Il y a un mécanisme autorenforçant. La dépendance des armées occidentales à l’égard du pétrole les met à la merci de pays producteurs avec lesquels elles entretiennent de mauvaises relations. Cette situation est intenable. Les crises du capitalisme seront à l’avenir inextricablement économiques et écologiques.
Conclusion
L’exploitation capitaliste de la nature a atteint un tel degré, depuis deux siècles, qu’on pourrait s’imaginer qu’elle conduira à son autodestruction. L’épuisement des ressources, le coût croissant liés à la gestion des conséquences négatives du développement exercent une pression de plus en plus forte sur la formation de la valeur capitaliste. Pourtant l’ouvrage qu’on vient de lire montre à quel point ce catastrophisme est erroné. Le capitalisme ne mourra pas de mort naturelle, pour une raison simple : il a les moyens de s’adapter à la crise environnementale. Le rapport entre l’accumulation du capital et la nature a toujours été amorti ou articulé par l’Etat. En régulant l’accès aux ressources et en prenant en charge les conséquences négatives du développement, celui-ci œuvre en faveur des intérêts à long terme des classes dominantes et permet que la nature puisse être exploitée durablement. Grâce à la financiarisation et à la militarisation, le capitalisme est en passe de démontrer, une fois de plus, sa stupéfiante résilience. Le capitalisme, la nature et l’Etat constituent, à l’époque moderne, un indissociable triptyque.
Hans Jonas soutient que seule une « dictature bienveillante » est à même de prendre les mesures qui s’imposent pour que le « salut physique » de l’humanité soit assuré. C’est ce que Jonas appelle « la tyrannie comme alternative à l’anéantissement physique ». L’adaptation au changement environnemental, en tous les cas, comportera une dimension militaire décisive. S’agirait-il d’un « humanisme militaire ». L’armée indienne est la première au monde à avoir mis en place des ecological task forces, des unités d’intervention écologique. La préservation de la nature contribue à la paix et à la stabilité de l’ordre social.
Lecture à compléter par « Les missions militaires au service de la biodiversité», livre de Sarah Brunel
et « Guerres et environnement, la grande transition», article de Michel Sourrouille