210 pages, 12 euros (2014, éditions Fayard)
titre original 10 Billion (2013, Penguin)
Nous sommes vraiment foutus, Stephen Emmott le confirme
« Si nous voulons empêcher une catastrophe mondiale, nous devons sans délai opter pour une action radicale – et agir vraiment, cette fois. Mais je ne pense pas que nous soyons prêts à le faire. Je pense que nous sommes foutus. J’ai demandé à l’un des scientifiques les plus rationnels et les plus brillants que je connaisse – un jeune chercheur de mon labo, qui maîtrise bien ce domaine – ce qu’il ferait, lui, s’il avait une chose, une seule, à faire dans la situation où nous sommes. Sa réponse ?
« Apprendre à mon fils à se servir d’un fusil. » »
Ainsi se termine le livre* de Stephen Emmott « 10 milliards », qui vient de sortir en librairie. Ce n’est pourtant pas le discours d’un catastrophiste, mais d’un réaliste. Il dirige un vaste programme de recherche scientifique réunissant une équipe interdisciplinaire à Cambridge. Voici un résumé commenté de ce livre, assez court car écrit en gros caractères, assez simple pour être compris de tous :
1/3) Le constat général, un désastre
Il part d’un terrible constat et déroule rapidement l’analyse commune à l’ensemble des écologistes ; tous les indicateurs de la planète sont au rouge : « La Terre abrite des millions d’espèces. Une seule a imposé sa domination : la nôtre. Notre intelligence, notre inventivité et nos activités sont à l’origine de tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui à l’échelle mondiale. Je crois pouvoir dire que la situation dans laquelle nous nous trouvons constitue une urgence planétaire sans précédent. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre. »
Stephen Emmott s’appuie sur des graphiques terrifiants, l’expansion démesurée de la population mondiale, la croissance exponentielle du CO2 dans l’atmosphère, le réchauffement des océans, le taux d’extinction des espèces, les pertes énormes de surfaces boisées, la surexploitation des écosystèmes marins, une consommation d’eau qui croît deux fois plus vite que ne croit la population, une production croissante de véhicules à moteur, etc.
Les pays riches ne sont pas seuls en cause : « Tandis que nos responsables politiques, nos entreprises et notre propre bêtise semblent tout faire pour entretenir notre dépendance fatale vis-à-vis du pétrole, du gaz et du charbon, des centaines de millions de personnes ont recours chaque jour à la combustion de bois pour couvrir leurs besoins essentiels. L’utilisation de bois pour cuisiner et une cause importante de déforestation dans certaines régions d’Afrique. La quantité de noir de carbone, principalement de la suie, émise aujourd’hui chaque année est supérieure à celle produite pendant tout le Moyen Age. »
Le cycle mondial du carbone est absolument essentiel à notre survie sur cette planète, ainsi qu’à celle de presque toutes les autres espèces. Or la déforestation et le réchauffement climatique d’origine anthropique pour faire passer le cycle mondial du carbone de puits de carbone net (absorbeur) à source nette de carbone (producteur), accélérant ainsi davantage le changement climatique.
2/3) L’importance de la démographie
Et chacun de ces problèmes s’accentue à mesure que la population mondiale s’approche des 10 milliards d’habitants… Une population plus nombreuse accroît la demande d’eau et de nourriture. La demande de nourriture renforce à son tour le besoin de terres, ce qui accélère la déforestation. Cette demande augmente également la production alimentaire et le transport. Tout cela alourdit les dépenses énergétiques. Celles-ci finissent par renforcer les émissions de CO2 et de méthane, ce qui aggrave encore le changement climatique… La façon dont les plantes vont réagir à ce phénomène nous est tout simplement inconnue pour l’heure… » Dix milliards pour Stephen Emmott, c’est trop difficile à faire vivre et à nourrir.
Au cours des quarante prochaines années, nous devrons produire pour nous alimenter plus de nourriture que n’en a fourni toute la production agricole au cours des 10 000 ans passés. Or la quantité de nourriture que nous produisons dépend presque entièrement des engrais chimiques à base de phosphate. Les réserves sont limitées, elles vont bientôt être épuisées. Lorsque ce moment arrivera, cela signifiera pour la population humaine la fin de l’agriculture telle que nous la connaissons. « Seuls les idiots refuseraient d’admettre qu’il y a une limite au nombre de personnes que notre planète peut supporter. Mon avis est nous avons dépassé cette limite. Depuis longtemps. Mais je crois que nous allons continuer à faire comme si de rien n’était. »
L’idée générale de Stephen Emmott ? « Tandis que notre population se rapproche des 10 milliards, nous pénétrons en territoire inconnu. Mais s’il est une chose prévisible, c’est que les choses vont s’aggraver encore... Quelle que soit la façon dont on envisage les choses, une planète peuplée de 10 milliards d’habitants promet d’être infernale. »
3/3) L’impuissance des solutions
Le problème, c’est que Stephen Emmott n’a pas grand chose à proposer face à la détérioration des conditions de la vie sur notre planète. « D’après les données nous nous disposons actuellement, la solution de la technologie est tout sauf probable…La révolution verte a été et reste un mythe…Personnellement je ne crois pas beaucoup à la géo-ingénierie. Je n’y crois même pas du tout. »
En conséquence Stephen Emmott pense qu’il nous faut de toute urgence consommer moins, radicalement moins. Il pense que pour opérer un changement d’attitude si radical, nous aurions besoin d’une action tout aussi radicale de la part des gouvernements. Or il avoue que sur ce point, les responsables politiques aujourd’hui font partie du problème, et non de la solution. Il constate que les résultats des différentes conférences internationales sur le climat, la lutte contre la désertification, la protection de la diversité biologique, le sommet « Rio + 20 », c’est zéro, encore et toujours zéro : « Et, pendant ce temps, nous nous enfonçons encore un peu plus dans le pétrin. »
La solution des petits gestes qui sauvent la planète lui paraissent infantiles. Faire pipi sous la douche ou utiliser deux feuilles de papier toilette plutôt que trois ne vont pas résoudre le problème. Même la contraception n’apparaît pas pour lui comme une solution viable pour des raisons politiques, culturelles et religieuses. D’où toujours la même antienne : « La gravité et la nature des problèmes auxquels nous sommes confrontés sont immenses, sans précédent et très certainement sans solution. »
Alors le recours au fusil ? « Ce n’est pas un hasard si un nouveau type d’acteur participe désormais à presque toutes les conférences scientifiques sur le changement climatique auxquelles j’assiste : l’armée. »
Conclusion de biosphere
L’armée ou le chaos ? C’est possible. Ce que proposait un de ses collaborateurs (« Apprendre à mon fils à se servir d’un fusil » relève du survivalisme, d’un recours au fusil dans chaque famille et les communautés de base. Les Américains sont bien préparés à cette éventualité individualiste, sauf que cela signifie le droit de s’entretuer pour que les plus forts survivent.
Il est fort probable que d’un bout à l’autre de la planète, nous utiliserons toutes les manières pour nous en sortir, entre le « chacun pour soi » des survivalistes et une action étatique concertée. La situation sera de toute façon différente d’une région du globe à une autre : certains Etats sont déjà défaillants et des bandes armées parcourent leur territoire. Dans des pays durablement structurés, l’Etat peut entraîner une mobilisation écologique comme si on était en état de guerre. Nous sommes déjà en état de guerre énergétique et climatique et la planète ne négocie pas !
L’essentiel est de nous préparer au pire pour garder le meilleur. Il faut rester optimiste dans le chaos, et chercher la meilleure façon possible pour nous en sortir…