François de Rugy a déjà écrit un livre en 2012, « A quoi peut bien servir un député écolo ? ». Il se positionnait clairement contre l’idéal écolo au nom de l’efficacité. Mais à force de faire du pragmatisme, l’écologie politique ne devient-elle pas une course aux postes en laissant ses convictions au vestiaire ? Il cultivait l’écologie superficielle, anthropocentrique, qui privilégie le milieu de vie de « nous autres, humains », sans considération de la biodiversité (terme jamais cité dans son livre, il préfère la fiscalité). Son nouveau livre de juillet 2015 est dans la même lignée, sauf qu’il précède de peu son départ d’EELV en septembre 2015 pour fonder un nouveau parti, « Les Ecologistes ! ».
1/3) François de Rugy condamne le putsch de Cécile Duflot
Dans le match médiatique, François de Rugy joue perdant contre la grande manipulatrice, Cécile Duflot. François pense pourtant que la stratégie fluctuante de Cécile est sans issue électorale. Voici quelques extraits :
« Les chaînes d’info annoncent le 31 mars 2014 à 20 heures la nomination de Manuel Valls comme Premier ministre. Nous réussissons à ne pas nous exprimer publiquement avant la réunion téléphonique de coordination des membres du bureau exécutif d’EELV et des parlementaires, prévue à 20h30. Nous découvrons alors, effarés, un communiqué de presse de nos ministres EELV Cécile Duflot et Pascal Canfin, tombé à l’AFP à 20h20 et annonçant qu’ils ne participeront pas au gouvernement Valls. Cette sortie du gouvernement a été décidée sans le moindre débat collectif dans les instances d’EELV. Pourtant Manuel Valls nous avait annoncé la création d’un grand ministère de l’Ecologie, de l’Energie et des Transports piloté par un écologiste. Sans même connaître la teneur de ces échanges avec le Premier ministre, des militants proches de Cécile Duflot lançaient une « pétition par mail » affirmant : « Pour EELV, la participation au gouvernement Valls, c’est non ! » Tout doit être fait pour que le coup de force des deux ex-ministres soit irréversible, sans le moindre débat. C’est à une large majorité que les députés écolos se prononcent pour une participation au gouvernement Valls. Le groupe parlementaire au Sénat porte la même appréciation, à l’unanimité moins une voix. Ces démarches sont cependant peu de choses face à la machine médiatique mise en route depuis la sortie du communiqué Duflot-Canfin de la veille au soir. Lire sur une liste de diffusion que le « gouvernement hypothéquait ses chances de faire une loi ambitieuse sur la transition énergétique » alors même que le Premier ministre venait de proposer que ce soit un ministre écolo qui en élabore le texte, démontrait le procès d’intention en cours. Le bureau exécutif repousse l’offre de gouvernement par sept contre, trois pour et cinq abstentions. En cas de participation gouvernementale, on nous promet une « révolte militante » lors du conseil fédéral du mouvement. La décision de Cécile Duflot, à l’origine très personnelle, s’est imposée à tous. C’est pourtant à elle que le Premier ministre proposait le grand ministère de l’Ecologie, de l’Energie et des Transports.
Notre participation au gouvernement a été interrompue brutalement en 2014 sans explication crédible et audible. Cette sortie s’est jouée sur un coup de dés, que les instances du parti ont été amenées à accepter à posteriori. Le pari de Cécile reposait sur un postulat, tiré du résultat des municipales : un effondrement du parti socialiste. Elle pensait que la lutte engagée par le gouvernement pour la compétitivité et ses conséquences budgétaires conduirait une grande partie de l’électorat de gauche à se détourner du parti gouvernemental… et à chercher une « alternative de gauche ». Vont en ce sens la mise en scène début 2015 du soutien à Syriza, l’affichage aux côtés de Jean-Luc Mélenchon et les stratégies d’alliances aux départementales. Cette stratégie s’est heurtée au réel, elle a trouvé une première sanction dans les urnes aux départementales. Une « gauche alternative » n’est pas crédible aux yeux des électeurs. La fiction d’un Syriza à la française s’est évanouie et je ne crois pas que celle d’un Podemos hexagonal ait plus d’avenir.
A EELV, nous n’avons ni la culture du chef ni une personnalité suffisamment charismatique pour arbitrer, réguler les points de vue et entraîner les autres. En outre, la stratégie de certains snipers à la forte valorisation médiatique, individuellement payante, nous plombe collectivement. L’opportunité de 2014, celle de voir un écologiste au ministère de l’écologie, se représentera-t-elle ? Il est permis d’en douter. »
2/3) L’écologie réformiste de François de Rugy
Le choix des adjectifs accolé par François de Rugy tout au cours de son livre est significatif de son choix, une écologie intégrée dans la sphère socialiste. En effet l’écologie devrait être pour lui réformiste, républicaine, positive, responsable, libérale et humaniste. Rien de bien révolutionnaire. Voici quelques extraits :
« Nous avons été élus pour faire vivre l’écologie dans une majorité dont le principal acteur, le parti socialiste, n’est pas écologiste. Je pense que nous avons commis une erreur collective en refusant de participer en 2012 aux primaires organisées par le parti socialiste. Un candidat écologiste aurait eu l’occasion de porter une parole écologiste forte, bénéficiant d’une imposante visibilité médiatique, démontrant le poids de l’écologie au sein de la future majorité. Nous nous serions épargné de devoir en permanence nous justifier du faible score de notre candidate Eva Joly qui faisait écho à celui de 2007.
« J’aime l’entreprise. » Cette phrase de manuel Valls aura fait couler beaucoup d’encre. Imagine-t-on un Premier ministre proclamer « Je n’aime pas les entreprises » ? Ce sont les initiatives privées, la liberté d’entreprendre, la créativité et l’innovation qui construisent une économie. Notre raison d’être est de démontrer que l’intérêt de tous les acteurs économiques, entreprises au premier rang, est de saisir les opportunités de développement liées à la lutte pour l’environnement. Nous devons nous féliciter de la propagation de concepts politiques écolos comme le terme « développement durable » au lieu de nous offusquer de le voir pillé par d’autres. Le low cost permet un retour aux basiques, ce qui est une des préoccupations écologistes. Des produits simples, des circuits de production courts. Il existe de bonnes initiatives dans le secteur agroalimentaire. Il ne s’agit pas de se demander comment rebâtir un modèle agricole idéal. La part du transport routier dans le transport de marchandises ne fait qu’augmenter. Mais les entreprises étrangères prennent des parts de marché parce qu’elles ne sont pas soumises aux mêmes règles sociales et fiscales qu’en France.
La promesse consistant à changer le mode de production et de consommation pour sortir de la crise relève du prêchi-prêcha vert. On entend certains prôner le « small is beautiful », il ne faut pas élaborer de principes à ce sujet. Il y a de grandes entreprises qui consacrent beaucoup de leur activité à la recherche et à l’innovation. Il ne faut pas condamner Total. Il vaut souvent mieux être salarié d’un grand groupe que d’une petite entreprise. Il ne faut pas entretenir des querelles sans fin sur les aéroports alors que l’objectif, à savoir l’accessibilité internationale du territoire, n’est jamais atteint. L’affaire de Sivens oppose les porteurs de projet à des contestations sans fin.
3/3) une critique assez justifiée des errements de l’écologie politique
On ne peut pas passer plusieurs années au sein des Verts puis d’EELV sans avoir une bonne idée des dysfonctionnements du parti. Voici quelques extraits :
« Les écologistes parlons-en. Ceux qui possèdent une marionnette aux Guignols de l’info apparaissent indisciplinés, immatures, englués dans des querelles subalternes. Le trait est excessif, mais les écologistes auraient tort de le négliger. Entre le « tout le monde devrait être écologiste » et le syndrome de la pastèque « vert à l’extérieur mais rouge à l’intérieur », l’écologie doit se justifier en permanence de sa propre existence. A ceux qui me demandent à quoi servent les écologistes en politique, je réponds : à vous permettre d’être écolos. Parce que l’aspiration des gens à vivre dans le respect de nos ressources et de notre planète est forte. La puissance publique doit la reconnaître et la faciliter. Le drame de l’écologie politique, c’est d’être aussi une manifestation tardive du gauchisme des années 1960-70.
J’ai encore en mémoire les discussions - souvent sans fin, c’est une spécialité chez les Verts - sur les statuts et le mode de fonctionnement du nouveau parti EELV. Nous avions imaginé, à côté du parti, une coopérative de l’écologie. Cela permettait la double appartenance, partisane et ouverte sur la société. La coopérative n’a jamais décollé et est aujourd’hui inexistante. Moins de trente adhérents actifs en moyenne par département, voilà la réalité de notre mouvement aujourd’hui. La chute du nombre d’adhérents cumulée à une pratique parfois délirante des « listes de discussion » par mail devient un véritable repoussoir. Jamais je n’ai autant entendu parler dans le parti de la nécessité de « revenir à nos fondamentaux ». Ce n’est qu’une incantation facile, l’écologie politique est traversée de familles de pensée et de références plurielles. L’écologie politique, c’est un dialogue permanent entre les écologistes mouvementistes et les écologistes réformistes. Or depuis plusieurs mois, cette diversité assumée qui faisait notre force est de plus en plus contestée dans le parti. Depuis avril 2014, la parole de l’écologie s’est jetée sur un toboggan protestataire. »
(Ecologie ou gauchisme, il faut choisir ! de François de Rugy – éditions l’Archipel, imprimé en juillet 2015, 191 pages, 14,95 euros)