François de Rugy est député Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Loire-Atlantique depuis 2007. Ce livre est structuré comme un questionnaire et ça commence fort :
- Quand on est député, est-ce qu’on n’a pas l’impression d’être un mal-aimé ?
« Oui, je constate chaque jour que le rapport entre les citoyens et leurs élus est souvent ambivalent… »
- Comment réagissent les gens quand vous précisez que vous êtres un député écologiste ?
« Malheureusement, l’association des deux termes surprend parfois ! Il suscite à la fois intérêt et sympathie… Il y a aussi parfois une franche hostilité qui puise ses racines dans le refus de tout changement de mode de vie… »
Voici quelques morceaux choisis de ce livre, sachant que l’argumentaire de François de Rugy permet de cerner deux conceptions de l’engagement écologiste, les réalistes et les fondamentalistes.
1/2) Une nécessité d’avoir des députés écologistes
Les parlementaires écolos sont des gens « normaux », en ce sens que nous vivons les mêmes réalités que beaucoup de nos concitoyens. Sur la « normalité » dans le mode de vie, la transparence, le non-cumul, la relation entre élus et citoyens, je ne revendique pas de spécificité écolo. Ce qui fait la singularité d’un député écologiste, ce sont les idées écologistes. Pour les écologistes, la crise financière n’est que la conséquence d’une crise plus large, plus profonde. La crise est celle d’un modèle productiviste arrivé en bout de course. Le libéralisme sans entraves entraîne le pillage des ressources naturelles et le développement d’activités aux conséquences dangereuses pour l’équilibre de la planète. Le monde devra s’adapter à la raréfaction des ressources naturelles et à la dégradation des conditions de vie sur notre planète (avec le réchauffement climatique). Cela amène les écologistes à quitter le rôle de spectateur engagé pour se confronter à la réalité de la gestion publique. Toute notre volonté politique est tendue vers ce but : faire de l’adaptation aux enjeux écologiques le levier qui permettra de repenser le fonctionnement de l’économie.
On ne pourra pas s’adapter par des mesures imposées par le haut mais par une mise en mouvement de toutes les forces de la société. C’est une vision extrêmement mobilisatrice, parce qu’au-delà des différences culturelles ou économiques, notre lien fondamental, c’est le fait que nous habitons tous sur cette planète. Nous respirons tous le même air. Je ne plaide pas pour « la planification écologique de l’économie » (cf. Mélenchon). Les écologistes ne sont pas nostalgiques du Gosplan soviétique. L’économie administrée, ça ne marche pas. Il faut mobiliser les acteurs autour de projets partagés les impliquant autant que possible. Par exemple la sortie du nucléaire ne peut se faire qu’à une condition : que les citoyens adaptent leurs comportements pour accompagner la transition énergétique. En consommant différemment, en se déplaçant différemment. Nous avions proposé aussi qu’il soit interdit aux services de restauration collective de faire appel à des aliments frais produits au-delà de 500 kilomètres de leur lieu de consommation.
L’ère de l’énergie abondante et bon marché est derrière nous. La réponse écologiste tient en quatre mots : sobriété, durabilité, diversification, anticipation. Il s’agit d’adopter une contribution climat-énergie. Le principe est d’augmenter progressivement et d’une manière annoncée à l’avance le prix des énergies fossiles. Le produit de la taxe sera redistribué aux ménages et aux entreprises afin qu’ils puissent financer les travaux d’économies d’énergie et adapter également leurs modes de vie au monde à venir.
L’écologie rencontre la gauche mais elle ne se confond pas avec elle : on peut être de gauche sans être écologiste. La gauche demeure très largement empreinte d’une croyance productiviste. L’écologie politique a pour obligation de s’adresser à tout le monde, ce qui ne l’empêche pas de savoir où sont ses partenariats stratégiques dans le champ politique. J’ai été élu député en 2007 à la suite d’un accord local entre le PS et les Verts, dont j’étais le candidat commun.
On note une grande convergence de vue avec les socialistes. Sur les quelque 170 votes recensés depuis 2007, près de 90 % de mes votes ont été conformes à ceux des députés socialistes. Avec les communistes, on est entre 60 et 70 %. Mais nous savons également, lorsqu’aucun compromis n’est possible, assumer la différence dans nos votes, par exemple sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Ma frustration vient du nombre de députés écologistes à l’Assemblée : 3 ou 4 sur 577 entre 2007 et 2012. Mais nous avons maintenant un accord national de législature. Et je suis un habitué de l’université d’été du pôle écolo du PS.
2/2) Les idées de François de Rugy en débat
- « Au fondement de l’engagement écologiste, il y a une conviction : celle que la planète – qui est le milieu de vie de nous autres, humains – est en danger. Alors qu’il n’y a pas de planète de rechange. »
Remarque : Notre planète n’est pas en danger, elle continuera sa course orbitale même après la disparition de l’espèce humaine. François de Rugy cultive l’écologie superficielle, anthropocentrique, qui privilégie le milieu de vie de « nous autres, humains », sans considération de la biodiversité (terme jamais cité dans son livre, il préfère la fiscalité).
- « Chaque année, au mois de septembre, notre planète vit à crédit ; elle consomme plus de ressources naturelles qu’elle ne peut en régénérer ».
Remarque : Ce n’est pas la planète qui consomme plus que nécessaire, c’est la société humaine. La nature recycle, pas l’humanité actuelle. Nous devons reconnaître notre responsabilité. La date de septembre est nommée jour du dépassement. François de Rugy n’est jamais précis dans l’énoncé du vocabulaire écolo.
- « Je crois en l’homme, et je suis donc confiant. C’est là toute la différence avec les catastrophistes qui finissent pas décourager les gens d’agir. »
Remarque : François de Rugy postule une capacité de réaction raisonnable de l’homme face aux difficultés, il n’a pas une grande connaissance de l’histoire humaine. Surtout il s’attaque aux « catastrophistes », comme le font les intellectuels libéraux au travers de leur livres, « Le fanatisme de l’apocalypse » de Pascal Bruckner, « L’apocalypse n’est pas pour demain » de Bruno Tertrais, etc. Un bon écologiste devrait savoir que la catastrophe n’est pas une lubie, mais une réalité démontrée par l’écologie scientifique (déplétion pétrolière, extinction des espèces, épuisement halieutique, etc.). C’est la réalité de cette catastrophe systémique qui devrait nous pousser à agir au plus vite. Il faut lire « pour un catastrophisme éclairé » de Jean-Pierre Dupuy.
- « L’écologie française, comme en Allemagne, est traversée de différences inéluctables. Il y a une sensibilité plus radicale, mais que je pense moins efficace en matière de participation aux politiques publiques : c’est les « Fundis » (fondamentalistes). Et puis il y a celles et ceux qui ont une approche plus pragmatique, les Realos (réalistes). J’assume pleinement mon appartenance à cette deuxième branche de l’écologie politique. Je ne suis pas adepte des oukases ou de la méthode autoritaire. »
Remarque : François de Rugy se positionne clairement contre l’idéal écolo au nom de l’efficacité. Mais à force de faire du pragmatisme, l’écologie politique ne devient-elle pas une course aux postes en laissant ses convictions au vestiaire ? François de Rugy semble confondre deux choses, ce qu’il faut dire, à savoir que l’état de nos ressources et la masse de nos déchets posent des problèmes que la « pragmatisme » n’arrive pas à résoudre, et l’écolo-fascisme qui nous guette si on se contente de ce que les politiques font actuellement. Le député écolo Yves Cochet, qu’on ne peut traiter d’autoritaire, nous paraît dans son action beaucoup plus « efficace » que François de Rugy. Son livre, Antimanuel d’écologie, nous semble essentiel pour qui veut comprendre les fondements de l’écologie politique.
- « La finalité de toute politique économique, c’est l’emploi et la préservation du niveau de vie des Français. »
Remarque : On croirait du Bush pour qui la défense du niveau de vie des Américains était une priorité. Or l’universalisation du niveau de vie occidental est un processus qui ruinerait écologiquement la Terre. D’autre part la défense de l’emploi est à manier avec précaution, cela justifie tous les abandons de la contrainte environnementale.
- « Lors du débat sur le plan de relance, j’avais plaidé pour conditionner la prime à la casse des automobiles aux qualités écologiques des véhicules achetés, en accentuant le système du bonus écologique. »
Remarque : François de Rugy ne critique pas du tout l’existence des véhicules individuels. Même l’écosocialisme de Michael Löwy se positionne pourtant contre la voiture individuelle ! Le livre de François nous indique la nécessité d’un changement de mode de vie, mais ce changement n’est pas explicité.
- « Mon goût pour le TGV, tout à la fois mode de transport écologique, de masse, confortable, n’a jamais été altéré par ses défauts. Or certains écologistes dénoncent les TGV et se lancent dans un éloge de la lenteur. On se dit que soit des rendez-vous ne les attendent pas, soit ils ne prennent jamais le train. »
Remarque : encore un vaste débat que le mouvement écologiste occulte. Faut-il des trains à grande vitesse dont l’effet tunnel est reconnu (désertification des villes intermédiaires), ou un réseau dense de voies ferrées comme ce qui existait au début du XXe siècle ? François de Rugy critique l’éloge de la lenteur. Un autre député écolo, Yves Cochet, disait que notre slogan devrait être : « Moins vite, moins loin, moins souvent. »
- « Si on veut une vraie réforme des retraites, la méthode tiendrait dans l’organisation d’une conférence de consensus. Elle fait appel à des « jurés » non spécialistes de la question mais susceptibles d’en comprendre les mécanismes, qui entendent les différentes parties, prennent en compte les suggestions faites par les experts, élaborent des recommandations. Ensuite c’est le parlement qui devrait se prononcer. »
Remarque : L’idée de conférence de consensus sur les enjeux écologiques est une bonne chose, appliquée imparfaitement en France sur les OGM. Son application sur des questions sociales comme la retraite est discutable car elle dilue ce processus démocratique. Pour en savoir plus lire Labo Planète (ou comment 2030 se prépare sans les citoyens).
- « L’avance technologique pour les énergies renouvelables, c’est un avantage compétitif essentiel pour l’exportation. »
Remarque : Le socialisme d’Arnaud Montebourg faisait l’éloge de la démondialisation. François de Rugy semble laisser le libre-échange exercer ses méfaits. Pourtant, face à la capacité technologique et productive de la Chine ou d’autres pays, miser sur un avantage comparatif de la France est un leurre total. Rappelons que l’avantage comparatif, théorie de Ricardo, est un des fondements du libéralisme économique.
- « Je pense que la question de la réunification de la Bretagne n’est pas dépassée. La force d’une région vient de la force du sentiment d’appartenance des habitants qui la composent. Ces sentiments jouent un rôle dans la capacité à organiser des solidarités. »
Remarque : La résurrection du peuple corse ou breton est de l’ordre de la mythologie. Nous aurions aimé que François de Rugy utilise l’argument du sentiment d’appartenance pour valoriser les communautés de transition (que soutiennent d’ailleurs explicitement EELV).
(éditeur LesPetitsmatins)