Le père de l’écologie politique est décédé en juin 2001. A une époque où un évènement chasse l’autre sans souci de construire l’avenir, c’est un évènement que les Français devraient garder au cœur. Véritable baroudeur de l’agronomie, son métier de base, René Dumont s’était engagé au côté des autres tiers-mondistes dans la lutte contre le colonialisme et la famine. En 1962, il constate de façon prémonitoire que le continent noir court à sa perte et l’annonce dans son best-seller « L’Afrique noire est mal partie ». Mais pendant longtemps, l’homme de la révolution fourragère avait prôné les mérites de l’agriculture intensive, du productivisme. Il a su revenir sur ces idées fausses pour témoigner que quand on se trompe, l’important est de pouvoir l’admettre. C’est depuis lors sa bataille contre la société du gaspillage qui a fait de lui un modèle d’analyse globale : il savait déjà discerner dans les années 1970 que la bagnole tue le tiers monde en fabriquant l’effet de serre avec ses gaz d’échappement. En 1972, René Dumont avait pris davantage conscience, grâce à la lecture du rapport Meadows sur les « limites de la croissance », de l’ampleur des menaces qui pèsent sur la planète, menaces qui ne sont pas seulement alimentaires mais aussi énergétiques, atmosphériques, aquatiques, etc. La première conférence des Nations Unies sur l’environnement se réunissait la même année à Stockholm. En parallèle à cette conférence officielle, des milliers de jeunes se réunissent et lancent le premier grand mot d’ordre de l’écologisme : « Nous n’avons qu’une seule Terre ! ».
Le début de son message le plus profond remonte au jour où il s’est présenté aux élections présidentielles de 1974 en tant que représentant de l’écologie politique (1,32 % des suffrages exprimés). C’était d’ailleurs la première fois en France qu’un vote électoral signifiait vraiment quelque chose car apparaissait enfin clairement l’objectif politique qui devrait éclairer le XXIème siècle : écologiser les partis politiques et politiser les écologistes. Les mesures préconisées à l’époque par René Dumont restent toujours valables : un impôt sur les matières premières pénaliserait l’usage intensif des ressources et récompenserait l’emploi intense en main d’œuvre ; un impôt d’amortissement serait inversement proportionnel à l’espérance de vie des produits, par exemple de 100 % sur les produits destinés à durer moins d’un an et de zéro pour les produits à durée séculaire ; une taxe progressive sur l’énergie consommée par foyer sous toutes ses formes, non pas seulement le chauffage, l’électricité, l’essence, mais aussi l’achat d’automobiles, d’appareils ménagers, etc. René Dumont constatait aussi fin des années 1970 que le volume des transports par camions routiers augmentait toujours au détriment du rail ; il préconisait en conséquence que les camions soient limités aux trajets gare-domicile et que les voitures privées soient interdites dans les centres villes. Il recherchait déjà une société capable de défendre les non-nés, les générations futures alors que le concept de développement durable n’a été popularisé que par un rapport des Nations Unies de 1987, dix ans après son livre souvenirs en 1977. Il faudrait savoir reconnaître immédiatement ce qui a de l’importance dans l’immense machine à produire des informations illusoires que votre société médiatique est devenue.
A l’âge de 73 ans, René Dumont avait donc écrit un récapitulatif de sa vie, « Seule une écologie socialiste… ». Si son livre relatait principalement la connaissance pratique que René Dumont avait des différents pays qu’il avait conseillé, le Viêt-Nam, l’Afrique, Cuba, il en tirait un désenchantement et un véritable désarroi devant la fin des idéologies. Dès l’introduction, il disait avoir toujours été à la vaine recherche d’un socialisme à visage humain. Il avait en effet constaté au cours de son existence les déficiences des socialismes réalisés qui ne lui paraissaient même pas mériter le qualificatif de socialiste. Il disait aussi que le capitalisme ne pouvait le satisfaire, surtout dans sa phase de croissance échevelée largement basée sur le pillage du tiers monde. Il disait surtout qu’il lui a fallu longtemps pour comprendre le drame écologique, l’épuisement des ressources rares de la planète, eau incluse, le danger des pollutions généralisées qui peuvent compromettre, avec les écosystèmes, le climat lui-même. Il écrivait tout cela il y a longtemps, mais son diagnostic est toujours d’une actualité brûlante alors que l’effet de serre et le changement climatique sont devenues les seules réalités qui importent. Aujourd’hui vous devriez tous savoir que la société thermo-industrielle vous conduit dans une impasse et que la crise ultime n’est pas très loin.
Dans son dernier chapitre, il mettait en évidence l’axe directeur qui pourrait permettre de dépasser le vide actuel de la pensée politique : « L’écologie résume tous nos problèmes, toutes nos crises ». Sans tenir compte de ces avertissements, vous êtes pourtant entrés à pleine vitesse dans l’impasse de la croissance dans un monde fini alors que le tiers monde manie ce terrible paradoxe qui donne tant à réfléchir : « Notre grande pollution, c’est notre misère, laissez-nous nous industrialiser ». Alors que le mode de vie occidental épuise déjà plusieurs planètes s’il était généralisé, cette pratique de « rattrapage » est suivie à la lettre par la Chine dont les énormes besoins accroissent la pression de l’humanité sur la planète.
René Dumont, dans la préface de « L’état de la planète » (Economica, 1989) écrivait encore :
« Cette étude nous met en face de nos responsabilités. On peut dire que notre génération – celle de Trente années Glorieuses, celle qui a longtemps cru avoir si bien « réussi » - n’avait nullement compris que ces « gains » avaient été essentiellement réalisées :
- au dépend d’un environnement mondial de plus en plus compromis ;
- au dépens du Tiers monde, de ses populations démunies, privées de tout et d’abord de ce que nous gaspillons ;
- aux dépens des générations futures, qui seront privées d’un potentiel de production correct et des ressources rares et non renouvelables (pétrole et minerais)…
Un minimum d’austérité est devenu une condition absolue de la survie prolongée de l’humanité. On ne saurait trop le répéter : dans les 10 ans, les dés seront jetés ».
Les années ont passé et la situation écologique est devenue dangereusement irréversible.