1ère édition sous le titre New Frontiers for Sustainability en 2006
sous-titre édition française en 2010 : Laboratoires de modes de vie éco-responsables
1/8) présentation
Depuis la fin des idéologies (libéralisme et marxisme), nous essayons de trouver un paradigme qui nous assemble durablement. Nous l’avons trouvé avec les communautés de résilience, non centrées sur l’individu, la tribu ou l’Etat. Ce paradigme porte des noms différents, Communautés intentionnelles ou Ecovillages ou Agenda 21 local ou Towns transition ou Plan climat ou Cités jardins… La profusion des termes montre la richesse de cette alternative à la société thermo-industrielle dominante.
L’intérêt principal des communautés de résilience, c’est qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle idéologie, mais d’une pratique : comment faire en sorte que sa communauté d’appartenance puisse faire face prochainement aux chocs que sont l’épuisement des ressources fossiles (le pic pétrolier…), le réchauffement climatique, l’éloignement de l’homme par rapport à la nature. C’est aussi une pratique applicable au Nord comme au Sud, par les gens de droite comme par les gens de gauche, par les bobos et les paysans, par les chefs d’entreprise et par les travailleurs. La volonté de vivre en communauté repose non sur les affinités de ses membres mais sur des valeurs et une mission communes remonte aux brumes de la préhistoire.
La première communauté intentionnelle se reconnaissant comme telle était celle d’Homakoeîon, fondée par Pythagore en 525 avant J.-C. Les principes d’autosuffisance, de décentralisation et de quête spirituelle prônés par Gandhi sont d’une importance cruciale. Le mouvement des kibboutzim israéliens a été peut-être la manifestation moderne de communautés intentionnelles la plus puissante. Les mouvements hippies et le « retour à la terre » des années 1960 et 1970 manifestaient de la part des jeunes un rejet des valeurs matérialistes et un désir de retisser des liens entre les individus. Les pionniers des communautés intentionnelles ou écovillages peuvent nous éclairer sur les nouveaux chemins pour marcher plus légèrement sur la Terre et ainsi perpétuer une place durable pour l’espèce humaine dans la grande chaîne de la vie. Voici quelques caractéristiques possibles d’une communauté de résilience.
2/8) Une rupture avec l’organisation sociale actuelle
Notre époque est marquée par une rupture profonde du tissu communautaire dans les pays riches du Nord et dans le monde entier. A la fin des années 1980, le déclin en termes de qualité de vie était tangible. L’augmentation des taux de criminalité, de dépressions, de consommation de drogues et de suicides indique très clairement l’anomie croissante vécue par beaucoup. Jamais les écosystèmes n’ont été aussi menacés. Ces cinquante dernières années ont été le théâtre du démantèlement des structures et des connaissances dont nous avons besoin pour survivre. L’intégrité des communautés est passée sous le rouleau compresseur des politiques économiques favorisant la production et la distribution de masse ainsi que la libre circulation des capitaux dans le monde. La société actuelle est à peine capable de satisfaire à ses besoins essentiels à l’aide des compétences, des ressources et des matériaux disponibles localement. Construire ensemble une transition est le grand défi qui attend notre civilisation,
Dans un rapport commandité par Gaia Trust, Robert et Diane Gilman définissent ainsi un écovillage : Un établissement humain disposant de toutes les fonctions nécessaires à la vie, dans lequel les activités s’intègrent sans dommage à l’environnement naturel tout en soutenant le développement harmonieux des habitants et de manière à pouvoir se prolonger avec succès dans un futur indéfini. Une société pleinement fonctionnelle pourrait être principalement composée de telles unités.
Au cours de la conférence UN habitat à Istanbul en 1996, le GEN (Global Ecovillage network) naquit. Il s’agit d’une confédération mondiale de personnes et de communautés qui partagent leurs idées, échangent des technologies et mettent en place des échanges culturels et éducatifs. Le premier T-shirt du GEN portait en gros caractère la mention Welcome To The Future !
3/8) Les caractéristiques d’un écovillage
La première caractéristique est la primauté de la communauté. L’écovillage est avant tout une réponse à l’aliénation et à la solitude induite par les conditions de vie modernes. Les gens ont soif de redevenir des membres utiles et reconnus dans une société à taille humaine. Le partage des ressources et des installations permet de réaliser des économies substantielles. Les communautés qui mangent ensemble et partagent leur voiture, leurs outils de jardin et leurs systèmes de chauffage ne son pas seulement plus heureuses ; elles marchent aussi plus légèrement sur la Terre.
Ensuite le ralliement des Etats du Nord et du Sud aux intérêts des grandes entreprises, et leur incapacité à traiter sérieusement des bouleversements écologiques et la pauvreté ont encouragé de nombreux citoyens à trouver un chemin à l’extérieur du système. Les écovillages sont des initiatives émanant des citoyens, qui dépendent des ressources, de l’imagination et de la vision de leurs membres.
En troisième lieu, tous les écovillages ont à cœur de reprendre le contrôle de leurs ressources et de leur destinée. C’est une tentative de décider de la façon de cultiver, de construire ses maisons, de produire de l’énergie, de créer des moyens de subsistance et de se divertir. Seules les grandes entreprises qui contrôlent la production et la distribution tirent profit de la mondialisation, au détriment des communautés, des économies locales et des écosystèmes. L’opposition à la mondialisation de l’économie est un point de ralliement pour les écovillageois du monde entier. En effet, il est plus simple d’intégrer des flux de ressources et de réduire les quantités de déchets dans des communautés de petite taille. Par exemple, les déchets alimentaires sont compostés et utilisés dans les jardins de la communauté, les taillis alimentent les poêles, les eaux usées traitées de manière écologique sont redirigées vers les potagers. En outre, comme la plupart des emplois sont sur site, les besoins en matière de transport sont réduits.
Quatrièmement, tous les écovillageois possèdent un corpus important de valeurs communes – que certains d’entre eux qualifient de spiritualité : la justice globale, la restauration écologique, la reconstruction de la communauté, le service aux autres. Il existe une forte impulsion en faveur d’une simplicité volontaire.
Enfin, il existe une cinquième caractéristique étroitement liée à la précédente. Les écovillages font office de centre de recherche, de démonstration et, dans la plupart des cas, de formation. Les écovillages peuvent être comparés aux ferments du yoghourt : de petites concentrations riches d’activités dont le but est de transformer la nature de ce qui l’entoure.
4/8) Les instruments de la relocalisation
Il existe de sérieuses raisons de penser que l’ère de la globalisation touche à sa fin. En effet les longues chaînes d’approvisionnement (les ingrédients d’un petit déjeuner anglais parcourent 75 000 kilomètres) sont très sensibles à la hausse des prix des carburants. Le changement climatique est directement lié aux processus centralisés à grande échelle favorisés par la mondialisation de l’économie. Nous avons combiné trois facteurs, de longues chaînes d’approvisionnement - une capacité limitée à satisfaire à nos propres besoins et un nombre croissant d’ennemis extérieurs – qui nous rappellent les derniers jours de l’Empire romain. La famille humaine se dirige inévitablement vers une période de conflits et de souffrances.
La vie devra obligatoirement devenir plus simple et plus décentralisée et, pour survivre, les gens devront avoir une conscience plus aiguë de leurs propres biorégions. Les écovillages sont des lieux où vêtements, jouets et équipements de toutes sortes se partagent et se recyclent.
L’expérimentation de monnaies et de banques communautaires est explorée par les écovillages. L’argent qui circule localement ne quitte pas rapidement la région, comme cela se produit si souvent avec les monnaies nationales et supranationales. La vitesse de circulation en boucle sur un territoire de proximité d’une monnaie locale peut plus que compenser sa rareté. On estime que la première émission de la monnaie communautaire « ekos » à Findhron a généré la première année plus de huit cycles de dépenses complets. Cet argent est passé entre de multiples mains et mis beaucoup d’huile dans l’économie de la communauté. Empêcher la fuite du pouvoir d’achat favorise l’émergence et le maintien des entreprises locales
5/8) Les techniques douces
Les technologies décentralisées à l’échelle humaine apparaissent comme un élément phare du changement. Plusieurs communautés britanniques ont été pionnières dans l’application de modèles à faible technologie. La société à capital-risques Gaia Technologies a pour objectif le développement de technologies intermédiaires capables de répondre aux besoins des écovillages du Nord comme du Sud.
A Auroville, un panneau solaire de quinze mètres de diamètre installé sur le toit de la cuisine a été conçu pour générer suffisamment de vapeur pour cuire jusqu’à mille repas par jour. En Allemagne, le Club 99 construit les maisons de paille à la main, est presque entièrement suffisant en terme de nourriture (ils sont végétaliens) et travaillent la terre à la main et avec des chevaux. Ils fonctionnent selon une économie de partage où tous les revenus sont mis en commun et alloués en fonction des besoins de chacun. Les résidents de Tinkers Bubble dans le Somerset se chauffent au bois, coupent le foin à la faux, traient manuellement les vaches, désherbent et récoltent à la main. Ils disposent d’une petite éolienne, de toilettes sèches et d’un broyeur de végétaux alimenté au bois.
6/8) Le rapport au pouvoir
Sous la pression du pouvoir colonial, des régions africaines se sont mises à pratiquer en masse l’une des principales cultures commerciales, l’arachide. Par rapport au sésame, celle-ci présente de nombreux inconvénients : il n’est pas aisé de la mélanger aux cultures vivrières, elle ne sert à rien d’autre qu’au commerce, elle appauvrit les sols et elle ne peut être transformée dans les villages. Il est essentiel de contrôler de manière plus démocratique et populaire les ressources de la communauté, de plus en plus menacées par le capitalisme de marché. Autrefois, le sésame jouait un rôle central : il pouvait être consommé, vendu, et servir de base à des produits médicinaux ou cosmétiques. Modèle à suivre !
Mais trouver des formes de gouvernance favorisant l’intégration est l’une des tâches les plus difficiles à laquelle les écovillages doivent faire face. Il faut promouvoir une culture basée sur la confiance et la compassion, créer des procédures de prise de décision efficaces et gérer les conflits. Dans la plupart des écovillages, la prise de décision s’effectue sur la base du consensus : aucune décision n’est prise tant que l’on n’a pas atteint la quasi-unanimité. Plus l’écovillage est petit et plus il y a de chances pour que tous les membres soient impliqués dans le processus de prise de décision. Plus les communautés grandissent en taille et en complexité et plus ce sera difficile. Bien trop souvent, les communautés intentionnelles sont la proie de conflits destructeurs. C’est pourquoi de nombreux écovillages ont développé des structures formelles de médiation en cas de conflit.
7/8) Un renouveau culturel
Moins un individu revendique pour lui-même le fruit de son travail, plus le bien-être de la communauté est important ; autrement dit, plus il cède ses recettes à ses compagnons de travail et plus ses propres besoins sont satisfaits, non par son travail, mais par celui des autres. Le problème est au moins autant culturel qu’économique. Le concept d’unité dans la diversité est l’une des caractéristiques importantes de l’expérience communautaire. Au lieu de regarder la télévision, les écovillageois ont tendance à se tourner vers des activités locales : les chorales, les concerts et les troupes de théâtre abondent.
L’activisme pour la paix et la solidarité internationale sont également au centre de l’éthique des écovillages. Parmi les programmes, « Farms Not Arms », « Conscientious Objectors »… Un réseau d’écovillages pour la paix peut prouver que la non-violence et le développement écologique et durable sont une réponse à la guerre.
8/8) Les difficultés à surmonter
Au niveau technique : La transformation locale des aliments est devenue totalement impossible. Il est légal de bourrer nos animaux de ferme d’antibiotiques, nos légumes de pesticides, nos aliments d’additifs et notre eau de nitrates, mais plus ou moins illégal d’utiliser un processus où l’acier inoxydable, la réfrigération et l’éclairage fluorescent n’entrent pas en jeu.
Les écovillages sont aussi confrontés à leur isolement et leur manque d’intégration au tissu de leurs propres biorégions. Les participants ne possèdent que peu de bras et luttent énormément pour se maintenir à flot. Il ne leur reste alors que peu de ressources à investir au service d’une cause plus vaste.
Au niveau culturel : Les communautés traditionnelles du Sud ont été minées non seulement par le comportement agressif des grandes multinationale qui ont usurpé le contrôle des ressources communautaires, mais aussi par le déluge de messages médiatiques qui a ébranlé les valeurs traditionnelles et les modes de vie. Au Nord, les efforts pour plus d’autosuffisance et de modération ont été balayés par la norme culturelle dominante selon laquelle la qualité de la vie pouvait être assimilée aux niveaux de consommation matérielle. Les tentacules des médias ont atteint les communautés les plus reculées, avec leurs séduisants messages de consumérisme.
L’individualisme croissant de toute la société se reflète au sein des écovillages eux-mêmes. Les individus aspirent à construire leur propre maison et revendiquent plus d’espace privé. Faute de modèle communément reconnus, chaque nouveau groupe est contraint de réinventer la roue ; les écovillages ne se sont pas développés autant que ce qu’on espérait. Mais le monde est à l’aube d’un grand bouleversement. Pour gérer la pénurie énergétique à venir, les communautés n’auront pas d’autre choix que de suivre le chemin que les écovillages ont été les premiers à emprunter.
(Les écovillages, éditions Yves Michel)