Puisque nos valeurs forment le moule de nos comportements individuels et collectifs, alors c’est jusqu’à ces valeurs qu’il faut remonter. Cette conviction est en tout cas le point de départ de la deep ecology (l’écologie profonde). La réforme éthique que propose l’écologie profonde consiste à accorder nos valeurs à nos connaissances écologiques, en mettant un terme à cette idée selon laquelle l’homme et la nature seraient disjoints. Que l’on n’ait cessé de dénoncer une « rupture avec l’humanisme » là où il s’agit d’approfondissement des valeurs, voilà qui peut sembler étrange. En fait l'écologie profonde est un nouvel humanisme – qui fonde le respect de l'homme sur le respect de la nature dont il procède.
Mais en s’installant au point de croisement du naturel et du culturel, l’écologie profonde a touché un des fondamentaux de l’intelligentsia française. Cette philosophie se heurte en effet à l’idée, très répandue dans le milieu universitaire français, qu’« il n’y a rien à penser dans la nature » et qu’il faut tout ramener à l’homme. Voici un récapitulatif de textes qui dénigrent l’écologie profonde sans avoir rien compris de cette éthique non-violente de la réconciliation entre l’espèce homo sapiens et la biosphère :
1992 Luc Ferry, (in Le nouvel ordre écologique)
- Le texte de Luc Ferry : « Arne Naess et George Sessions ont regroupé dans un manifeste les termes et les phrases clefs qui sont la base de l’écologie profonde. Il s’agirait de montrer qu’après l’émancipation des noirs, des femmes, des enfants et des bêtes, serait venu le temps des arbres et des pierres. La relation non anthropocentrique à la nature trouverait ainsi sa place dans le mouvement général de libération permanente qui caractériserait l’histoire des Etats-Unis. Cette présentation est fallacieuse. L’idée d’un droit intrinsèque des êtres de nature s’oppose de façon radicale à l’humanisme juridique qui domine l’univers libéral moderne. De « parasite », qui gère à sens unique, donc de façon inégalitaire, le rapport à la nature, l’homme doit devenir « symbiote », accepter l’échange qui consiste à rendre ce que l’on emprunte. Les sources de l’écologie profonde seront donc localisées dans une extériorité radicale à la civilisation occidentale. Robinson Jeffers, philosophe californien et spinoziste radical qui inspira les travaux d’écologistes profonds tels que George Sessions, en appelle de manière explicite à l’édification d’une philosophie « inhumaniste », seule susceptible à ses yeux de renverser le paradigme dominant de l’anthropocentrisme.
=> notre analyse : Luc Ferry est un philosophe ayant des lettres, donc mélangeant allègrement Naess, Sessions, Michel Serres, Heidegger, Jonas, … sans citer autre chose de l’écologie profonde que la plate-forme en 8 points. D’ailleurs Arne Naess n’est pas américain, mais norvégien. Il paraît certain que Luc Ferry n’a pas lu sérieusement Arne Naess. Le livre fondateur de l’écologie profonde Ecology, community and lifestyle du philosophe norvégien Arne Naess a été écrit en 1976, traduit en anglais en 1989 et en Français seulement en 2008.
Que l’on soit convaincu ou non par cette philosophie, on doit reconnaître qu’elle n’est en rien un anti-humanisme. Dans son écosophie, Arne Naess fonde la valeur de la « diversité » en général sur la valeur première de la « réalisation de soi » (self-realisation). La réalisation de soi passe en effet par celle « des autres », et ce qu’il entend par « les autres » excède les limites du genre humain : « La réalisation complète de soi pour quiconque dépend de celle de tous » ou « la diversité de la vie augmente les potentiels de réalisation de soi. » Quant à la radicalité de l’écologie profonde, il faut l’entendre au sens philosophique, et non au sens politique. On voit mal comment l’activisme du professeur Naess, explicitement nourri de l’éthique spinoziste et des principes de non-violence de Gandhi, pourrait nourrir une action « radicale ».
- Le texte de Luc Ferry : « Dans tous les cas de figure, l’écologiste profond est guidé par la haine de la modernité, l’hostilité au temps présent. L’idéal de l’écologie profonde serait un monde où les époques perdues et les horizons lointains auraient la préséance sur le présent. C’est la hantise d’en finir avec l’humanisme qui s’affirme de façon parfois névrotique, au point que l’on peut dire de l’école profonde qu’elle plonge certaines de ses racines dans le nazisme. Les thèses philosophiques qui sous-tendent les législations nazies (de protection des animaux) recoupent souvent celles que développera la deep ecology : dans les deux cas, c’est à une même représentation romantique des rapports de la nature et de la culture que nous avons affaire, liée à une commune revalorisation de l’état sauvage contre celui de (prétendue) civilisation.
=> notre analyse : Luc Ferry pratique la stratégie de l’amalgame, qui consiste à réduire tout le courant de l’éthique environnementale (sans même épargner les tentatives de Michel Serres ou Hans Jonas) à l’idéal type de la deep ecology, puis à assimiler cette dernière à une résurgence du nazisme. La reductio ad hitlerum, pour reprendre l’expression de Leo Strauss, peut dès lors emprunter la forme du syllogisme suivant : étant établi que les nazis ont édicté des textes législatifs destinés à garantir la protection des animaux et de l’environnement, et étant donné par ailleurs que la deep ecology préconise une extension des obligations morales et juridiques au règne animal et végétal, il s’ensuit que la deep ecology est un éco-fascisme ! Le principal effet de ce livre a été de geler les tentatives de pensée nouvelle, en frappant de suspicion en France toute réflexion sur la nature qui s’écarterait de l’humanisme kantien !!
Cette dérive antiphilosophique de Luc Ferry est d’autant plus dommageable qu’il ne peut s’empêcher d’éprouver de la sympathie pour la deep ecology : « L’écologie profonde pose de vraies questions, que le discours critique dénonçant les relents du pétainisme ou du gauchisme ne parvient pas à disqualifier. Personne ne fera croire à l’opinion publique que l’écologisme, si radical soit-il, est plus dangereux que les dizaines de Tchernobyl qui nous menacent. »
1996 Dominique BOURG (in Les scénarios de l’écologie)
Dominique Bourg nous présente une bonne approche d’Arne Naess dans son livre Les scénarios de l’écologie7 : « Au nom de l’interdépendance qui les rassemble et qui conditionne leur existence, toutes les espèces sont dotées d’un droit à l’existence égal à celui de toutes les autres. L’existence de chaque espèce devient une fin en soi. En conséquence la conception humaniste qui considère l’homme comme la seule fin en soi, ravalant tout le reste de l’univers au statut de moyen, doit être rejetée. (p.43) » (…) « Le but est donc d’atteindre la symbiose sans que cela ait pour conséquence l’élimination de l’individualité au profit de la communauté, ce qui irait à l’encontre de ce trait essentiel de la nature qu’est la diversité. (p.44) » (…) « Arne Naess demeure un des rares écologistes profonds à chercher à prévenir les dérapages possibles. D’où sa volonté de faire de la réalisation de soi le premier des principes. Ce qui d’ailleurs n’est guère étonnant de la part d’un ancien résistant au nazisme, admirateur de Gandhi. (p.56) »
Pourtant Dominique Bourg n’hésite pas à écrire aussi : « Je tiens la deep ecology pour potentiellement beaucoup plus nocive que ne l’a été le nazisme. Dans sa version la plus extrême, elle peut nourrir le fantasme délirant d’une destruction de l’humanité. » Il cite Paul W.Taylor : « La disparition complète de la race humaine ne serait pas une catastrophe morale, mais plutôt un événement que le reste de la communauté de vie applaudirait des deux mains (p.52) ». Dominique Bourg pense que la réelle volonté de non violence d’Arne Naess pourrait être remise en cause par un certain fondamentalisme. Il utilise ainsi l’argument sophistique de la « pente glissante » qui apparaît sous diverses appellations (« l’engrenage fatal » ; la « rupture de digue »). L’argument de la pente glissante (ou savonneuse) est analysée par Albert O.Hirschman comme une figure de la thèse de la mise en péril. Ce mode de dénonciation des « dérives » ou des risques de dérives peut justifier des condamnations totales ; cela présente l’avantage de permettre à un réactionnaire de paraître tenir un langage progressiste.
Dominique Bourg a bien changé depuis 1996 : « La crise écologique dans laquelle nous nous abîmons est d’essence spirituelle. Elle tire ses origines des fondements mêmes de notre civilisation. La biosphère n’est pas simplement un bien commun ou public, elle conditionne l’existence de tous, maintenant et à l’avenir. Il n’est pas question ici d’une opposition de la liberté des uns à celle des autres, mais de détruire ou non tout exercice possible de la liberté. Nous avons affaire à un niveau de réalité supérieur, qui appelle des règles transcendantes, même si nous devons les discuter au sein d’un espace démocratique. » (in Crise écologique, crise des valeurs (Défis pour l’anthropologie et la spiritualité, 2010)
1997 Jean-Paul II (Congrès Environnement et Santé, repris dans le livre Les gémissements de la création)
Jean-Paul II : « Au nom d’une conception inspirée par l’écocentrisme et le biocentrisme, on propose d’éliminer la différence ontologique et axiologique entre l’homme et les autres êtres vivants, considérant la biosphère comme une unité biotique de valeur indifférenciée. On en arrive ainsi à éliminer la responsabilité supérieure de l’homme au profit d’une considération égalitariste de la dignité de tous les êtres vivants. Mais l’équilibre de l’écosystème et la défense d’un environnement salubre ont justement besoin de la responsabilité de l’homme. La technologie qui infecte peut aussi désinfecter, la production qui accumule peut distribuer équitablement. »
Notre commentaire : Il n’est guère plus raisonnable, du point de vue de l’écologie profonde, de penser le monde comme une multiplicité de centres, aux intérêts clairement définis, exclusifs et concurrents, que d’imaginer quelque chose du même ordre entre les différentes parties du corps. On n’oppose pas les droits du cœur aux droits du foie, ou les droits des mains aux droits des pieds. De même ça n’a pas de sens, écologiquement parlant, d’opposer les droits des hommes à ceux des autres créatures et de la nature en général. Nous pouvons essayer de vivre harmonieusement dans et avec la nature, mais en employant toute notre ingéniosité technologique postindustrielle à créer une civilisation durable et bienveillante à l’égard de l’environnement. Nous pouvons enrichir la nature, tout en nous enrichissant nous-mêmes. Ce n’est pas la pensée papale qui met en avant une « supériorité de l’homme ».
Lynn White imputait d’ailleurs en 1967 les racines historiques de notre crise écologique à la vision du monde judéo-chrétienne. Selon la Genèse les êtres humains, seuls de toutes les créatures, furent créés à l’image de Dieu. Il leur fut donc donné d’exercer leur supériorité sur la nature et de l’assujettir. Deux mille ans de mise en œuvre toujours plus efficace de cette vision de la relation homme/nature ont abouti aux merveilles technologiques et à la crise environnementale du XXe siècle. Ce n’est qu’une interprétation de la Bible. D’un autre point de vue, le statut singulier des êtres humains, entre toutes les créatures de Dieu, leur confère des responsabilités singulières. L’une est de prendre soin du reste de la création et de le transmettre aux générations futures dans le même état, voire en meilleur état qu’ils ne l’ont reçu. Nous sommes les « intendants » de Dieu sur la création - nous sommes chargés d’en prendre soin - et non ses nouveaux propriétaires.
Mais qu’on souscrive à l’interprétation despotique ou à celle de l’intendance, on se place dans les deux cas dans la perspective d’une position dominante de l’homme à l’égard de la nature. Il y a une autre lecture de la Genèse que JB Callicott suggère : les êtres humains sont conçus comme des membres à part entière de la nature et non plus comme ses maîtres tyranniques ou comme ses gestionnaires bienveillants. C’est aussi la position de l’écologie profonde, qui invite à se méfier d’une technologie adoubée par le pape et par l’écologie superficielle.
2006 Paul Ariès (in Entropia n°1, décroissance et politique)
Dans le n° 1 d’Entropia (automne 2006), Paul Ariès méconnaît la véritable philosophie de l’écologie profonde en faisant bien des amalgames injustifiés :
« La manifeste d’Unabomber, popularisé après une série d’attentats meurtriers. Cette écologie profonde… »
« La deep ecology de Arne Naess, introduite en France par de Benoist… »
« Le rapprochement entre Ratzinger et l’écologie profonde est le symbole de cette dérive… »
En déformant systématiquement la philosophie de l’écologie profonde qui est pourtant fondamentalement une école de la non-violence (tout l’inverse du terrorisme !), ni de droite ni de gauche (alors que de Benoist est classé à l’extrême droite), et certainement pas affiliée à une religion du livre (Ratzinger), Paul Ariès va à l’encontre d’une nécessaire évolution qui détacherait l’humanisme du nombrilisme humain.
Paul Ariès, dans son livre Décroissance ou barbarie, semble cependant proche de l’écologie profonde (chapitre 4.6, Réapprendre la nature) : « L’humanité a acquis la puissance de modifier la totalité de la nature. On peut en conclure que cette nature n’est pas extérieure à l’homme. Nous devons considérer la nature non plus comme un objet dont il serait possible de disposer techniquement mais comme un partenaire. Nous aurons besoin pour cela de nouvelles interactions matérielles (le vieux débat sur les technologies douces) mais aussi de nouvelles interactions symboliques, de nouvelles valeurs. On rappellera que l’idée d’une transformation de la nature par l’homme n’a aucun sens dans la plupart des cultures. Perdre le contact avec la nature, c’est perdre une partie du rapport à soi-même. L’économie nous rendu aveugle à la nature, elle impose sa culture marchande contre la culture de la Terre. Le futur passera donc par des retrouvailles avec la nature. Il serait plus juste de parler d’épousailles car il faut tout faire pour que la nature ne soit plus un désert émotionnel pour les humains. »
Pour la philosophie de l’écologie profonde, il s’agit là d’un problème de valeurs ainsi posé : « Le bien-être et l'épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l'utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains. »
2006 Cyril Di Méo dans La face cachée de la décroissance
Di Méo dixit : « La réussite du développement du concept de décroissance s’est réalisée grâce à l’alliance étonnante des tenants de l’écologie profonde, spiritualiste (Arne Naess et la revue l’Ecologiste) et des tenants de l’écologie sociale libertaire a priori a-religieuse (Murray Bookchin ou la revue Silence) » (p.84) … « L’amour de la nature dissimule difficilement une haine des êtres humains et particulièrement des pauvres. Une écologie humaniste doit s’interroger sur les façons de nourrir la population existante et non chercher à limiter l’espèce humaine. » (p.141) … « L’écologie doit donc abandonner l’idée de décroissance et s’éloigner des rivages de la naturalité de l’ordre social, sous peine d’échouer sur les rives nauséabondes du conservatisme de l’écologie profonde. » (p.151)
Notre commentaire : il est vrai que les Verts américains sont nettement influencés par deux écoles de pensée. Les écologistes sociaux sont représentés par le philosophe Murray Bookchin qui fonde en 1974 l’Institute for social ecology. Selon cette conception, ce sont les rapports de domination au sein des sociétés qui ont conduit à l’attitude abusive de domination de la nature. Mais le programme électoral des Verts est aussi inspiré des huit points de la plate-forme de la deep ecology du philosophe norvégien Arne Naess (1973). Il s’agit de déterminer un dépassement des valeurs anthropocentriques, Arne estime que « le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains ».
Presque personne en France ne sait différencier l’écologie sociale et l’écologie profonde. De toute façon il n’y a pas véritablement d’antagonisme conflictuel entre ces deux paradigmes, qui ne sont que deux variantes de la critique du modèle productiviste. Le débat ne devrait pas opposer les bienfaits matériels d’une exploitation de la nature (wildlife) et l’état sauvage d’une nature inviolé (wilderness), mais réunir les partisans d’un retour à l’équilibre des écosystèmes face aux tenants d’un productivisme intenable sur une planète de plus en plus limitée.
C’est pourquoi Naess ajoute : « L’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution. » Limiter de façon volontaire la fécondité n’est pas faire preuve d’une « haine des êtres humains », mais tour au contraire d’une attitude raisonnable !
2007 Claude Allègre (in Ma vérité sur la planète)
- Le texte de Claude Allègre : « L’animal ou l’arbre doivent être protégés, respectés, pourquoi pas vénérés, et cela doit être inscrit dans la loi ! C’est la stratégie de la deep ecology qui poursuit en justice ceux qui coupent les arbres ou qui tuent les insectes avec le DDT. Tout ce qui est naturel est bon. Donc tout ce qui modifie la nature est à poursuivre, à condamner. L’homme et la société passent au second rang. Comme dit Marcel Gauchet, « l’amour de la nature dissimule mal la haine des hommes ». (p.61)
=> notre analyse : Le discours d’Allègre montre qu’il ne connaît pas du tout la philosophie d’Arne Naess, inventeur du mot deep ecology. Claude Allègre ne semble connaître que l’analyse médisante de Luc Ferry. Arne Naess n’a en effet jamais tenu les propos que lui prête Allègre. D’autre part, critiquer une législation qui protégerait la nature et l’environnement paraît étrange de la part d’un homme en faveur de l’écologie réparatrice. Enfin une citation de Marcel ne peut remplacer une analyse.
- Le texte de Claude Allègre : « Luc Ferry distingue deux tendances. L’une, environnementaliste, pour laquelle l’homme est premier. Il faut aimer la nature d’abord par raison. La seconde attitude est celle qu’on appelle « l’écologie fondamentaliste » (deep ecology en anglais). Dans cette tendance, c’est la nature qui est première. Les environnementalistes sont des humanistes qui critiques le progrès de l’intérieur. Les éco-fondamentalistes sont hostiles au progrès et à l’humanisme, leurs critique sont externes. (p.71)
=> notre analyse : Luc Ferry explique plus précisément que « les sources de l’écologie profonde seront localisées dans une extériorité radicale à la civilisation occidentale ». Il ne s’agit pas pour l’écologie profonde de placer l’homme en premier ou en second, mais de préciser une réalité : l’espèce humaine n’est qu’une partie de la biosphère et doit donc le ressentir. C’est cette réalité biophysique que la civilisation occidentale nous a fait oublier, d’où les crises écologiques actuelles, effondrement de la biodiversité, réchauffement climatique, désertification des sols, etc. Si nous avions appliqué la pensée d’Arne Naess, « le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque, ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains. », nous n’en serions pas là.
- Le texte de Claude Allègre : « Lorsque les mouvements écologistes sont apparus, ils portaient un vrai message, celui de la nécessaire harmonie que l’homme devait trouver avec la nature. (p.76)
=> notre analyse : Arne Naess ne s’exprimerait pas autrement que Claude Allègre ! Comme quoi les procès d’intention nous empêchent de réaliser que nous avons un intérêt commun à défendre : l’harmonie écologique et sociale.
2009 Jean-Marc Jancovici (in C’est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde)
On trouve bien des choses excellentes chez Jancovici, mais malheureusement aussi une erreur beaucoup trop répandue en France, le dénigrement de la deep ecology :
« Le monde associatif a aussi ses extrémistes, typiquement les tenants de la « deep ecology » (ndlr : écologie profonde). Pour eux, c’est la nature qu’il faut sauver des hommes, qui ne sont que de sales pollueurs, et qui peuvent être sacrifiés si nécessaire. Dans l’esprit de ces mouvements, les seuls qui ont le droit à un avenir meilleur sont ceux qui n’ont jamais péché. »
Jancovici, avec des mots de condamnation sans preuves, s’appuie uniquement sur le roman de Michael Crichton, ce négationniste qui a brocardé le réchauffement climatique ! Soyons sérieux.
2010 Jean Aubin (in La tentation de l’île de Pâques)
- Le texte de Jean Aubin : « La disparition prématurée de l’espèce humaine n’est pas totalement exclue. Tant mieux répondent certains tenants de l’écologie profonde… Pour ceux-ci, l’homme, superprédateur, est devenu une espèce malfaisante. Le mieux qui puisse arriver est qu’elle disparaisse pour laisser vivre la planète. Cette attitude de haine contre l’homme s’oppose totalement à notre regard. Nous partons ici d’un a priori humaniste… » (page 27)
- Notre analyse, envoyée à Jean Aubin : L’expression « certains tenants » (de l’écologie profonde) permet de pouvoir relayer n’importe quelle rumeur, mais ce n’est pas très moral vis à vis de ceux qui savent vraiment ce que deep ecology veut dire. Jean Aubin reprend des accusations qui se retrouvent chez des gens comme Ferry ou Cl Allègre dans l’intention de nuire.
Le terme d’écologie profonde a été introduit par Arne Naess dans un article de 1973 « The shallow and the deep, long-range ecology movements ». On peut maintenant lire Arne Naess en langue française (éditions wildproject). Cette philosophie repose sur l’épanouissement de Soi, ce n’est pas un anti-humanisme mais au contraire un humanisme élargi. Loin de vouloir la disparition de l’espèce humaine, elle repose sur l’art de débattre et convaincre selon les méthodes gandhienne de la non violence.
- Réponse de Jean AUBIN à cette analyse : « Reproche mérité ! L'expression, "certains tenants" permettait, me semblait-il, d'apporter une distinction suffisante, mais cela ne semble pas être le cas : ma phrase reste maladroite et peut sembler jeter le discrédit sur ce courant de pensée. Peut-être aurais-je dû écrire certains déviants, ou mieux, ne rien écrire du tout sur un courant de pensée que je connais trop mal pour en parler... ça m'apprendra à ne pas faire le malin en parlant de ce qu'on connaît mal. Je vais essayer de trouver le temps de me familiariser davantage avec l'écologie profonde… »
2010 Géraud Guibert (in Tous écolos… et alors)
- Le texte de Géraud Guibert : « Dans la logique de l’écologie profonde, la question démographique est essentielle et la diminution du nombre d’homme sur terre est un axe stratégique majeur. » (p.53-54)
=> notre analyse : La question démographique ne résulte pas des préoccupations de l’écologie « profonde », mais du procès théorique fait à Malthus par Marx. Dans la réalité, la question démographique résulte de l’explosion démographique qui accompagne la révolution industrielle. D’ailleurs dans les années 1970, la préoccupation démographique était politiquement prise en compte. Dans le rapport préparatoire à la première conférence des Nations unies sur l’environnement (Nous n’avons qu’une terre de Barbara WARD et René DUBOS - Denoël, 1972), il était dit : « Nous savons que la stabilisation de la population mondiale est une condition de survie. Le ressources de la biosphère ne sont pas illimitées, tandis que la progression géométrique de la reproduction semble ne pas avoir de bornes. » Dans le programme de René Dumont pour la présidentielle de 1974 : « Il faut réagir contre la surpopulation. En Inde surpeuplée certes, mais surtout chez les riches : 500 fois plus d’énergie consommée par tête à new York que chez le paysan indien. Ce qui remet en cause toutes les formes d’encouragement à la natalité, chez nous en France. La France de 100 millions de Français chère à M.Debré est une absurdité. Les propositions du mouvement écologique : la limitation des naissances ; la liberté de la contraception et de l’avortement. Nous luttons pour le droit absolu de toutes les femmes de régler à leur seule convenance les problèmes de contraception et d’avortement. »
L’axe stratégique majeur de l’écologie profonde, qui est d’abord une philosophie (définie par Arne Naess), n’est pas la question démographique, mais la question des valeurs :
- le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains.
- la richesse et la diversité des formes de vie contribuent à l’accomplissement de ces valeurs et sont également des valeurs en elles-mêmes.
- Le texte de Géraud Guibert : « Les signes avant coureur d’une logique antihumaniste hautement contestable percent dans quelques cas. Dans la logique de l’écologie profonde... »
=> notre analyse : Arne Naess rejette le dualisme cartésien et prône la non-violence. On ne peut certainement pas dire qu’il s’agit d’une « logique antihumaniste ». Dans un livre paru récemment en France, J.Baird Callicott fait clairement le point sur la question de l’écofascisme :
« L’éthique de la terre serait un cas de fascisme environnemental. Une population humaine de six milliards d’individus est une terrible menace pour l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Comme notre population s’accroît à un rythme effréné, notre devoir serait de provoquer une mortalité humaine massive.
Mais l’éthique de la terre n’implique aucun conséquence cruelle ou inhumaine. Cette éthique ne remplace ni ne recouvre les progrès moraux qui ont précédé. Les sensibilités et les obligation morales antérieures demeurent valides et prescriptives. Le fait que nous reconnaissions appartenir à une communauté biotique n’implique nullement que nous cessions d’être membres de la communauté humaine. L’éthique de la terre est une accrétion (une addition) aux éthiques sociales accumulées jusqu’à elle, et non quelque chose qui serait censé les remplacer. Notre souci est seulement d’étendre la conscience sociale de manière à y inclure la terre. »