« Le rédacteur des discours présidentiels s’efforçait de définir quelques lignes claires qui puissent structurer le traditionnel « discours d’investiture » que le président Truman devait prononcer le 20 janvier 1949. Trois idées firent rapidement l’unanimité, l’ONU, le plan Marshall et l’OTAN. Un fonctionnaire suggéra d’ajouter une extension aux nations défavorisées de l’aide technique jusqu’ici apportée à quelques pays d’Amérique latine. Après quelques hésitations, l’idée fut finalement retenue parce qu’elle constituait un public relations gimmick (un hochet médiatique), au contraire des trois premiers points assez conventionnels. Au lendemain du discours présidentiel, la presse américaine fit donc ses gros titres sur le « Point IV », même si personne, pas même le président, ne pouvait en dire plus que ce que chacun avait lu :
« Quatrièmement, il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration de la croissance des régions sous-développées. Plus de la moitié des gens de ce monde vivent dans des conditions voisines de la misère. Leur vie économique est primitive et stationnaire. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace tant pour eux-mêmes que pour les régions les plus prospères… Une production plus grande est la clef de la prospérité et de la paix. Le point IV impose simplement une nouvelle norme qui permet aux Etats-Unis de prendre la tête du classement : le produit national brut. »
L’intérêt du point IV tient aussi à la manière dont il est structuré. Il peut se décomposer en quatre parties. La première rappelle la situation désespérée dans laquelle vivent plus de la moitié des gens de ce monde. Puis on annonce une bonne nouvelle : « Pour la première fois de l’histoire », le bonheur est à portée de main. A condition toutefois de produire plus, d’investir, d’intensifier les échanges. Alors, si l’on saisit cette chance, s’ouvrira enfin une ère de paix et de prospérité dont tous profiteront. Un évangéliste américain ne dirait pas autre chose. L’audience de ce discours dépassait d’ailleurs largement les Etats-Unis puisqu’elle reposait sur une croyance partagée non seulement par le monde chrétien mais par tous les adhérents d’une religion du salut.
En profitant de cette homologie de structure avec le discours religieux, la nouvelle croyance au « développement » assurait sa crédibilité. Du même coup, l’interrogation sur le « développement » deviendrait impossible : on ne s’attaque pas à une croyance qui détermine un programme visant au bonheur universel.
(Le développement, histoire d’une croyance occidentale de Gilbert Rist)