Ministre de l’écologie, tâche impossible
Bi-mensuel BIOSPHERE-INFO n° 339 (16 au 30 novembre 2014)
Voici en résumé le long martyr des différents ministres de l’écologie en France. Qu’ils soient de droite ou de gauche, leur statut reste quasiment le même : un ministre de l’écologie, ça ferme sa gueule sinon il est démissionné d’une façon ou d’une autre.
Robert Poujade, ministre chargé de la protection de la nature et de l’environnement (1971-1974)
Dans son livre-témoignage, Le ministère de l'impossible (Calmann-Lévy, 1975), Robert Poujade s'appuie sur sa propre expérience pour montrer l'impossibilité d'une politique écologique au sein de gouvernements obnubilés par le PIB. « C'est intéressant, votre ministère. Il ne devrait rien coûter à l'Etat », entend-il dès son arrivée. « Vous n'aurez pas beaucoup de moyens. Vous aurez peu d'action très directe sur les choses. » prévient le président de la République Pompidou. Ses bureaux, composés à la hâte avec des paravents, ne sont pas fonctionnels : « Avec 300 fonctionnaires et un budget minuscule, il me fallait infléchir – essayer d'infléchir ! - la politique d'une douzaine de ministères, disposant d'administrations puissantes, et de très grands moyens. » Les autoroutes se multiplient, le ministère de l'Environnement a le droit d'émettre un avis sur le tracé, en aucun cas de s'interroger sur le bien-fondé de la bétonnisation. Alors que Pompidou martèle qu' « il faut adapter la ville à l'automobile », détruit des anciens quartiers pour dérouler des voies express, ferme des réseaux de chemin de fer, développe l'agriculture intensive à grands déversements d'engrais et de pesticides, Robert Poujade est réduit à l'impuissance : « J'ai souvent ressenti avec amertume la force des intérêts privés et la faiblesse de l'Etat. J'ai eu trop souvent le sentiment de lutter presque seul contre des entreprises que tout aurait dû condamner… On accepte de subventionner n'importe quelle activité sous la pression des intérêts privés, mais beaucoup plus difficilement de prélever une part très modeste de profits faits au détriment de la collectivité, pour lui permettre de réparer des dommages... La civilisation industrielle a préféré le rendement immédiat à la protection des ressources naturelles. »
Corinne Lepage, ministre de l’environnement (1995-1997)
Corinne Lepage tire de son expérience le livre On ne peut rien faire, Madame le ministre (Albin Michel, 1998) : « Il est un abîme entre la manière dont l’immense majorité des politiques croient pouvoir traiter les questions écologiques et ce qui serait, en réalité, impératif pour répliquer de manière efficace aux périls… Le principe d’intégration qui veut que l’environnement soit intégré en amont de tous les choix publics est piétiné… Les ministères de l’agriculture, de l’industrie, des transports, de la santé, gèrent désormais seuls ou presque les pesticides et les nitrates, les choix énergétiques, le bruit des avions et les pollutions de la mer… Le ministère de l’agriculture sera celui des agriculteurs, le ministère des transports celui des transporteurs… : cette organisation verticale est en contradiction totale avec les impératifs de la gestion des systèmes complexes qui appellent à l’horizontalité. »
Dominique Voynet, ministre verte à l’Environnement et à l’Aménagement du Territoire (1997-2001)
En passant un accord électoral avec le Parti socialiste en vue des élections de mai-juin 1997, la direction Verte se condamnait par avance à une situation intenable : comment contester une politique dès lors qu’on doit "tout" - en tout cas ses représentants à l’Assemblée - au parti qui la pilote ? D’emblée, Dominique Voynet a choisi une stratégie de conservation de son poste qu’aucune avancée réelle n’est venue justifier. Dès les premières semaines de participation gouvernementale, il n’était plus question, dans ses propos, de "sortie du nucléaire", mais de "sortie du tout-nucléaire". Elle a légitimé de fait le retraitement et l’enfouissement des déchets radioactifs. Elle a également cautionné la mise en culture du maïs Novartis. La loi Voynet a instauré une ouverture de la chasse dès le 1er septembre. En 1998, les aides au carburant professionnel des routiers étaient officialisées - ce que les transporteurs n’avaient pu obtenir ni de Balladur ni de Juppé. S’agissant des autoroutes, on a assisté à une relance des chantiers (A 87, A 89, A 19, A 48, etc.), alors même que les accords Verts-P.S. prévoyaient un moratoire…
Pour en savoir plus : http://ecorev.org/spip.php?article310
Roselyne Bachelot, ministre de l’écologie et du développement durable (2002-2004)
Sa vision très particulière de l'écologie l’amène à dire des phrases qui devraient devenir culte : « On n’efface pas en quelques jours les blessures et la défiance qu’a engendrées l’attitude sectaire de mes prédécesseurs à l’égard de la chasse et des chasseurs » ; « L’été 2003 apparaîtra comme un été frais en 2100 » ; « Garer sa voiture à l'ombre évite d'avoir à mettre la clim trop fort » ; « Obliger à réduire la vitesse des voitures ne sert pas à grand-chose si les automobilistes ne l'observent pas » ; « Maintenant, je sais que l'essentiel c'est le réchauffement climatique et les problèmes liés à l'énergie. Et je persiste à penser que l'énergie nucléaire est la moins polluante »…
"A l'évidence, c'est une erreur de casting", avait estimé à l’époque Nicolas Hulot à propos de Roselyne Bachelot.
2004 - 2014 : dix ans et autant de ministres en charge de l'écologie
Un ministre par an en moyenne ! C'est actuellement le rythme effréné de l'alternance au ministère en charge de l'écologie. Une décennie qui montre clairement l'extrême fragilité de ce poste trublion au sein des gouvernements successifs : Serge Lepeltier (mars 2004), Nelly Ollin, Alain Juppé, Jean-Louis Borloo, Nathalie Kosciusko-Morizet, François Fillon, Nicole Bricq, Delphine Batho, Philippe Martin, Ségolène Royal (avril 2014…).
Serge Lepeltier, ministre de l'Écologie et du Développement durable (mars 2004-2005)
Serge Lepeltier a été tout de suite invalidée par ses amis de droite. Quand le ministre de l’écologie proposait de relancer la taxe azote pour étayer une véritable loi sur l’eau, le ministre de l’agriculture H.Gaymard se contentait de dire que l’agriculture n’était pas en mesure de supporter un prélèvement supplémentaire. Quand le ministre de l’écologie annonçait publiquement la mise en place d’un système bonus-malus à l’achat de voitures neuves destiné à limiter l’effet de serre, il ne trouvait en face de lui que papotage et indifférence de la part des députés UMP. Raffarin contredisait ensuite S.Lepeltier par un arbitrage défavorable : la mesure phare du plan climat était étouffée dans l’œuf.Quand H.Gaymard marquait son opposition aux propositions de la Commission européenne qui voulait réduire les captures de poissons, J.Chirac se rangeait à ses côtés en réclamant une « vraie étude de fond, scientifique » sur l’état des ressources halieutiques alors que les recherches de l’Ifremer étaient incontestables.
Ce que disait Serge Lepeltier dans son allocution de départ reste toujours d’actualité :« J'ai réalisé que les enjeux environnementaux sont plus considérables qu'on ne le dit et qu'il est urgent de mettre l'environnement au cœur de toute politique. Les décisions qu'on a prises ne sont pas suffisantes, loin de là, mais j'ai dû entrer dans le système existant, et je pense qu'il faut totalement le changer. Mon ministère est un ministère qui dérange, l'empêcheur de tourner en rond. Alors ceux que l'on dérange, les représentants d'intérêts particuliers, ne souhaitent qu'une chose, c'est qu'il n'existe pas. C'est ma crainte. On ne le supprimera pas, c'est impossible politiquement. Mais, sans le dire, on risque de n'en faire qu'une vitrine. »
Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’Etat à l’écologie en 2009
Le 9 avril 2009, NKM laisse voter à l’Assemblée nationale un amendement déposé par l’opposition destiné à limiter la culture des OGM. Après avoir dénoncé « une armée de lâches » (le président du groupe UMP et son ministre de tutelle, Jean-Louis Borloo) dans une interview au journal LE MONDE, ayant rompu les règles de solidarité au sein du gouvernement, elle a été contrainte par le Premier ministre, François Fillon, à présenter des excuses publiques. Dans son livre « Tu viens ?» (Gallimard, 2009), NKM se contente de brosser les souliers de Sarkozy, ce qui lui vaudra de devenir ministre. Cela ne l’empêche pas d’écrire : « J’ai porté à l’Assemblé nationale les questions de l’impact sur la santé des pollutions chimiques, des pesticides, des ondes électromagnétique... Je me suis heurté à des réticences qui tiennent beaucoup à un difficile rapport au savoir scientifique… C’est l’inscription du principe de précaution dans la Constitution qui a suscité le plus de heurts et qui a été perçue par certains de mes pairs comme une véritable agression… »
Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat chargée de l’écologie (janvier 2009 – novembre 2010)
« Quand on a des convictions, qu’on est ministre, mais que le gouvernement prend une décision avec laquelle on n’est pas d’accord, que faire ? Quand on doit expliquer que les restrictions budgétaires pour l’environnement, c’est normal, alors qu’on n’en pense pas un mot ? On m’a fait venir au gouvernement en me disant « on veut une écolo moderne ». En fait, ils voulaient l’image, mais pas le son. Et moi, j’ai produit du son ! J’étais en désaccord avec le premier ministre François Fillon sur la construction du circuit de formule 1 dans les Yvelines, ou la taxe carbone, je l’ai dit. On me l’a reproché. « Maintenant que tu es ministre, tu n’es plus une militante, mais une politique » m’a dit François Fillon. Sous-entendu : tu dois savoir taire tes convictions. C’est castrateur d’être au gouvernement. on a le choix entre se taire, pour espérer faire avancer ses dossiers, ou dire ce qu’on pense et abandonner l’idée de peser dans l’action gouvernementale. »
Télérama (7 août 2013)
Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (novembre 2010 -février 2012)
Le 6 mars 2010, Sarko lâchait au Salon de l’agriculture : « Je voudrais dire un mot de toutes ces questions d’environnement. Parce que là aussi, ça commence à bien faire… » Lorsque NKM quitte ce ministère, 90 % des décrets de la loi dite « Grenelle II » ont été publiés, mais ils sont complètement dénaturés, vidés de leur substance.
Nicole Bricq, ministre socialiste de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (mai 2012 – juin 2012)
Limogée par le premier ministre Jean-Marc Ayrault parce qu’elle avait suspendu tous les permis de forages exploratoires d'hydrocarbures au large de la Guyane, ce qui n’a pas plu aux lobbies pétroliers. Ayant obtenu un autre ministère, celui du commerce extérieur, elle ne laissera aucune trace publique de ses sentiments envers le pouvoir.
Delphine Batho, ministre socialiste de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (juin 2012 – juillet 2013)
Limogée par le premier ministre Jean-Marc Ayrault parce qu’elle contestait la faiblesse du budget qui avait été attribué à l’écologie, Delphine Batho a écrit un livre à charge contre son propre camp, Insoumise (Grasset, 2014) : « Depuis presque trente ans, depuis mon adolescence, j’attendais l’élection d’un président de gauche. Je n’imaginais pas une telle déconvenue. Voici le récit, étape par étape, de la façon dont l’influence des milieux financiers et industriels s’est installée au cœur du pouvoir. J’ai décidé de dire la vérité sur les dérives de la gauche au pouvoir et les raisons pour lesquelles j’ai été brutalement limogée par le premier ministre le 2 juillet 2013... Cher François (Hollande), « après m’avoir limogée, tu as dit « avoir des convictions c’est bien, agir c’est mieux ». Aujourd’hui les Français n’ont ni les résultats de l’action, ni les convictions… Je sous-estimais, avant d’occuper les fonctions de ministre de l’Ecologie, la vigueur du lobby pétrolier en France... Que Henri Proglio, qui préside EDF, défende son point de vue est une chose, qu'il gagne presque tous les arbitrages en est une autre. Ce que je refusais, il l'obtenait du Premier ministre directement. Quand il est apparu que le projet de loi sur la transition énergétique renoncerait à se donner les moyens d'atteindre l'objectif du président de la République sur la réduction de la part du nucléaire, j'ai fini par appeler avec ironie Henri Proglio le "ministre fantôme" de l'Énergie pour dire à quel point ce n'est pas l'État qui dirige EDF, mais à l'inverse le patron d'EDF qui semble diriger l'État… Les lobbies industriels sont forts et puissants. Mais ils sont surtout forts de la faiblesse des gouvernants en face d’eux…. »
Ségolène Royal, ministre socialiste de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (2014….)
A peine nommée ministre, Ségolène Royal prône une écologie « positive », ou plutôt le refus d'une « écologie punitive ». Elle suspend « sine die » le dispositif de l'écotaxe, simples prémices d’une véritable taxe carbone, décide de prendre en considération « La détresse des éleveurs et de leurs familles » en facilitant les tirs contre ces animaux protégés, annonce qu’il n’y aura pas de hausse des tarifs d’EDF le 1er août : « J'efface la hausse de 5 % »…
Mais est-ce là vraiment de l’écologie ?