Du féminisme à l'antispécisme
L’inventeur des jeux olympiques Pierre de Coubertin pensait qu’une olympiade femelle serait impraticable, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Une branche du féminisme croit encore qu’il y a une différence naturelle de comportement entre l’homme et la femme… Le sens de l’égalité entre l’homme et la femme n’est pas une donnée de nature, c’est un long combat qui devrait rapprocher les hommes et les femmes de bonne volonté.
Il n’y a pas d’inégalité entre les sexes, il n’y a pas d’inégalité entre les différentes branches ethnique de l’espèce humaine, il n’y a pas d’inégalités entre les humains et les non-humains. Le féminisme est un préalable à une meilleure considération des relations entre tous les êtres vivants.
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J’aurais aimé être hermaphrodite, un temps mâle et un temps femelle, goûter aux plaisirs des deux sexes. Mais ce n’est pas la peine puisque je suis féministe. Il n’y a pas d’inégalité entre les sexes, il y a seulement quelques différences physiques secondaires. Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours été féministe, en faveur de l’égalité totale des hommes et des femmes. Pourquoi ? Difficile à dire. D’autant plus que mon contexte familial et social ne s’y prêtait guère. Ma mère ne pouvait rien faire sans l’aval de mon père. J’étais entouré par des garçons, mon frère et tous mes cousins germains étaient des garçons, sauf l’unique Fabienne. J’ai toujours vécu des classes non mixtes. Jusqu’à la terminale. C’était ainsi, à l’époque, dans les grandes villes : école de garçon, école de fille, lycée de garçons, lycée de filles. Après le bac, j’ai choisi une classe préparatoire uniquement parce qu’elle était mixte, ainsi va de l’orientation professionnelle, mélange de hasard et de déterminisme, croisement des frustrations et des envies.
Depuis plus de 2000 ans la Bible n’autorisait ni n’interdisait à une femme d’être pasteur. Mais c’est seulement en 1949 qu’Elisabeth Schmidt a été la première femme consacrée pasteur dans l’Eglise réformée de France. Ni dieu, ni la nature ne disent rien du statut des femmes, et on ne peut même pas faire confiance à la démocratie quand il n’y a que des hommes qui la fréquentent. Il est de bon ton aujourd’hui de se moquer de la sourate du Coran qui affirme que « les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordé sur elles ». Mais la patrie des droits de l’homme est restée bien longtemps sur cette ligne sexiste. En 1793, la loi interdit aux femmes françaises de faire partie d’un club, donc d’acquérir une conscience politique. En 1804, le code civil de Napoléon fait des femmes des mineures à vie, sans droit sur elles-mêmes et leurs biens. En 1848, le suffrage universel n’est accordé qu’aux hommes. En 1902, Marie Curie est le premier docteur en sciences physiques, elle obtient le prix Nobel de physique en 1903, mais l’Académie des sciences refusera de lui ouvrir ses portes. En 1922, le sénat refuse le droit de vote aux femmes, pourtant accepté par les députés en 1919. En 1946, la Constitution française proclame l’égalité des droits des hommes et des femmes dans tous les domaines, mais ce n’est qu’en 1965 que la femme pourra exercer une profession et ouvrir un compte en banque sans autorisation de son mari et seulement en 1970 que l’autorité parentale se substituera à la notion du père comme chef de famille. Je ne l’ai su que beaucoup plus tard !
C’est avec Jean Rostand à 22 ans que je découvre en 1970 la diversité sociologique du statut de la femme. Chez les Arapesh, il existe un seul type sexuel de comportement social, et qui correspond au type féminin des nations occidentales. Chez les Mundugumors, c’est le type masculin qui est privilégié par les deux sexes. Quant aux Tchambuli, nous retrouvons les deux types habituels chez nous, mais inversés. Je trouve à la même époque ce constat chez François de Closets : « Jamais un journal féminin n’abordera un sujet scientifique ou technique. En revanche, on abreuvera les lectrices de psychosociologie. Ainsi se crée un conditionnement culturel qui incite insidieusement les filles à se détourner des sciences exactes et à se tourner vers les humanités, le droit ou les sciences humaines. »
En janvier 1971 dans Partisans, un dossier Libération des femmes, année zéro : « La contradiction fondamentale du féminisme : l’ouvrière n’aspire qu’à quitter un travail épuisant, la bourgeoise revendique le droit de travailler qui la libère économiquement et lui permet de participer à la vie sociale… Pour Olympe de Gouges au moment de la révolution française : les femmes ont le droit de monter à l’échafaud, elles doivent avoir celui de parler à la tribune… L’équivalent de misogyne n’existe pas … A la lumière de ce que la société attend des femmes, ce qui est étonnant n’est pas que les femmes se retrouvent où la société veut les voir, ce qui est étonnant c’est que jusqu’au lycée les petites filles ne pigent pas qu’elles sont censées être stupides et que certaines femmes se refusent à le comprendre même après le lycée et l’université. » Freud en arrivait même à écrire : « Je pense que l’infériorité intellectuelle de tant de femmes, qui est une réalité indiscutable, doit être attribuée à l’inhibition de la pensée, inhibition requise par la répression sexuelle. »
J’écris le 15 janvier 1971 à ma copine préférée Marianne : « … Je n’aime pas les gens qui ne parlent que de féminité ou de virilité, il me semble que c’est juste une étiquette commode et méprisante. L’homme et la femme sont à égalité. Les qualités de courage devant la guerre ou devant un tas de vaisselle ne sont pas l’attribut exclusif de l’homme ou de la femme. Il n’y a qu’une différence entre nous, je ne peux porter un enfant ni l’allaiter. Pour le reste, le premier pas, être dessus ou dessous, torcher les gosses, c’est féminin ET masculin… » C’est toujours la raison raisonnante qui importe dans mes échanges amoureux, pas le sentiment ou si peu. La capacité de réflexion est-elle une contre-indication à l’amour ? Ma relation avec Marianne n’a pas survécu…
A partir de 1975-76, ma vie professionnelle de professeur de SES va me permettre de mettre en application mes convictions et de faire cours sur le féminisme. Avec les élèves de seconde, nous nous interrogeons sur la notion d’actif/inactif. La notion officielle de l’activité fait que la femme au foyer n’est pas comptée dans le PIB. Je raconte la blague du médecin qui épouse sa femme de ménage… le PIB diminue ! J’organise un débat genre « les femmes doivent-elles rester à la maison ? ». J’interroge les élèves : « Que connaissez-vous comme métier spécifiquement masculin… ou féminin. » On m’a sorti un jour « ouvrir les huîtres, masculin ». Pour faire plus sérieux, nous analysons des statistiques sur le double travail des femmes ou les taux d’activité comparés masculin/féminin, nous commentons des dessins mettant en image le machisme ambiant. On étudiait un texte de Simone de Beauvoir (Le deuxième sexe - 1949) dans lequel se trouvait ma phrase fétiche « On ne naît pas femme, on le devient ». Une autre manière de montrer que tout est culturel, issu d’une socialisation, y compris bien sûr les inégalités.
Je raconte que la nature de la femme ne dit rien de son statut par rapport à l’homme : le comportement humain est déterminé par un conditionnement culturel. Il n’y a pas d’éternel féminin, il y a des cultures diverses qui produisent telle ou telle image de la femme. Les parents sont les premiers responsables d’une différenciation des rôles injustement fondée sur une différence biologique. Les jouets offerts varient selon le sexe de l’enfant, l’activité qu’on propose aux jeunes varie selon leur genre, et même la manière de s’adresser au bébé. On a filmé des adultes au moment où - penchés au-dessus d’un berceau - ils tendent une poupée à un bébé de quelques jours. Ils approchent leur visage très près de bébé-fille, sourient, vocalisent, agitent le poupon jusqu’à toucher le visage de l’enfant, bref ils chargent ce jouet d’une affectivité chaleureuse. Pour le bébé garçon, la poupée est tendue en silence, à bout de bras, sans regarder l’enfant. Parfois même le jouet tombe tellement il est mal tenu, et les femmes plus encore que les hommes différencient leur comportement selon le sexe du bébé. L’égalité des sexes progresse dans les jeunes esprits de mes élèves… un peu !
Je perfectionne mes propres connaissances en la matière. Dans la détermination du sexe, le rôle du chromosome Y est simple, mais capital : il détermine la masculinité du fœtus. Mais pendant les premières semaines de vie de l’embryon humain, les organes génitaux internes et externes sont indifférenciés entre les individus XX et XY. Les gonades peuvent se transformer en testicules ou en ovaires, les organes génitaux externes à l’origine indifférenciés se transforment soit en pénis et scrotum, soit en clitoris et vulve. La différenciation est minime, ovaires et testicules produisent les deux types d’hormone, androgènes et oestrogènes, d’ailleurs très voisines sur le plan chimique. Seul leur taux relatif dans l’organisme fait basculer les caractères sexuels vers le féminin ou vers le masculin. Oui, on ne naît pas femme, on le devient. Je crois me souvenir que Simone de Beauvoir écrivait que dans son déroulement naturel, un bébé a un comportement androgyne. Le cri primal, le sevrage se déroulent de la même manière. C’est à travers la bouche, les mains et les yeux que les nourrissons des deux sexes appréhendent l’univers. Ils explorent leurs corps avec la même curiosité et la même indifférence, ils ont les mêmes intérêts et les mêmes plaisirs, ils ont la même jalousie s’il naît un nouvel enfant. Jusqu’à douze ans, la fillette est aussi robuste qu’un garçon du même âge, et les capacités intellectuelles sont similaires tout au cours de la vie. Ce n’est pas la nature qui, pendant des siècles, a empêché les femmes d’aller à l’université, mais des élites masculines qui ne veulent pas partager leurs propres pouvoirs, aidées par des femmes qui ont intériorisé une impuissance factice.
Nous sommes tous androgynes. C’est l’intervention d’autrui dès les premiers moments du nourrisson qui va sexer notre sentiment d’appartenance. L’homme peut être très maternel et la femme très virile, réclamer l’égalité des salaires et les plus hautes fonctions politique tout autant que les rôles militaires les plus dangereux. Je suis féministe. J’ai donc épousé en 1977 une féministe, enfin, quelqu’une que je croyais féministe. Françoise me racontait que le port du pantalon lui était interdit à une époque, je n’en croyais pas mes oreilles. J’ai commencé par pratiquer le mondes des échecs, faisant des animations dans l’école Freinet où allait son fils Frédéric. Je savais que l’homme et la femme font preuve des même capacités cérébrales quand on ne les a pas étouffées. Mais la Fédération française des échecs organisaient des compétitions de jeunes séparées selon les sexes, poussins d’un coté, poussines de l’autre, et ainsi de suite. L’égalité des sexes n’est que théorique. Dans la pratique, les gens s’acharnent à ne pas en vouloir. Mon domicile a été en 1979-1980 le siège d’un groupe femme que je laissais se réunir entre elles puisque la libération de la femme sans le poids des hommes leur semblait être une nécessité. Je ne croyais pas que le féminisme soit l’apanage des femmes, mais je voulais faciliter leur prise de parole. Lors de mon divorce, toutes les femmes du groupe femme ont pris partie contre moi ! Je reste toujours féministe. Préjugés et méchancetés n’ont pas de prise sur ma capacité de raisonner.
Plus tard dans les années 2000, j’accéderais à un niveau de compréhension supérieur, estimant qu’il y a en principe égalité entre tous les êtres vivants. L’espèce humaine n’est qu’un maillon de la chaîne du vivant, nous n’avons pas à dominer les femmes ou la nature, nous devons respecter tout ce qui n’est pas « nous ». Tous les êtres vivants ont des droits égaux à l’existence dans le cadre des équilibres biologiques. Le respect des animaux par l’homme est inséparable du respect des hommes entre eux, du respect des femmes par les hommes, du respect des différentes minorités visibles. D’une manière ou d’une autre, une société biocide qui tue à outrance et combat à coup de pesticides les insectes, les champignons (fongicides) et les « mauvaises » herbes (herbicides), les escargots, les « nuisibles » et même les vers de terre s’en prend à elle-même. Nous devrions renoncer au spécisme. Ce mot vient de l’anglais speciesism, introduit en 1970 par Ryder par analogie avec racisme et sexisme : le spécisme est une discrimination selon l’espèce. Il n’y a pas là de dérapage antihumaniste, seulement la volonté d’élargir notre humanisme anthropocentré à l’ensemble de notre Biosphère. Nous aurions beaucoup à y gagner, à commencer par l’acquisition du sens des limites : notre goût de la domination ne devrait pas conduire à la mise en esclavage de tout ce qui n’est pas humain.
Mais mon interrogation la plus brûlante au cours de ma vie fut de trouver les limites de la procréation : combien d’enfants faudrait-il avoir ?
Pour lire la suite, en choisissant son propre chemin :
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde