L’activité agricole joue un rôle central dans la manière dont une société s’inscrit dans son territoire, c’est-à-dire à la fois dans l’espace et dans le temps, et dans sa fonction première de nourrir l’humanité. Quelques extraits de cette revue critique d’écologie politique:
1/3) La destruction des sols (Emmanuel Bourguignon)
Depuis l’invention de l’agriculture sédentarisée il y a 10 000 ans environ, l’humanité a créé deux milliards d’hectares de désert, dont un au cours du XXe siècle. La mort d’un sol se déroule en trois étapes. En premier lieu arrive la mort biologique, elle est la plus commune. Elle commence avec les apports d’engrais qui favorisent la minéralisation de la matière organique. Privé de nourriture, la biomasse de la faune du sol s’effondre. Elle s’accélère depuis la fin de la seconde guerre mondiale par l’utilisation massive des pesticides qui détruisent les vers de terre et la microfaune (collemboles, cloportes, etc.), les champignons et les microbes. Le LAMS (laboratoire d’analyse microbiologique des sols) a noté plus d’activité biologique dans des zones très désertifiées en Tunisie que dans certains sols français ou espagnols ! Le sol devient progressivement incapable de retenir les éléments tels que la potasse, l’azote, le manganèse, le phosphore, qui sont solubilisés dans l’eau. A ce stade, le sol peut s’acidifier de manière irréversible et va ensuite rentrer dans sa phase ultime de dégradation, la mort physique. Un des facteurs de mort physique est la désertification qui touche 4 millions d’hectares par an. Autre fléau, plus discret, la salinisation, responsable de la désertification de 6 millions d’hectares tous les ans.
L’agronomie actuelle a fait une erreur fondamentale dans son approche du sol ; elle l’a considéré comme un simple support inerte sur lequel il suffisait de mettre des engrais et des pesticides. On a réduit l’agriculture à de la gestion de pathologies végétales sur sol mort, on a oublié que le sol était un milieu dynamique et vivant. Mais on se rend compte que les rendements chutent dans tous les pays.
2/3) Stocker du carbone dans le sol, un enjeu majeur (Claude Aubert)
Le sol est le plus grand réservoir de carbone de la planète, avec 615 milliards de tonnes dans les vingt premiers centimètres et 2334 milliards jusqu’à une profondeur de trois mètres. Ce stock a considérablement diminué au cours du XXe siècle en raison de l’intensification de l’agriculture, de la généralisation des labours profonds dans les pays développés, de la transformation de centaines de millions d’hectares de prairies en terres cultivée et enfin de la déforestation. En France, les sols agricoles ont perdu environ 6 millions de tonnes de carbone par an entre 1990 et 2004 ; dans les sols limoneux en grande culture du Bassin parisien ne recevant pas de fumure organique, la teneur en carbone du sol a diminué de 60 % en 50 ans. Tout au long du XXe siècle, l’agriculture a donc contribué de façon importante aux émissions de CO2 en émettant dans l’atmosphère une partie du carbone accumulé dans le sol depuis des millions d’années.
Il faut donc apporter au sol du fumier et du compost, restituer les résidus de récole, semer des engrais verts, enherber les vignobles et les vergers, planter des haies, etc. Mais le moyen le plus efficace d’apporter du carbone est de changer l’utilisation des sols, en transformation une partie des sols cultivés soit en prairies permanentes, soit en forêt.
3/3) l’agriculture biologique peut nourrir l’humanité (Jacques Caplat)
Deux études récentes ont évalué séparément la production alimentaire que permettrait un passage de la planète à l’agriculture biologique. L’université du Michigan (USA) a extrapolé les rendements de l’agriculture biologique grande région par grande région. Cela permet de très larges excédents, 4831 kilocalories par jour et par personne. De son côté l’institut danois des sciences agricoles a évalué une production bio planétaire en appliquant un modèle validé par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires de la Banque mondiale, considéré comme l’algorithme le plus abouti en matière de prévisions alimentaires : l’agriculture bio serait largement capable de nourrir l’humanité.
L’agriculture biologique ou agro-écologie est cependant une agriculture fondamentalement vivrière. Par exemple les ceintures maraîchères qui se convertissent en bio au Brésil ne cherchent aucun certification pour l’exportation, elles tendent uniquement à approvisionner les marchés urbains (ndlr : Défendre simultanément la relocalisation et la compétitivité sur les marchés mondiaux apparaît comme une imposture). L’agro-écologie est aussi un système plus résilient que l’agriculture conventionnelle. Elle est capable de mieux résister aux perturbations crées par le réchauffement climatique.