Ce livre résume agréablement ce qu’il faut savoir de la montée de l’écologisme et de ses perspectives. Par exemple Christian Araud décrit non seulement le rapport sur les limites de la croissance (1972), mais aussi le précurseur Jay Forrester et son modèle World1 et 2 ainsi que les actualisations du rapport : Beyond the Limits en 1992 et Limits to Growth. The 30-year update (2004). Le constat sur l’état de la planète paraît tellement réaliste et accablant que Christian Araud ne voit de réponse à la crise que dans la décroissance. Mais attention, il faut selon lui différencier une objection de croissance qui tâtonne et s’en tient encore au niveau théorique et un mouvement de la transition tel que défini par Rob Hopkins. C’est là le cœur de cet essai, une praxis qui découle de la permaculture dont Christian Araud est un fin connaisseur. Des groupes de travail dans différentes communautés peuvent accroître la résilience et réduire le bilan carbone, le tout aboutissant à des PADE (plans d’Action de descente énergétique). Entre simplicité volontaire réduite à un acte individuel et entrisme (« vaste programme ») dans un parti politique, cette expérience de transition lui paraît la plus satisfaisante. L’expérience nécessite une équipe « extraordinaire », ce n’est pas rien que de faire bouger les gens (p.137). La décroissance est anti-productiviste, anti utilitariste et anticapitaliste, la transition est un mouvement « populaire » (p.163).
La voie paraît claire, mais les obstacles sont innombrables, listés dans le chapitre 3 « Cassandre ou Jonas ? » : le mimétisme, l’interaction spéculaire, le déni, la défense des intérêts acquis, la complicité des médias, la classe dirigeante, le poids de la complexité, etc. C’est pourquoi Christian Araud termine sur une note pessimiste : « Avec l’arrivée de situations catastrophiques, la violence va apparaître comme la seule solution dans une atmosphère de panique… Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une violence d’Etat, au service d’une oligarchie qui maintient un semblant d’ordre… » Pédagogie de la catastrophe pour que la catastrophe n’arrive pas ? Christian Araud rajoute in fine, se fiant à son expérience personnelle d’individu privilégié ayant un âge assez avancé : « Il est plus amusant de s’engager à fond dans des expériences de transition que de jouer au golf ou au bridge. » Voici quelques extraits :
1/3) les certitudes de l’analyse systémique
Jay Forrester fait une première modélisation du monde pour conclure en 1971 à la nécessité d’appliquer une série de réductions drastiques à mettre en œuvre immédiatement, comme par exemple l’usage des ressources naturelles réduit de 75 %. Pour le rapport du Club de Rome en 1972, l’effondrement est inévitable avant 2100 à moins de limiter volontairement la population comme la production industrielle à un niveau compatible avec les possibilités de la planète. Les technoïdes à l’époque ont évidemment condamné le « retour à la lampe à huile » sans reconnaître la doctrine du groupe Meadows : « pas d’opposition aveugle au progrès technologique, mais opposition au progrès aveugle ! » E, 1992, la même équipe de chercheurs du MIT publie une version révisée du rapport de 1972 : La transition vers une société soutenable nécessité de préférer la sobriété, l’équité et la qualité de la vie à la quantité. Cela nécessite plus que de la productivité, plus que de la technologie ; cela exige de la maturité, de la compassion et de la sagesse. Les mêmes utilisateurs du modèle World3 lancent un ultime avertissement en 1994, Limits to Growth. The 30-year update.
Une remarque mi-ironique, mi-amère, des auteurs compare leur action pour la prise en compte des limites, ainsi que celle des écologistes auprès des décideurs mondiaux, avec celle des économistes libéraux, soutenant la mondialisation et la liberté universelle du commerce. Victoire sans conteste des économistes sur les écologistes, au moins pour le moment. Une chose est frappante, c’est la similarité entre ces modélisations et le rapport du GIEC : la pollution globale dans l’atmosphère, due aux gaz à effet de serre, évolue de manière exponentielle.
2/3) Permaculture et autres solutions
Par opposition avec l’agriculture industrielle, dans l’agroécologie c’est la terre vivante qui fait presque tout le travail, aidée bien sûr par la main attentive du paysan. La permaculture accentue encore sa spécificité par rapport à l’agriculture industrielle. En particulier, elle insiste sur le « permanent », en privilégiant les arbres et les cultures pérennes. De manière générale, elle est fondée sur la connaissance pratique des interactions des divers éléments de l’environnement. Les pesticides ne sont plus nécessaires grâce à la complémentarité des espèces animales et végétales. Le concept s’est étendu du champ cultivé à l’organisation de l’ensemble de la vie d’une ferme, prônant l’interaction organisée ce système, et même à l’ensemble des établissements humains : renouvellement urbain, jardins communautaires, écoquartiers, etc. David Holmgren, théoricien de la permaculture, explore même l’avenir au niveau le plus large, le globe terrestre, dans Future Scenarios. On lui doit des scénarios comme « Intendants de la terre » ou « canots de sauvetage ». Car le chaos qui résultera des chocs pétroliers et climatiques pourrait rappeler les heures les plus noires du Moyen Age, avec des bandes armées cherchant à vivre sur le paysan. Des communautés peuvent se constituer autour de noyaux préexistants pour reconstruire une économie locale largement autarcique.
On peut aussi rendre hommage au programme bioéconomique de Nicholas Georgescu-Roegen, aux différents R de Serge Latouche, aux mouvements de la transition avec le permaculteur Rob Hopkins.
3/3) Les obstacles à la transition
L’idée de l’urgence se répand dans les populations, toujours sans effet pratique. Le pic du pétrole est à peine évoqué dans les médias. Pourtant la seule réponse sensée à la crise est la mise en œuvre d’une politique inverse de celle qui prédomine actuellement: la solution est dans la décroissance des biens matériels. Mais toutes les forces qui concourent au fonctionnement du système refusent de céder devant l’idée de la décroissance.
Les mouvements d’origine trotskiste qui se targuent d’écologie insistent sur les méfaits du « Capital », mais il n’est pas sûr qu’ils aient bien mesuré toutes les implications de l’antiproductivisme nécessaire.
Le discours de simplicité volontaire ou de décroissance est totalement inaudible chez les masses. En effet, elles sont motivées par le problème du pouvoir d’achat insuffisant. Je rajoute que toute une frange de la « population des cités », est parfaitement à l’aise avec les valeurs du bling-bling ; les caïds locaux roulent en Porsche Cayenne.
Les délais sont de toute façon énormes entre le moment où une idée commence à se diffuser et sa généralisation. Dans ces conditions, il est pratiquement certain que le dépassement des limites sera bien avancé avant que l’on commence à en prendre conscience.
Même à Totnes, modèle de ville en transition, il reste un long chemin à faire pour que la ville soit significativement résiliente. Ainsi le restaurant végétarien le plus chic de la ville offre des vins venus principalement du Chili, d’Argentine et d’Australie ! La rue principale est ouverte au trafic automobile, avec stationnement payant.
On ne voit guère comment les hommes politiques ou les dirigeants de multinationales pourraient prendre des décisions satisfaisantes à la fois pour la planète, pour les électeurs et pour les actionnaires. Avant que cela arrive, il faudra que les faits, implacables, n’obligent tout le monde, mais un peu tard, à reconnaître que c’est avant qu’il aurait fallu agir. On constatera à ce moment, que l’on se trouve non pas au pied du mur, mais avec le mur écroulé sur la tête.
Et pourtant, une solution existe, à notre portée : prendre des initiatives de transition.
(éditions Sang de la Terre, 2012)