L’écosocialisme de Michael Löwy (Ecosocialisme, l’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste) voulait se différencier de l’écologie politique et de l’éthique des comportements individuels : il s’agit d’un courant de pensée et d’action écologique qui fait sien les acquis fondamentaux du marxisme, tout en le débarrassant de ses scories productivistes.
L’écosocialisme d’Arno Münster (Pour un socialisme vert) est sur la même lignée. Ce livre se veut donc une contribution à la critique de l’écologie politique « non marxiste ». Ce n’est en fait qu’un catalogue qui distribue les bons et les mauvais points tout en s’alignant sans le dire sur les positions du Front de gauche. On quitte l’ouvrage sans savoir exactement à quoi correspond l’écosocialisme, et quelle écologie politique on veut critiquer.
1/4) Les bons écosocialismes
Il y a le « multiversum » (écologie profonde, fondamentaliste, radicales, éco-libertaires…). Et il y a la rupture avec le capitalisme qui seule, « nous en sommes persuadés », permettra de surmonter la crise et de résoudre tous les problèmes. La seule alternative réelle à la catastrophe dans laquelle nous a conduit le capitalisme demeure l’alternative écosocialiste. Il faut agir immédiatement pour sauver la vie de l’humanité présente. Il faut donc la socialisation des moyens de production et la nationalisation des banques en rapport harmonieux avec une planification écologique efficace puisque non bureaucratique et en fonction des vrais besoins de l’homme.
Il faut aussi souscrire à l’éthique du respect de la vie, telle qu’enseignée par Albert Schweitzer. On peut reformuler ainsi l’impératif catégorique kantien, dans une perspective écosocialiste : « Agis en sorte que ton action envers la nature et l’environnement soit toujours accompagnée d’actions en faveur de la justice sociale. » Nous sommes proches de l’écologie sociale de Murray Bookchin : « Les êtres humains ne sont pas une forme de vie parmi les autres. Ce sont des êtres qui, potentiellement, peuvent rendre consciente l’évolution biotique et l’orienter consciemment. » Le principe espérance (Ernst Bloch) est pour Arno Münster inséparable du principe responsabilité d’Hans Jonas.
Arno Münster s’appuie entre autres sur l’écosocialisme selon Joël Kovel qui se situe dans la tradition d’un marxisme révolutionnaire :
- socialisation des moyens de production à l’échelle mondiale ;
- libération des forces productives humaines par l’autodétermination du processus de transformation de la nature.
2/4) Les mauvais écosocialismes
Arno Münster reconnaît qu’en ce qui concerne le rapport entre l’Homme et la nature, le marxisme n’offre pas une analyse très différente du capitalisme. La pensée marxiste conserve beaucoup du dualisme radical entre l’homme et la nature, non écologique, qui est typique de la pensée occidentale. Marx ne s’est pas démarqué de cet anthropocentrisme qui autorise la domination de la nature par l’homme. Mais comme le souligne Kovel, dans l’optique marxiste de l’émancipation humaine, la satisfaction des besoins ne peut être atteint que par le succès du projet de maîtrise de la nature. Arno évoque aussi les politiques antiécologistes désastreuses menées par les régimes totalitaires d’inspiration marxiste. Aucune domination de la nature ne se produit sans domination des humains.
L’orientation sociale-libérale du parti socialiste français constitue le principal obstacle à la constitution d’un véritable front de refus anticapitaliste écologique et social large et offensif.
Une politique de la décroissance lèse le droit légitime au développement de celles et ceux qui n’ont rien.
3/4) Le débat récurrent sur l’écologie profonde
Arno Münster a une approche contradictoire de l’écologie profonde qui se retrouve à plusieurs endroits de son livre. Il écrit : « La plus grande vigilance s’impose face aux fausses solutions et mythes qui nous sont proposées par l’écologie profonde et son culte irrationnel de la nature. » Il cite Bookchin : « On voit se diffuser, venant d’Amérique du Nord, tout le courant de l’écologie profonde qui se présente comme une nouvelle spiritualité, souvent teintée d’un néo-malthusianisme perfide qui ne voit pas de mal à laisser mourir de faim les pauvres pour freiner l’évolution démographique. La nature, nous dit-on, doit être libre de suivre son cours ». Il assimile Aldo Leopold et Arne Naess, et appuie principalement ses connaissances sur les divagations de Luc Ferry (Le nouvel ordre écologique, 1992).
Mais il reconnaît aussi que l’écologie profonde, en s’opposant à l’écologie superficielle, permet d’explorer les racines des problèmes écologiques dans la structure des sociétés et des cultures. C’est une vision du monde qui nous permet de protéger l’environnement comme faisant partie de nous-mêmes, dans la lignée de la philosophie de Spinoza. Arno conclut : « Nul ne peut contester qu’Arne Naess a impulsé, avec son programme écologique en huit points et son engagement pour une civilisation autre, une dynamique forte à un mouvement écologiste en voie de construction (dans les années 1970). » Plus loin il ajoute : « L’écologie profonde critique l’écologie sociale en l’accusant de reprendre à son compte la prise de distance traditionnelle entre l’humanité et la nature qui a caractérisé toute la politique moderne, tant bourgeoise que marxiste. »
Mais il consacre encore tout le chapitre V à la critique (très vague) de l’écologie profonde par les marxistes et les libertaires tels que David Pepper. : « L’écosocialisme est un mouvement anthropocentrique et humaniste. Les humains ne sont pas des animaux, ils ne sont pas des polluants. La nature que nous apercevons est socialement perçue et produite. Il faut donc une appropriation collective du contrôle de notre rapport avec la nature, par le biais de la copropriété commune des moyens de production. » Pour Pepper, l’essentiel est l’existence de la classe ouvrière… Ce faisant, Pepper rejette le biocentrisme et les théories « simplistes » d’Arne Naess relatives à la surpopulation.
4/4) Conclusion de BIOSPHERE
Le livre d’Arno Münster se contente de reprendre un tas d’analyses d’auteurs différents, en apparence contradictoires, sans jamais permettre d’aller au fond des choses. Prenons cette simple question, y a-t-il surpopulation en termes écologiques ? On cite les uns ou les autres, mais le débat argumentaire n’est jamais abordé, encore moins tranché. Par exemple, Arno consacre plusieurs pages à René Dumont qui s’exprime « contre la démographie galopante, pour la limitation des naissances ». Arno n’en dira pas plus ! En clair, un lecteur qui ne connaîtrait pas déjà René Dumont, Murray Bookchin, David Pepper ou Arne Naess ne peut rien comprendre à ce livre. Qui trop embrasse mal étreint !
En définitive, Arno Münster dresse les écologistes les uns contre les autres alors que nous avons besoin d’unir nos forces pour combattre un système thermo-industriel oppresseur et omniprésent. Nos adversaires n’ont même pas besoin de nous diviser pour régner, nous prenons les devants !
Terminons par un aspect positif. Le courant pacifiste et non-violent, conforté par les thèses de Naess, est repris par le dissident d’Allemagne de l’Est Rudolf Bahro. Arno Münster nous présente son programme d’action écologique, qui nous paraît toujours d’actualité et pourrait rassembler tous les tenants de l’écologie politique :
- Retrait des investissements et des énergies humaines de tous les projets industriels à grande échelle ;
- Réduction de la taille des unités de production ;
- Transports collectifs rendant la voiture individuelle superflue ;
- Vaste réseau de communautés de base connectées entre elles.
(nouvelles éditions « lignes »)