Joseph-Marie Verlinde est un moine de la Famille de Saint Joseph, d’où son changement du prénom « Jacques ». C’est aussi un théologien qui voit dans l’écologie radicale un concurrent dangereux vis à vis du christianisme. Son livre, 110 petites pages pour 11,90 euros (éditions lelivreouvert), est un peu trop cher pour son contenu : un recueil de ce qui se dit ailleurs.
Le livre de Joseph-Marie Verlinde n’est qu’approximation dans la critique de l’écologie radicale. Ainsi William Aiken aurait dit : « Il est de notre devoir de provoquer une mortalité humaine massive. C’est le devoir de notre espèce d’éliminer 90 % de nos effectifs. » En réalité Aiken ne faisait que dénoncer les conséquences possibles d’une écologie radicale poussée à l’extrême ! Mais paradoxalement ce livre est une bonne approche des mouvements écologistes : on cite abondamment les auteurs de l’écologie radicale (spécisme, écosophie, biocentrisme, etc.). Le livre se termine même par la reprise de différents textes à connaître :
- Déclaration sur les grands singes anthropoïdes (Paolo Cavalieri ; Peter Singer)
- Déclaration universelle des Droits de l’Animal (dans le cadre de l’UNESCO, 1978)
- Les huit principes de l’écologie profonde
- Déclaration universelle des droits de la Terre
1/4) profession de foi post-chrétienne
L’homme d’un côté, soutenue par la chrétienté, la biosphère de l’autre ? Ce n’est pas si simple ! Le père Verlinde parle en page 67 de la « vibrante profession de foi postchrétienne » du secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali. Son allocation de clôture au Sommet de la Terre à Rio en 1992 est en effet un véritable dépassement de l’enseignement religieux traditionnel :
« Après avoir aimé son prochain comme le lui demandait l’Evangile, l’homme d’après Rio doit aussi aimer le monde, y compris les fleurs, les oiseaux, les arbres – tout cet environnement naturel que nous détruisons régulièrement. Au-delà et au-dessus du contrat social conclu avec les hommes, il faut maintenant conclure un contrat éthique et politique avec la nature, avec cette terre même et qui nous fait vivre. Pour les Anciens, le Nil était un Dieu qu’on vénère, de même la forêt amazonienne, la mère des forêts. Partout dans le monde, la nature était la demeure des divinités. Celles-ci ont conféré à la forêt, au désert, à la montage, une personnalité qui imposait adoration et respect. La terre avait une âme ; la retrouver et la ressusciter, tel est le sens de Rio. »
Le père Verlinde cite aussi un livre d’Al Gore : « Il ne faut pas hésiter à abandonner l’ancienne croyance en un pacte entre Dieu et les hommes, il faut forger une nouvelle croyance qui puiserait dans la richesse et la diversité des traditions religieuses d’avant le christianisme, afin de redéfinir les liens entre l’homme et la terre dans un sens plus harmonieux. »
Le père Verlinde constate : « Nous assistons à l’intronisation quasi-officielle, émanant des représentants d’instances internationales, d’une religiosité naturaliste, qui s’affirme en opposition explicite au transcendantalisme chrétien… Comment se fait-il qu’une idéologie antihumaniste puisse jouir d’un aussi large consensus de la part des instances officielles ? Comment se fait-il que des personnages aussi importants sur l’échiquier de la politique internationale que Boutros Boutros-Ghali et Al Gore, sans le moindre respect des exigences élémentaires de la laïcité, plaident ouvertement pour une prise de distance par rapport au judéo-christianisme et un retour aux traditions naturalistes pré-chrétiennes ? » Verlinde ne peut rien répondre à ses propres questions, la Bible et les Evangiles restent muets sur la question écologique contemporaine alors que des penseurs envisagent sérieusement une nouvelle spiritualité alternative consacrée à une Nature que l’activité humaine a complètement déstabilisée.
2/4) Dévaloriser l’écologie radicale comme seul argument
Se retrouvant sans arguments, Joseph-Marie Verlinde se contente de recenser les différentes formes d’écologie radicale pour, avec quelques affirmations dédaigneuses, exagérées ou même mensongères, faire croire à l’inanité de ce mouvement.
Verlinde expose succinctement mais judicieusement le point de vue d’Arne Naess, philosophe de l’écologie profonde (deep ecology) ou écosophie : « C’est une erreur de vouloir établir une hiérarchie entre l’humanité et la nature, parce que les humains ne sont pas simplement des egos entourés par un monde qui serait infiniment éloigné de l’esprit humain. Il faut dépasser ce dualisme… » Mais Verlinde mélange à un autre endroit du livre l’hypothèse Gaïa de James Lovelock et l’écologie profonde ! Verlinde laisse entendre que « les défenseurs de la nature n’hésiteront pas à recourir à la violence pour se faire entendre ». Pourtant le point de vue de Greenpeace se comprend aisément : « Que cela plaise ou non à tel ou te, il faudra bien recourir, le cas échéant, à la force, pour lutter contre ceux qui continent à détériorer l’environnement. » Verlinde omet de préciser que l’écologie profonde aussi bien que Greenpeace se situent explicitement dans la voie de la non-violence, ce qui ne veut pas dire passivité.
Le christianisme se retrouve en mauvais position, sa tendance historique est de recourir à l’anathème et à l’excommunication. Sa conclusion est un vrai festival de poncifs :
- Nous soupçonnons Boutros Boutros-Ghali et Al Gore de se servir de l’écologisme comme d’un paravent, derrière lequel ils peuvent déployer, en toute impunité, une véritable stratégie néo-malthusienne.
- Le Groupe de Rome en 1972 ne qualifiait-il pas la prolifération humaine de « métastase cancéreuse » ?
- L’idéologie verte se fait le chantre d’une politique de dénatalité, qui va bien sûr s’appliquer en premier lieu aux pays émergents ou en voie de développement.
- La couleur de l’idéologie écologiste ne serait pas celle de la nature, mais du « billet vert » qui déteint sur elle…
- Mieux vaut écarter l’homme de la « gestion de la maison de la nature », et laisser la Nature vivante, véritable organisme autorégulé devenu sujet de droit, prendre en main sa propre destinée.
- Ne s’agit-il pas d’un psychodrame programmé dans le but de susciter – sur l’arrière fond de problèmes écologiques objectivement préoccupants – une culpabilité morbide, qui pousse les hommes à avouer leurs « crimes contre l’écosphère ».
- Bref : n’est-ce pas un « Malthus tout de vert vêtu » qui joue au bon apôtre, et qui prêche, au nom de Gaïa, la réduction de l’humanité à une élite, de manière à ce que celle-ci puisse poursuivre tranquillement l’exploitation des ressources naturelles de la terre ?
- L’écologie radicale engloutit le monde dans la nature sacralisée.
3/4) conclusion
Joseph-Marie Verlinde fait semblant de confondre critique de l’anthropocentrisme et anti-humanisme. Il se situe dans la lignée de son Eglise sans même citer cet avis du pape Jean Paul II sur la question :
« Au nom d’une conception inspirée par l’écocentrisme et le biocentrisme, on propose d’éliminer la différence ontologique et axiologique entre l’homme et les autres êtres vivants, considérant la biosphère comme une unité biotique de valeur indifférenciée. On en arrive ainsi à éliminer la responsabilité supérieure de l’homme au profit d’une considération égalitariste de la dignité de tous les êtres vivants. Mais l’équilibre de l’écosystème et la défense d’un environnement salubre ont justement besoin de la responsabilité de l’homme. La technologie qui infecte peut aussi désinfecter, la production qui accumule peut distribuer équitablement. (Discours de Jean-Paul II au Congrès Environnement et Santé, 24 mars 1997) »
En définitive ce livre de Verlinde montre que les religions du Livre ont tout à craindre de la montée d’une nouvelle spiritualité demandant de respecter notre mère nature malmenée plutôt que des dieux abstraits et absents. Ces religions n’ont rien à répondre au biocentrisme et à l’écocentrisme. Verlinde en arrive même à croire que “l’appel d’Heidelberg” est un “retour au bon sens” alors qu’il ne s’agissait que d’un lobbying anti-écolo lors du sommet de la Terre de 2002 !
Verlinde prépare une analyse critique de l’article de Lynn White, « Les racines historiques (chrétiennes) de notre crise écologique » (1967). Nous attendons sans impatience cet ouvrage ultérieur : son contenu nous paraît déjà discutable !
4/4) Prolongements biosphèriques
John Baird Callicott a fait un livre consacré à la Bible et l’écologie, Genèse (1991, traduction française Wildproject, 2009). En voici un résumé qui fait contre-point au livre de Joseph-Marie Verlinde.
Lynn White imputait en 1967 les racines historiques de notre crise écologique à la vision du monde judéo-chrétienne. Selon la Genèse les êtres humains, seuls de toutes les créatures, furent créés à l’image de Dieu. Il leur fut donc donné d’exercer leur supériorité sur la nature et de l’assujettir. Deux mille ans de mise en œuvre toujours plus efficace de cette vision de la relation homme/nature ont abouti aux merveilles technologiques et à la crise environnementale du XXe siècle. Ce n’est là qu’une interprétation de la Bible. D’un autre point de vue, le statut singulier des êtres humains, entre toutes les créatures de Dieu, leur confère des responsabilités singulières. L’une est de prendre soin du reste de la création et de le transmettre aux générations futures dans le même état, voire en meilleur état qu’ils ne l’ont reçu. Nous sommes les « intendants » de Dieu sur la création - nous sommes chargés d’en prendre soin - et non ses nouveaux propriétaires. Mais qu’on souscrive à l’interprétation despotique ou à celle de l’intendance, on se place dans les deux cas dans la perspective d’une position dominante de l’homme à l’égard de la nature. John Baird Callicott propose une troisième interprétation des textes controversés, interprétation suggérée par les remarques de John Muir. Dans la lecture de la Genèse qu’il suggère, les êtres humains sont conçus comme des membres à part entière de la nature et non plus comme ses maîtres tyranniques ou comme ses gestionnaires bienveillants.
La condition sine qua non d’une éthique écologique est en effet la mise au point d’une théorie de la valeur intrinsèque des entités non humaines et de la nature dans son ensemble - valeur qu’elles possèdent en elles-mêmes et par elles-mêmes - à la différence de la valeur que leur confère l’usage que nous en faisons. Dieu, observant le résultat de l’acte de création (Genèse I, 10-31), et le déclarant « bon » - confère d’ailleurs une valeur intrinsèque au monde et à toutes ses créatures.
J.Baird Callicott écrivait par ailleurs* : « L’éthique judéo-chrétienne de l’intendance est devenue une institution aux Etats-Unis. Un colloque organisé en 1980 par des évêques catholiques liés à la terre a permis d’identifier ces principes : La terre appartient à dieu ; Les hommes sont les intendants de dieu sur terre ; la terre devrait être préserve et restaurée ; la gestion de l’exploitation de la terre doit prendre en considération les impacts sociaux et écologiques ; l’exploitation de la terre devrait être appropriée aux caractéristiques de la terre ; la terre ne devrait fournir qu’un revenu modeste. Ces principes font référence à un passage du livre du Lévitique (25:23) : « Et le pays ne se vendra pas à perpétuité, car le pays est à moi ; car vous, vous êtes chez moi comme des étrangers et comme des hôtes. »
En 1982, l’Eglise luthérienne américaine a adopté une déclaration intitulée « La Terre : un don de Dieu, notre responsabilité » : « L’ensemble de la Création est laissé à la responsabilité de l’ensemble de l’humanité. La domination sur le reste de la nature ne doit pas être interprétée en un sens conquérant, mais au contraire comme une injonction à vivre en harmonie avec elle, et à rendre soin de la terre pour s’acquitter de sa responsabilité devant Dieu. Il nous est demandé de « cultiver et de garder » (genèse 2:15) la terre avec amour et douceur. La terre ne nous est confiée que sous certaines conditions, comme si nous n’en étions que les locataires. Nous n’y avons que des droits d’usage - mais cela est suffisant. »
Terminons avec la postface** de Catherine Larrère : « Dans les pays de libre examen et de tolérance, dire que quelque chose est religieux, ce n’est pas nécessairement prononcer une condamnation, c’est inviter à un examen… Réfléchir sur la nature, c’est se poser des questions métaphysiques. En étant religieux, on peut faire de l’écologie ; on peut aussi être écologiste sans être religieux. Rejetant l’atomisme et le dualisme de la philosophie moderne, et s’appuyant sur une ontologie relationnelle, Arne Naess (l’écologie profonde) montre qu’on est d’autant plus soi-même qu’on développe mieux ses relations avec l’ensemble des existants. Cette vision de l’épanouissement de soi dans la relation aux autres permet d’intégrer l’enseignement de l’écologie scientifique : nous faisons partie d’un monde dont tous les éléments sont interdépendants. On pourrait penser que cette façon de se déclarer lié à la nature revient à sacraliser la nature, à vouloir s’y fondre. Arne Naess invite à ne pas céder à ce mysticisme de la nature, la fusion dans le grand Tout. Contre une interprétation religieuse, il a soin d’affirmer que les individus restent distincts… »
* Pensées de la terre de J.Baird Callicott (éditions Wildproject, 2011) - traduit de Earth’s Insights : A Multicultural Survey of Ecological Ethics from the Mediterranean Basin to the Australian Outback (1997)
** Genèse (la Bible et l’écologie) (1991, traduction française Wildproject, 2009).