Ma tentative d'écologiser la politique
Si un ouvrier peut passer directement de la défense de son salaire à la lutte pour le progrès économique de l’humanité, il n’y a pas de solidarité de classe avec une nature de plus en plus extériorisée et artificialisée. Si l’individu participe facilement à la défense de son jardin contre l'implantation d’une bretelle d’autoroutes, il ne ressent pas du tout que la cause de ses problèmes réside dans l’existence de son garage.
La prise de conscience de la nécessaire insertion des individus dans la Biosphère n’est pas « naturelle », comme il est aussi peu naturel que les individus décident « librement » du fonctionnement du marché. Toute réalité mentale résulte d’un apprentissage et la socialisation, aujourd’hui perverti par le système industriel, devrait rapidement remplacer l’économisme par l’écologisme. Contre une économie qui aliène et une technique qui asservit, les scientifiques, les politiques et les éducateurs doivent adopter un nouveau discours.
La Nature ne doit pas être ressentie comme extérieure, elle est notre milieu de vie sans lequel rien n’est durablement possible. C’est une rupture fondamentale avec ce que croient les politiciens actuels.
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On ne naît pas écolo, on le devient. Que ce soit Nicolas Hulot ou Jean-Paul Besset. Celui-ci, trotskiste, héritier des lumières du Progrès pour débarrasser le monde du capital, des patrons et des petits livres rouges, avait remarqué que chaque fois qu’il quittait la ville, l’agitation, les bagnoles et qu’il venait s’asseoir sous un arbre, il respirait mieux, ça allait mieux. Il regardait les nuages, il écoutait le vent, la pluie, les insectes, il aimait gratter la terre, il se disait : « Voilà mes vraies richesses ! » (Comment ne plus être progressiste…sans devenir réactionnaire - Fayard, 2005)
Je ne suis pas né écolo, mais ma propre démarche remonte à loin, il y a quarante ans. Assigné par ma naissance à la génération 1968, j'ai été lecteur assidu d'Hara-Kiri, formaté par le réalisme du slogan « élections, piège à cons »…. J’ai donc déchiré en deux ma carte d'électeur début 1970. Affichée sur les murs de ma faculté, elle y est restée l’année entière. La politique, un jeu de marionnettes dans les mains du marché et des lobbies, ce n'était pas pour moi. Le 15 Juin 1972, je découpe un entrefilet sur la conférence des nations unies sur l’environnement qui se tient à Stockholm. Mais je n’ai encore aucune idée de l’importance que prendra l’écologie politique. Le terme écologiste fait son entrée dans le Petit Larousse en 1976 seulement ! La même année 1972, je lis le rapport du MIT sur les limites de la planète et les vertus de la croissance zéro. C'était prévu, c'était prouvé, l'amour de notre société marchande pour les exponentielles dans un monde fini faisait que nous allions droit dans le mur ; j’étais prêt à devenir militant. Lorsque René Dumont, poussé par des associations environnementalistes, s'est présenté à la présidentielle française de 1974 au nom de l'écologie, j'ai compris qu'un vote significatif pouvait enfin avoir lieu pour préparer un avenir moins perverti : nous allions manquer d'eau, les voitures allaient s’arrêter faute de pétrole, le nucléaire militaire et civil était le mal absolu. René parlait vrai. Il me fallait réagir, j'ai voté pour la première fois, j'avais 27 ans.
Depuis, j'ai toujours voté écolo au premier tour pour le ou la présidentiable écolo. Il n'est pas encore venu le temps où nous aurons un ou une président(e) écologiste, mais cela viendra. J'ai aussi voté chaque fois qu'il y avait une liste écolo, je ne pouvais voter que s'il y avait un candidat écolo. L'indifférence totale des partis politiques à l’égard de l’enjeu écologique continuait de me rebuter. J'avais gardé une méfiance viscérale envers des organismes « de pouvoir » qui ne voulaient toujours rien savoir du message de René Dumont : l'écologie scientifique est le rempart principal contre nos erreurs industrielles, agricoles, financières, et même contre la bêtise humaine. Reste à écologiser les politiques ! Mais, l'inertie sociale étant ce qu'elle est, l'écologie politique est restée minoritaire jusqu’à la fin du XXe siècle, en France et ailleurs. L'état de la planète a empiré, les prédictions de René se sont installés dans les faits, et même dans les journaux télévisés. Les sommets de Terre se sont succédés depuis 1972, rien n'avait changé. Personne n'a entendu parler du sommet de 1982, et même la grande kermesse de Rio en 1992 n'a été que des mots. Il me fallait faire quelque chose... je me devais de m'engager personnellement en politique ! Alors va pour les Verts en 1997, qui disaient porter le message de l'écologie.
Ma première réunion entre écolos m'a laissé un souvenir impérissable. Je n'y comprenais rien. Une vingtaine de personnes seulement, et je me perdais complètement entre les sous-tendances des différents courants. Un participant bien charitable et d'autant plus perspicace m'a expliqué en aparté. « Simplifions. Il y a les Verts rouges, les Verts noirs et les Verts verts. A partir de cette trame, chacun brode à sa façon. » Comme j'enseignais professionnellement la sociologie politique, j'ai tout compris. Il y avait les marxistes derrière le drapeau rouge, mais qui avaient senti tourner le vent de l'histoire : la victoire du prolétariat ne pourrait pas se faire sur les décombres de la planète. Mais ils n'avaient aucun repère doctrinal en matière environnementale, Marx considérait l'accumulation infinie du capital dans une biosphère aux ressources inépuisables : il vivait au XIXe siècle. Et puis il y avait les pseudo-anarchistes derrière leur drapeau noir. Pour les votes, les Verts noirs sont très forts : faut toujours s'exprimer contre le consensus qui se dessine. Et moi, et moi, et moi, vous m'avez oublié ? Dès qu'une tête dépasse, faut la couper. A désespérer du genre humain ! Pour ma part, je me sentais Verts vert, écologiste avant tout, fondamentaliste diraient certains.
Je n'ai pas mis très longtemps pour me rendre compte que mon orientation était et devait rester minoritaire. Dans un parti politique, et les Verts ne faisaient pas exception, ce qui compte c'est le pouvoir, la recherche du pouvoir, la contestation du pouvoir ou même le pouvoir pour le pouvoir. Humain, trop humain ! M'enfin, comme me l'avait enseigné René Dumont, notre tâche était bien là : écologiser les politiques et politiser les écologistes. Fallait que je m'accroche. Je suis resté chez les Verts jusqu’en 2002.
Assidu aux réunions, je me rendais utile chez les Verts, j’ai progressé dans la hiérarchie des responsabilités, j'ai été admis au bureau en Charente. Je garde en souvenir inoubliable une histoire de covoiturage avorté qui marque les difficultés de l’écologie politique. Pour ma première réunion « au sommet », un camarade-écolo devait me prendre. J'ai attendu mon conducteur-voiture, beaucoup attendu, il n'est jamais venu ! J'ai téléphoné. Il m'avait complètement oublié, il était presque arrivé au lieu de rendez-vous à quelques dizaines de kilomètres... j'ai du prendre une autre voiture. C'est à des détails comme celui-là qu'on ressent dans sa chair pourquoi l'écologie appliquée patine : personne ne veut vraiment appliquer pour lui-même les principes à la base des économies d'énergie. Cela n’a pas empêché mon étourdi de devenir conseiller régional Vert…
Au niveau du groupe local des Verts, notre principal fait d’arme à Angoulême depuis 1997 était le prix Tournesol. Lors du festival international de la bande dessinée, un prix récompense l’album sensible aux problématiques écologiques… ou porteur de valeurs comme la justice sociale ou la défense des minorités. L’écologie n’attire pas encore les foules sur son seul nom, il faut introduire d’autres critères. Après moult discussion et création d’une association spécifique, une fête de l’écologie s’est installée dans le petit village de Nanclars le dernier week-end du mois de septembre. Première édition en 2002, au moment même où j’allais quitter les Verts. Tous ceux que l'écologie intéresse se retrouvaient : des ateliers pratiques, un, un espace débats, un marché de produits écolos, expos et coin mômes, etc. Personnellement je n’étais pas pour, cela accroissait les déplacements en voiture. L’idéal a du mal à se concilier avec les pratiques… régulièrement, j’y vais faire un tour.
Aux journées d'été des Verts, dont je ne loupais aucun exemplaire, c'était la grande kermesse. Cela allait des groupes d'échange les plus sérieux, autour de l'espéranto, jusqu'aux plus farfelus comme celui qui rassemblait les transsexuels et autres divers genres, en passant par le groupe femme qui parle des femmes : chacun dans sa chapelle. Sans oublier les fumeurs de pétards qui utilisaient la moindre occasion pour faire parler de la dépénalisation du cannabis. Il est bien vrai que l'étiquette écolo regroupait surtout tous les survivants de la deuxième gauche, celle pour qui la libéralisation des mœurs, féminisme, IVG, homosexualité, autogestion... restait l'alpha et l'oméga de la vie publique. Je n'étais pas contre, loin de là, je peux même ajouter entre autres à la liste naturisme et nudisme, pacifisme et non-violence. Mais je pensais à juste raison que ces messages issus de mai 1968 étouffaient complètement ce que nous voulions faire passer : une planète sauvegardée pour nos descendants et toutes les autres espèces vivantes. Dominique Voynet concluait lors de ma dernière journée d'été en 2002 que ce n'était pas la peine de parler entre nous d'écologie puisque tout le monde était d'accord sur la question !? Elle faisait l'impasse sur nos manques.
J'étais accablé par les contradictions internes des Verts, par des statuts inefficaces, souvent dénoncés mais jamais modifiés. J'étais aussi accablé par l'amateurisme de nos procédures et candidats. Aux primaires pour les présidentielles 2002, nous avions voté Lipietz contre Mamère, qui s'était révélé non médiatique, avait été désisté par un autre vote, et Mamère, malgré sa décision irrévocable de ne pas se présenter, avait quand même obtenu plus de 5 % des voix au présidentielles 2002. Mais avant, j'avais voté pour voter, plusieurs fois, pour rien. J'étouffais, les Verts ne portaient pas vraiment l'idéal écologiste, mais un système embryonnaire de parti, un ramassis d’ambitions et beaucoup de gens qui ne faisaient que passer.
Aux journées d'été d'août 2002, à Saint-Jean-de-Monts, j'ai craqué à mon tour. Chaque nuit ou presque une insomnie, pour ces questions lancinantes qui me taraudaient. A quoi servaient les Verts ? Qu'est ce que je faisais dans ce parti ? Qu'est-ce que faire de la politique ? Je suis parti… pour le parti socialiste. Mais auparavant, j'ai fait une réunion de formation pour le groupe local sur le concept de décroissance. Même chez les Verts, ce mot était alors inconnu, ou tabou. Il n'y avait pas de formation chez les Verts et en 2011, c'est toujours la même situation. J'y reviendrais.
J'ai donc décidé de rentrer dans un parti dit de gouvernement en octobre 2002. L'auto-blocage des Verts devenait irrécupérable et l'enjeu écologique devenait si brûlant que je pensais que le PS allait faire son grand tournant idéologique vers un parti social-écologiste. Déçu au plus haut point par l’immobilisme des Verts, j’ai basculé en octobre 2002 dans l’illusion d’un parti dit de gouvernement, le Parti socialiste. Naïf que j'étais !
J'ai été accueilli à bras ouvert au niveau de la fédération départementale du PS. Pour cause, personne ne voulait s'occuper d'écologie dans ce parti... Je suis donc, faute de concurrent, devenu presque aussitôt fédéral à l'environnement, membre assidu de la commission nationale environnement, chargé très vite à ma demande d'un suivi mensuel de la politique de la droite en matière d'environnement. Ce suivi était envoyé à tous les députés du groupe socialiste et républicain, laissé sans suite pendant plusieurs années, sauf pour une brochure en avril 2005 « Notre maison brûle, la droite regarde ailleurs ». En fait je m'agitais, j'étais content de travailler pour la cause écologique, mais rien ne bougeait ou presque. Comme un squelette agité par le vent, le Parti socialiste.
Que ce soit une section locale, une fédération ou un bureau national, ne nous leurrons pas, l'enjeu dans un parti électoraliste est la répartition des postes, pas l'analyse écologique. On court d'une élection à l'autre, le nez dans le guidon. Les débats sont interminables... pour savoir qui on va désigner comme candidat. Les affrontements interpersonnels entre camarades socialistes sont omniprésents, entre courants, à l'intérieur des courants, entre habitants d'un même lieu. Comment alors prendre le temps de penser écologie ? J'ai quand même réussi à intervenir dans presque toutes les sections de Charente sur le prix de l'énergie. A la question préalable « pensez-vous normal que le prix de l'essence augmente, soit stable ou baisse », tout le monde ou presque voulait d'une diminution du prix, social exige. A la fin de la session de formation, tout le monde avait compris que le pétrole étant une ressource limitée en voie de disparition, le prix du baril devait augmenter et donc le litre d'essence. Mais cette connaissance nouvelle n'avait entraîné aucune conscience nouvelle... au Parti socialiste.
De toute façon la formation n'existe pas au PS. Le nouvel arrivant doit se contenter généralement d'une présentation devant la section, nom-prénom, un peu plus s'il est bavard, point final. Il y a bien entendu une « formation des cadres », appelée «Université permanente ». J’ai suivi cette formation : il n'y a aucun débat d’idées, aucun point de repères enseigné ; on apprend à prendre la parole, on suit les bavardages pontifiants de nos leaders lors de l'université d'été à La Rochelle, point final. On réalise à la fin un mémoire qui n'est même pas archivé. A Paris rue Solferino, siège du PS, on s'en fout de la production des militants. C'est ça la démocratie, dans un parti de cadres ! Pourtant j’avais réalisé une somme sur « marxisme et écologisme », mais ça n’intéressait personne. De toute façon le PS n'a aucune idéologie à enseigner, il ne se rappelle même plus qu'il a été SFIO (section française de l'internationale ouvrière), il ne sait plus le langage marxiste de la plus-value, il a la cohérence doctrinale de la droite, marché, libre-échange, concurrence et compétitivité. Pour les socio-démocrates, c'est la croissance économique qui doit permettre les avancées sociales, l'enjeu écologique reste ignoré. Aubry, Hollande et Strauss-Kahn ne peuvent me contredire, ils tiennent le même discours.
La seule fois où j'ai abandonné ma tâche d'écologiste, ce fut à mon détriment en 2006-2007, pour soutenir un candidat « parachuté » en Charente. Malek Boutih, désigné par le national au titre des minorités visibles, me paraissait une personnalité valable. Mal m'en a pris, le conseil fédéral unanime était contre un socialiste venu d’ailleurs, donc contre moi. Le député sortant, comme un prince en son fief, voulait en effet que soit désignée sa propre candidate à sa succession. Le secrétaire fédéral était aussi l’attaché parlementaire de ce député sortant : conflit d’intérêts, ça facilite l’abus de pouvoir ! Le bureau fédéral était devenu une annexe du Front national, on m'a même demandé si j'étais bien issu de Charente. J'ai été destitué de ma responsabilité de fédéral à l'environnement, on ne me convoquait plus (en toute illégalité) aux réunions du bureau fédéral... Dans ce parti, la lutte pour le pouvoir est beaucoup plus importante que la lutte pour les idées. Et on préfère exclure plutôt que discuter avec les dissidents ! Encarté au PS, écarté par les instances socialistes locales, j’ai continué à militer dans les instances nationales dédiées à l’écologie.
La commission nationale environnement a cela de particulier qu'on est bien obligé d'y parler environnement même si on est au PS. Mais ce n'est pas rare d'avoir un membre du CEA ou un délégué d'Areva ou un militant pro-OGM à côté de soi. On ne doit pas dire du mal du nucléaire. Ni des OGM. Ni du progrès technique. De toute façon cette instance n'est même pas consultative, on s'y réunit pour se réunir. Nous faisions un tour de table, on papotait sur l’actualité, on recevait de moins en moins souvent le compte-rendu. Nous avions reçu des associatifs comme les représentants de Greenpeace ou de WWF. On pouvait faire un lien durable avec les associations environnementalistes. J’ai demandé, on n’a rien fait. Nous parlions à une époque malthusianisme. Rien n’en est ressorti. C’est pourquoi au fil des années l'assistance s'est faite de plus en plus clairsemée, jusqu'à ce que cette commission se résume en 2011 à sa secrétaire nationale, Laurence Rossignol. L'essentiel du travail veut se faire au niveau des apparatchiks, qui se réunissent pour discuter de leurs désaccords. Le culte des ego, dira la presse. Heureusement, le pôle écologique du PS a servi de substitut à la CNE pour satisfaire ma soif d'avancée environnementaliste.
Car le PS a maintenant son pôle écologique ! Lors du Congrès de 2005 au Mans, j'avais fait remarquer à quelques personnages bien placés de la commission nationale environnement qu'il faudrait que l'écologie soit représentée au prochain Congrès socialiste. Miracle, le pôle se crée début 2008, élabore une contribution générale qui se transforme avec mon appui constant et mes pressions sous-jacentes en motion soumise au vote lors du Congrès de Reims. Nous avons l'appui de quelques députés socialistes qui ne veulent plus se contenter d'être le porte-flingue de tel ou tel. Ils croient vraiment que le réchauffement climatique existe et qu'il faut faire quelque chose ; il n'y a pas que des écolo-sceptiques parmi les socialistes. Mais au Congrès de Reims, c'est la lutte à couteaux tirés pour savoir qui va être premier secrétaire du parti... chacun choisit son camp, Ségolène ou Bertrand, Martine ou Benoît. De plus la crise financière fait pencher plus à gauche, l'économie chasse l'écologie, bien au loin, dans la fumée des mots. D’ailleurs de la contribution générale à sa transformation en motion, j’ai noté le verdissage des programmes des différents leaders : il fallait faire comme si le pôle écologique du PS ne servait à rien !
J’ai représenté le pôle écologique au niveau de la Charente et je suis intervenu devant presque toutes les sections. Mais même les plus écologistes de mes proches amis dans ma propre fédé ne voteront pas la motion B, « pour un parti socialiste résolument écologique ». Résultat national, 1.58 % des voix, aucune représentativité officielle, un désastre. L'écologie reste aux abonnés absents chez les socialistes. Ce ne sont pas, juste avant la messe de La Rochelle, quelques journées d'été réussies (mais non médiatisées) à Saint Ciers qui vont changer la donne. Depuis, en charge de l'animation de la liste des correspondants du pôle, je désespère de voir émerger un nouveau dynamisme écolo à l'intérieur du parti socialiste. Ce parti reste ce qu'il est, un vieux parti de vieux cadres dont les fondamentaux ne diffèrent pas tellement de la droite libérale. De toute façon, le pôle écologique du PS n'arrivait pas à avoir de position commune sur le nucléaire, le tout voiture, le tourisme en avion, la démondialisation... J'ai juste réussi à faire passer par consensus une motion du pôle sur la simplicité volontaire (réunion à Paris le 29 mai 2010) : « Le Pôle écologique du PS invite ses membres et l’ensemble des citoyens à faire preuve le plus possible dans leur vie de sobriété énergétique et d’autolimitation pour construire ensemble une société plus conviviale et plus égalitaire. »
Mais le pôle, comme l’ensemble des instances du Parti, ne travaille pas. Le PS se contente de temps en temps d’écouter quelques intervenants et il appelle cela « Laboratoire des idées ». Les idées sont compilées dans quelques « conventions », fourre-tout indigeste et sans saveur. De toute façon le candidat socialiste à la présidentielle reste libre de n’en faire qu’à sa tête, avec son propre programme, élaboré dans un coin par quelques conseillers occultes. Et l’écologie sera encore une fois complètement marginalisée. Je rêvais d’un parti social-écologiste, avec fusion avec les Verts, ce n’est encore qu’un rêve. Il n’y a rien à attendre pour le moment des socialistes en matière écologiste, je suis dégoûté : neuf ans d’aller-retour à Paris, des échanges Internet innombrables, mes tentatives de structuration du pôle… rien n’a abouti ! Après mon passage chez les Verts, j’avais opté pour l’entrisme dans le Parti Socialiste : neuf ans d’efforts, bilan globalement négatif. Pourquoi ?
D’abord parce que le social étouffe complètement l'écologique. Le pouvoir d’achat est sacralisé, le niveau de vie encensé. Quel socialiste dans son imaginaire partisan pourrait se passer de sa voiture et de sa télé, du nucléaire et de la nourriture importée, de la pub et des inégalités ? Le maintien des inégalités est pourtant une explication centrale de la destruction de la planète par notre consumérisme ; la différence entre riches et pauvres crée un processus d'imitation/ostentation qui est utilisé à fond par la publicité : regarde la belle voiture que j’ai, regarde la belle voiture qu’il te faut acheter ! Le pôle écologique du PS a bien tenté de proposer un Revenu maximum autorisé (RMA) lors d’une convention. Cet amendement a fait long feu, même dans ma section : « Les inégalités motivent », me dit-on ! « Le politique ne peut rien faire contre l'économique », on ajoute ! Désespérant !! Suis-je encore parmi des socialos ? Où est l'esprit d'égalité ?
La seule avancée globale a été l’adoption d’une nouvelle Déclaration de principes, adopté en juin 2008. Ainsi dans son article 3 : « Les finalités du socialisme démocratique portent pleinement la volonté de préserver notre planète aujourd’hui menacée particulièrement par les risques de changement climatique et la perte de la biodiversité, de protéger et de renouveler les ressources naturelles, de promouvoir la qualité de l’environnement... Conscients de l’étroite interaction des activités humaines et des écosystèmes, les socialistes inscrivent la prise en compte de la planète au même rang de leurs finalités fondamentales que la promotion du progrès et la satisfaction équitable des besoins. » Mais ce texte fondamental n’est pas connu des militants et l’application qui devrait en résulter dans les programmes socialistes est inexistante.
J’ai quand même réussi une avancée ponctuelle en organisant avec l’aide logistique du pôle un colloque à l’Assemblée nationale le 25 janvier 2011: « Pic pétrolier, quelles conséquences politiques pour 2012 ». Le porte-parole du pôle, Géraud Guibert, ne croyait pas au succès d’une telle réunion, il n’avait réservé qu’une petite salle. Finalement il a été obligé de réserver la salle du groupe parlementaire socialiste, et même cette salle a été trop petite, nous avons refusé beaucoup de monde. Il est vrai que ce jour-là le pétrole a failli vraiment entrer en politique : deux députés à la tribune, 7 ou 8 présents dans la salle. Je fais l’introduction suivante.
« L’objectif de ce colloque est simple, faire entrer le pétrole en politique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les politiques envisagent (un peu) le réchauffement climatique mais pas du tout la déplétion pétrolière et donc la crise générale qui suivra le pic pétrolier. Le premier choc pétrolier (suite au quadruplement des prix du baril en 1973) avait inspiré la campagne de René Dumont, candidat aux présidentielles de 1974. Les analyses du mouvement écologiste naissant restent d’actualité : « En surexploitant les combustibles fossiles, on vole les ressources des générations futures. » ; « Nous demandons l’arrêt de la construction des autoroutes, l’arrêt de la fabrication des automobiles dépassant 4 CV, nous luttons contre la voiture individuelle... » De même en avril 1977, le président Carter s’adressait à la nation grâce à la télévision: « Ce que je vous demande est l’équivalent d’une guerre. Il s’agit bel et bien de préparer un monde différent pour nos enfants et nos petits-enfants. » Il propose d’économiser l’énergie. Mais sa cote de popularité est divisée par 2 (de 70 à 35 au début de 1978).
« De plus le contre-choc pétrolier (la baisse du prix du baril) à partir de 1986 éloigne la problématique pétrolière des esprits. Les groupes d'étude du Grenelle sont restés muets sur cette question. Certes, un groupe a planché sur le thème « lutter contre le changement climatique et maîtriser la demande en énergie ». Mais dans le rapport publié, les économies d'énergie ne sont pas considérées comme une nécessité, simplement comme une solution pour réduire les émissions de dioxyde de carbone. Dans le groupe 2, sur le thème « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles », pas de discussion ! A croire que le pétrole n'est pas une ressource naturelle. Pourtant tous les analystes annoncent la catastrophe.
« Dès 1979, un ingénieur de l’industrie automobile, Jean Albert Grégoire, publie Vivre sans pétrole. Pour lui, « Apercevoir la fin des ressources pétrolières, admettre son caractère inéluctable et définitif, provoquera une crise irrémédiable que j’appellerai crise ultime. » Il faut ensuite attendre 2003 pour que l’après-pétrole soit à nouveau analysé par Richard Heinberg dans Pétrole, la fête est finie. Un autre Américain, JH Kunstler, parle même en 2005 de la « Longue Catastrophe »qui accompagnera la déplétion pétrolière. La même année en France Yves Cochet, un des intervenants de ce colloque, est encore plus incisif, il envisage la pétrole apocalypse.
« L’idée générale de tous ces auteurs est la même : plus nous attendrons, plus le choc sera terrible. Maintenant des rapports militaires, ceux de la Bundeswehr ou du Pentagone, se préoccupent vraiment de l’insécurité qui suivra le pic pétrolier. Les citoyens commencent à s’inquiéter, la fréquentation de ce colloque le prouve. Plus de 200 personnes dans cette salle comble et nous avons refusé par manque de place l’inscription de plus de 100 autres personnes. Que font les politiques alors que la descente énergétique est imparable ? »
Les intervenants se succèdent et illustrent mon discours. Le géologue Bernard Durand montre ses inquiétudes : « Le Pic Pétrolier (Peak Oil) mondial, c’est-à-dire le moment où les quantités de pétrole disponibles à la consommation à l’échelle mondiale vont atteindre leur maximum possible, va avoir lieu incessamment. L’offre globale de pétrole va ensuite diminuer, et les quantités de pétrole disponibles par habitant de la planète diminueront plus vite encore. » L’expert Jean-Marc Jancovici a été incisif : « Les parlementaires n’ont pas conscience de l’urgence du problème pétrolier, donc ils ne viennent pas s’informer, donc ils n’ont pas conscience du problème ! » Le député Yves Cochet confirme : « Le gap, le fossé entre ceux qui voient le pic pétrolier et les autres est immense. Mais quand demain nous ne saurons pas si nous aurons ou non de l’eau potable et si nous aurons à manger pour nos enfants, alors nous ne pourrons que prendre conscience de la réalité. »
Les médias ont boudé l’événement : pas de grosse pointure à la tribune, donc pas de couverture médiatique. Les médias ne savent pas distinguer ce qui est important ou secondaire. Surtout, contrairement à ma demande réitérée, ce colloque n’a eu aucune conséquence politique… L’après-pétrole n’est pas au programme socialiste. Car du point de vue des socialistes, pour tout résoudre, il suffit d'un peu plus de croissance... verte à la rigueur. De Strauss-Kahn à Hollande, ils sont tous d'accord ! Mais c’est le même discours que la droite. Le PS n'a pas encore compris que la croissance a historiquement augmenté les inégalités et en corollaire détérioré la planète. De plus en plus désespérant, d'autant plus que l'approche des primaires socialistes (dite « citoyennes ») d'octobre 2011 élimine tout débat de fond : chacun son candidat, comme d'habitude. Car qui se dit membre du parti socialiste pense comme son clan. Les personnalités passent avant les idées. Les militants pensent PS d'abord. S'ils veulent arrêter de sous-traiter l'écologie aux Verts, c'est en croyant que le PS est capable de prendre à bras-le-corps l'urgence écologique par lui-même. Illusion ! Certains rêvent personnellement d'une place officielle qu'on ne leur donnera jamais en tant qu'écolo. Car mon parcours pendant neuf ans au sein du PS m'a montré un appareil partisan qui court après le pouvoir, sans aucune autre ambition. La lutte de classes s’est dissoute dans les lendemains qui déchantent. La crise de la dette étouffe l’urgence écologique. La social-démocratie n’a plus de doctrine lisible ni de projet viable.
En bref, une partie du pôle écologique, la plus consciente, est déjà partie rejoindre Europe-Ecologie au moment des Européennes de 2009. Il n’est que temps pour moi de faire de même en 2011. Je reviens aux fondamentaux : l’écologie avant tout, avec EELV ! Je m'aperçois que pour 10 ou 20 euros, je peux participer aux primaires de l’écologie. Le statut de coopérateur permet en effet de voter en juin 2011 pour cette élection préalable même si on appartient à un autre parti. C'est un des apports d'Europe-Ecologie aux Verts, le sens de l'ouverture. Je me lance à fond dans un soutien à Nicolas Hulot par Internet interposé. Car Eva Joly n'est pas écolo, Stéphane Lhomme est seulement anti-nucléaire et surtout anti-Hulot, Henri Stoll est trop fondamentaliste pour percer médiatiquement. J'ai étudié la vie et l’œuvre de Nicolas Hulot, rien à redire : ses émissions en faveur de la nature, ses conseils avisés auprès du président Chirac, sa fondation, ses livres, son avertissement solennel et répété : nous voguons sur le Titanic, l'iceberg c'est pour bientôt. Mon ami José Bové est sur la même longueur d'onde : « C'est Nicolas Hulot qui porte le mieux le projet global de la transformation écologique. Aux yeux de la société, il possède cette légitimité qu'il a su bâtir à sa façon. »
Mais la vie politique étant ce qu'elle est, et les votants méritant les candidats qu'ils désignent, ce sera Eva Joly la présidentiable écolo. Comme je suis un habitué des combats perdus d'avance, je me trouve aussitôt un autre combat. Je pose ma candidature pour animer un atelier aux journées d'été d'EELV à Clermont Ferrand. A ma grande surprise, nouveau venu, simple coopérateur, je suis choisi comme co-animateur (avec Frédéric Benhaim) pour l'atelier « accueil et formation à EELV » le 19 août 2011. Il s’agissait de s’occuper de la formation à la base, et non de la formation des élus Verts déjà réalisée par le Cédis, le seul organisme qui fait des bénéfices !
J'ai été agréablement surpris par le sérieux des différents groupes de travail à Clermont. Cela me changeait du folklore des Verts dans les années 1990. Mais je me suis aperçu qu'en matière d'accueil et de formation institutionnalisée, rien n'avait changé depuis mon départ des Verts en 2002 : aucune organisation, sauf initiatives ponctuelles. Le secrétaire national à la formation, présent lors de cette séance, a conclu qu'il fallait faire quelque chose... dans six mois. Mais ma proposition d'instaurer une liste d'échange entre formateurs au niveau national a été reprise très vite par un habitué des listes (innombrables) de diffusion EELV. Depuis, peu à peu, le secteur s'organise. Lentement, trop lentement.
C'est vraiment dommageable que la formation soit restée au point mort, et significatif d’une dérive électoraliste. En effet, plus EELV se développe, plus la logique de l’organisation prime la logique des idées. Confondue avec le parti, l’organisation permanente de moyen devient une fin, à laquelle on peut finir par tout subordonner : principes, convictions personnelles, etc. Toutes les grandes organisations devant mener à bien des tâches complexes connaissent nécessairement ce processus de bureaucratisation : le parti devient un parti de cadres et non un mouvement de militants. Les dirigeants du parti risquent alors d’adopter un comportement de plus en plus autocratique. Pour briser cet enchaînement néfaste, la formation permanente dans un parti démocratique est donc une nécessité absolue : le contre-pouvoir par la formation à la base !
D’ailleurs la formation chez les écologistes est plus facile que dans les autres partis. La gauche comme la droite sont marquées au fer rouge du productivisme ; le mouvement écolo porte donc le seul projet politique valable pour le XXIe siècle, le sens des limites de la planète ! C’est l’écologie scientifique qui nous démontre que nous avons dépassé les capacités de régénération de la Terre. C’est l’écologie politique qui doit déterminer les décisions qui en découlent. Mais l’imaginaire social ne change pas d’un coup de baguette magique. Pourtant il y a urgence écologique, ça chauffe !
Mon projet ? Construire un parti social-écologiste. Nous avions accepté que le pôle écologique du PS garde les transfuges vers EELV (dont je fais désormais partie) sur sa liste de correspondants. C’est une passerelle entre socialisme et écologisme. Il y en a d’autres. Par exemple le partage des circonscriptions entre EELV et PS. Qu’un parti social-écologiste devienne majoritaire en France et ailleurs n’est pas simplement souhaitable, c’est inéluctable. Car au fond, qu'est-ce que l'écologie ? C'est un discours commun (« logos, logie ») qui transcende toutes les étiquettes partisanes. Il s'agit de considérer, avec les données de l'écologie scientifique et le débat démocratique, la meilleure façon de nous occuper de notre maison commune (« oikos, eco ») la Terre.
Le voyage essentiel est le voyage de la pluralité à l’unité, mon voyage d’écologiste en politique est loin d'être terminé... Mais l’appartenance à un parti n’a jamais été pour moi l’alpha et l’oméga de mon engagement au service de notre biosphère. J’ai bien d’autres moyens de me faire entendre, par exemple au niveau d’Internet.
Pour lire la suite, en choisissant son propre chemin :
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde