bimensuel BIOSPHERE-INFO (1er au 15 novembre 2013)
L’ancrage à gauche de l’écologie est-elle une stratégie payante ? René Dumont présente en 1974 sa candidature à la présidence de la République sur une plate-forme écologique. Il le justifie ainsi : « A chaque élection, des écologistes en colère vont trouver les candidats des divers partis politiques. Ils sont reçus avec… une certaine condescendance. En juin 1972, le ministre des finances Giscard d’Estaing organise un colloque sur les conclusions fort alarmantes du Club de Rome. En mai 1974, le candidat Giscard d’Estaing ne leur accorde plus la moindre considération, ne parle que de croissance ! Voilà pourquoi le mouvement écologique devient politique. Voilà pourquoi, pour la première fois dans l’histoire des sociétés, un homme présente sa candidature à la direction d’un Etat avec pour programme la préservation de la vie. Il est grand temps que réagissent tous ceux qui se préoccupent de la société que nous laisserons à nos descendants. »
Au moment de sa formation partisane en un seul mouvement (1984), les Verts ne prenaient donc pas position entre la droite et la gauche : « L’écologie politique n’est pas à marier ». C'est toutefois depuis 1994 une écologie ancrée à gauche qui domine ; la stratégie de « ni droite-ni gauche » ne permettait pas de dépasser le rôle protestataire. Mais la méfiance subsiste envers des partis traditionnels qui soutiennent le productivisme. Le Manifeste pour une société écologique (lors de la création d’Europe Ecologie Les Verts le 13 novembre 2010) en est le témoignage : « Les deux grands courants idéologiques engendrés par la révolution industrielle sont désormais à bout de souffle ; le credo productiviste, produire plus pour consommer plus et stimuler la croissance, constitue leur matrice commune… L'écologie politique n'a pas vocation à devenir la branche supplémentaire d'un arbre déjà constitué, aussi vénérable fut-il, elle est à elle seule cet arbre, autonome, alternatif, un arbre qui entend faire forêt. La société écologique pose les fondements d'une organisation économique et sociale d'un autre type : à la démesure, les écologistes opposent la conscience des limites et la modération… Les écologistes ne renonceront jamais à convaincre que, si l’on ne naît pas écologiste, on peut le devenir. A droite, à gauche ou au centre, beaucoup se disent maintenant convaincus de l'importance de la question écologique… Mais force est de constater que, dans les programmes et les décisions des formations de droite, de gauche ou du centre, l'intégration de la question écologique apparaît plus comme une posture d'opportunité, une concession à l'air du temps, une catégorie parmi d'autres, que comme un véritable tournant. L'écologie politique a donc toute raison de revendiquer son autonomie, refusant de devenir une force d'appoint assignée à la sous-traitance ou au supplément d'âme. »
Pourtant EELV a négocié en 2012 un accord avec le parti socialiste sur un certain nombre de parlementaires sans même demander leur avis aux présidentiables Eva Joly ou Nicolas Hulot. Celui-ci est ulcéré, il l’écrit dans un livre, plus haut que mes rêves : « Conditionner l’engagement écologique à un ancrage politique est un problème majeur. Il aurait fallu que je proclame ma symbiose absolue avec la gauche alors que, sur les sujets écologiques, elle n’est pas plus éveillée ou instruite que ne l’est la droite. Si leurs priorités diffèrent, leurs modalités sont identiques. » Depuis, EELV a obtenu deux postes de ministre tout en perdant le ministère de l’écologie, donné à un membre du PS. Les socialistes veulent montrer qu’ils ont l’intention de ne plus laisser l’écologie à un sous-traitant. Depuis la parole des Verts est devenue assez inaudible et le problème de la sortie du gouvernement va certainement être un enjeu plus ou moins explicite du prochain congrès EELV qui aura lieu le 16 novembre dans les régions et le 30 novembre au niveau national. Voici ce qu’en disent les différentes motions d’orientation.
1/2) L’orientation des motions sur la participation au gouvernement
L’ordre des motions par numérotation alphabétique est celui donné par la brochure officielle de convocation pour le congrès.
a) Changer de cap, vers une écologie du vivre mieux
Renforcés par notre entrée au gouvernement, nous avons gagné des combats que nous menions de longue date. Il n’en demeure pas moins que la ligne suivie par notre allié n’est indéniablement pas la notre. La liste de nos désaccords est longue : grands projets inutiles (NDDL), nucléaire, scrutins territoriaux, ondes électromagnétiques, langues régionales, reconversion de l’agriculture... Nous en restons au stade des discours pendant que le gouvernement rogne le budget de l’écologie… Malgré le travail de nos ministres, la politique du gouvernement reste rivée à une idéologie marquée par le libéralisme économique, le productivisme et une logique sécuritaire. La question de la participation gouvernementale n’est pas taboue, et sa poursuite ne peut s’inscrire que dans la mise en oeuvre de projets forts…
b) Là où vit l’écologie - LOVE
Faute d’arriver à peser suffisamment sur la politique conduite par le gouvernement, nous sommes en voie de normalisation… La fragilité actuelle de notre position au gouvernement provient de notre faiblesse dans la société… Tant que nous serons dans la coalition gouvernementale, la société attend de nous une double action : avoir le courage de peser en interne, et de lutter en externe, sans nous contenter de la faiblesse des arbitrages rendus à l’Elysée… On peut lister nos divergences avec la politique menée : grands projets inutiles, scrutins territoriaux, absence d’une grande réforme fiscale ou statu quo nucléaire. On manquerait l’essentiel : loin d’engager une politique porteuse d’un changement de modèle, le gouvernement est prisonnier du culte de la croissance et obsédé par l’idée de plaire aux marchés.
La plupart de nos alliés socialistes sont aujourd’hui dans l’incapacité d’une remise en question du modèle productiviste…
Via Ecologica ! appelle à …conquérir notre autonomie pour peser sur les politiques publiques… Le parti doit garder son autonomie de pensée, de réflexion et d’expression, reprendre un temps d’avance et ne pas limiter son horizon programmatique à l’ordre du jour du Conseil des ministres ! EELV doit réaffirmer ses priorités dans le cadre de la participation gouvernementale pour lancer d’urgence la transition écologique.
e) Avenir Ecolo
Faute d’avoir su donner sens et contenu à «l’autonomie contractuelle», sortir ou non du gouvernement devient une question inextricable. À Marseille, la conférence de bilan a été un leurre teinté de langue de bois. Pourtant de nombreux adhérents s’interrogent sur notre utilité en tant que parti au sein de ce gouvernement pro nucléaire et qui défend si peu l’écologie. C’est pourquoi nous demandons un vrai bilan avec analyse indépendante. Et si nous le jugeons pertinent, nous demanderons un référendum d’initiative militante sur la sortie du gouvernement.
f) La motion participative - LMP
Notre mouvement ne représente pas une alternative quand nous sommes relégués au rang de supplétifs du PS. La sortie du gouvernement se pose… Le gouvernement actuel est sourd à l’urgence: statut quo sur le nucléaire, austérité budgétaire… Les principes économiques que le gouvernement défend – retour de la croissance, allègement du coût du travail, orthodoxie budgétaire – sont contraires aux valeurs que nous défendons… Quand nos partenaires dévient des contrats de mandats, nous ne devons ni nous taire ni claquer la porte immédiatement. Un gouvernement n’est ni un lieu qu’on déserte à la légère, ni un poste honorifique justifiant des compromissions inacceptables. On s’y bat, au risque de s’en faire exclure, pour faire respecter les contrats, en prenant l’opinion et les mouvements sociaux à témoin, pour sortir du tête-à-tête stérile avec un allié socialiste qui renie son propre projet de changement de 2012… La poursuite de notre participation à la majorité doit dépendre de notre capacité à y peser et à mobiliser au-delà de nos rangs.
g) Déterminé-e-s ! Pour un sursaut !
Force est de constater aujourd’hui que la politique d’ensemble du Gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux… Évitons les faux débats : depuis plus de quinze ans les écologistes assument d'agir au sein des institutions, du local au gouvernement. Mais, aujourd'hui, la question de notre participation à un gouvernement qui ne tient pas ses engagements se pose avec acuité. Il est deux écueils qu’il nous faut pourtant éviter. La fuite d'abord… le choix du repli pour préserver notre « pureté idéologique ». La soumission ensuite…nous nous soumettons alors d'abord au carcan des institutions et nous nous auto-censurons. Nous devons donner les preuves que nous ne nous compromettrons pas pour rester à tout prix au gouvernement, sans pour autant gesticuler à chaque insatisfaction. Un rapport de force offensif, sans être agressif, comporte nécessairement une part de risque qu'il convient d'assumer...
2/2) les caractéristiques des différentes motions
En 2011, la motion « Maintenant » était à 49,73 %, « Construire » à 26,48, « ENVIE » à 19,65 et « Objectif Terre » à 4,14. En 2013, voici le nombre de signatures pour validation des 7 motions : Pour un cap écologiste 45 %, Via Ecologica 18 %, La Motion Participative 15 %, Là où vit l’écologie 7 %, Avenir Ecolo 6 %, Objectif Terre 5 % et Déterminé-e-s 4 %. Nous présentons quelques éléments de réflexion sur ces motions.
La motion de l’actuelle majorité, « Maintenant » avait pris tous les pouvoirs ou presque depuis 2011. Autour de Cécile Duflot s’était organisée la « firme », que Noël Mamère appelle un « syndicat d’élus », un parti « prisonnier de ses calculs et de ses clans ». Sous le prétexte d’une optique gestionnaire de l’écologie, il s’agissait de se répartir les postes. Cette tendance monopolistique a débouché sur une alliance avec le PS pour les législatives, au grand dam des présidentiables de l’époque. EELV a perdu le ministère de l’écologie pour gagner deux postes subalternes, et devenir ainsi inféodé à la majorité socialiste. Le secrétaire national, Pascal Durand, a été obligé d’abandonner à l’avance son poste pour cause de critique trop virulente de la politique gouvernementale. C’est Emmanuelle Cosse, une affidé de Cécile Duflot, qui est déjà considérée comme la future secrétaire nationale avant même que le congrès ait lieu. Ce courant qui se veut « Maintenant maintenu » s’est concrétisé pour le prochain congrès de Caen sous l’appellation « Pour un cap écologiste ! ». Notons que cette motion 2013 présente un discours d’apparence très écolo pour cacher l’échec de sa participation à un pouvoir productiviste et croissanciste. On ne peut pas se fier aux termes employés dans cette motion, il s’agit avant tout de rassembler le plus possible de signatures de soutien avant le congrès pour conserver la majorité et donc le pouvoir. C’est assez facile quand on a tous les fichiers des élus, des obligés des élus et de ceux qui veulent être élus sans se battre.
Deux motions se veulent durables. La motion « Objectif Terre », déjà présente en 2011, est issue du courant Utopia et se croit transversale : elle présente aussi des motions aux congrès du PS. « Avenir Ecolo » se veut une continuation du courant Verts-vert de Maryse Arditi, pour un retour aux fondamentaux de l’écologie. AE représente l’écologie de rupture par rapport au dogme de la croissance. Elle a clairement conscience de nos interdépendances avec la nature. Cette motion n’est pas prête à s’allier à un gouvernement productiviste quel qu’il soit, mais elle voudrait confier la décision finale à un référendum d’initiative militante. Notons qu’AE avait déjà mis en place une organisation bien avant ce congrès, fonctionnant de façon démocratique, avec un site et des listes d’échange. Le groupe s’est réuni presque tous les jours à Marseille.
Les quatre autres motions se sont formées au gré des personnalités, juste avant le congrès ; elles sont circonstancielles. « Via Ecologica » reste ambiguë quant à ses intentions, ce n’est qu’une dissidence (fausse ?) de la majorité actuelle avec J.Desessard et Marie Bové. « La Motion Participative » (autrefois Envie) est portée par Yves Cochet, anciennement membre de la majorité du parti. Il est scandalisé par les compromissions avec le pouvoir socialiste. Yves Cochet avait essayé à Marseille de fédérer l’opposition, mais c’était bien trop tard pour le premier tour ; pour réussir il faut savoir s’organiser, ce qui n’a pas été le cas. La motion « LOVE », soutenue par Eva Joly, représente la fraction la plus proche du parti de gauche. Enfin la motion « Déterminé-e-s », d’origine indéterminée, présente un poids politique négligeable. Mais comme les fusions entre motions sont possibles pour le deuxième tour, rien n’est joué à l’avance.
conclusion
Pour avoir une vision simplifiée de l’enjeu de ce congrès, il s’agit d’une opposition interne et structurelle, inhérente à l’écologie politique. Comme l’exprimait François de Rugy, « L’écologie française, comme en Allemagne, est traversée de différences inéluctables. Il y a une sensibilité plus radicale, les « Fundis » (fondamentalistes). Et puis il y a celles et ceux qui ont une approche plus pragmatique, les Realos (réalistes). » D’un côté ceux qui se veulent pragmatiques au point d’en oublier l’urgence écologique, de l’autre ceux qui veulent la rupture avec une société de croissance et se retrouvent isolés. L’alliance récente avec le PS a accentué cette contradiction : les Verts-vert d’un côté, les Verts-rose de l’autre.
L’alliance avec la gauche est donc toujours en suspens et ce n’est pas un congrès qui se veut verrouillé qui va changer la donne. C’est pourquoi la motion Avenir Ecolo envisage de trancher la question grâce à un référendum d’initiative militante. Tant que les partis dit de gouvernement resteront croissanciste et indifférent au facteur « nature » (pourtant plus important que le facteur capital et travail), un parti écologiste restera nécessaire.