Le livre The Collapse of Complexe Societies de Joseph Tainter est malheureusement non traduit en français à ce jour (mai 2012). Selon cette analyse l’avenir de la civilisation actuelle est sombre pas simplement pour des raison financières ou écologique, mais parce qu’une société trop complexe s’effondre sous son propre poids alors que les élites, qui profitent de la complexité, refusent tout changement qui réduirait leur prélèvement sur la richesse produite. Voici en résumé quelques éléments de réflexion qui parlent de cet effondrement dans différents livres ou articles :
L’économie hydrogène de Jérémy RIFKIN (2002)
Pourquoi les grandes civilisations peuvent-elle soudainement se défaire alors qu’elles semblaient pourtant inébranlables ? Dans son œuvre principale, The Collapse of Complex Societies, Joseph Tainter fournit un cadre théorique utile.
Tainter affirme que le propre de l’histoire humaine a été la création de mécanismes sociaux et technologiques de plus en plus complexes permettant de s’approprier l’énergie disponible dans l’environnement. L’augmentation de l’apport énergétique permet l’expansion de la communauté humaine. La population augmente en nombre, la vie sociale s’intensifie et se diversifie, la culture se développe. La quantité d’énergie disponible ne suffit plus à satisfaire les besoins d’une population de plus en plus nombreuse, à défendre l’Etat contre les envahisseurs ni à entretenir les infrastructures. Selon Tainter, une civilisation pleinement développée est au bord de l’effondrement lorsqu’elle atteint un seuil au-delà duquel le simple maintien en l’état de ses structures requiert une dépense d’énergie croissante, tandis que la quantité d’énergie qu’elle est en mesure d’assurer à chaque habitant ne cesse de diminuer. Jeremy Rifkin prend l’exemple de l’histoire de Rome, nous pouvons transposer sans problème à la société actuelle.
Pour conjurer la catastrophe, la société thermo-industrielle va brûler ses dernières réserves d’énergie fossile dans un effort désespéré pour survivre, se rapprochant ainsi un peu plus du point de non-retour. La croissance économique n’est autre que le développement de méthodes d’exploitation de l’environnement naturel toujours plus intensives Les terres cultivées seront alors surexploitées afin d’augmenter la plus-value énergétique, ce qui favorisera la dégradation des sols et fait baisser les rendements. L’Etat augmentera les impôts pour équilibre des comptes de plus en plus déficitaires, une partie de l’énergie résiduelle ne servira qu’à alimenter le style de vie des élites au pouvoir et autres couches sociales non productives. Le progrès technique s’apparentera à un tâtonnement motivé par le désespoir. Une population plus nombreuse recevra moins d’énergie qu’auparavant, tout en travaillant plus et plus longtemps. Confrontés à des troubles sociaux de plus en plus sévères, les gouvernants devront dépenser ce qu’il reste d’énergie pour maintenir un semblant de loi et d’ordre au détriment de l’approvisionnement de la population.
Sans les combustibles fossiles, la civilisation industrielle moderne cesserait immédiatement d’exister.
La fin du progrès ? de Ronald Wright (2004)
- La multiplication par vingt du commerce mondial depuis les années 1970 a pratiquement éliminé l’autosuffisance. Joseph Tainter note cette interdépendance en prévenant que « l’effondrement, s’il doit se produire à nouveau, se produira cette fois à l’échelle du globe. La civilisation mondiale se désintégrera en bloc ».
- Nous possédons les outils et les moyens nécessaires pour partager les ressources, dispenser les soins élémentaires, contrôler les naissances, fixer des limites qui soient alignées sur les limites naturelles. Si nous ne faisons pas cela dès maintenant, tant que nous sommes prospères, nous ne serons jamais capables de le faire quand les temps seront devenus difficiles. Notre destin s’échappera de nos mains. Et ce nouveau siècle ne vivra pas très vieux avant d’entrer dans une ère de chaos et d’effondrement qui éclipsera tous les âges des ténèbres du passé.
- Si nous échouons, si la Biosphère ne peut plus assurer notre subsistance parce que nous l’aurons dégradée, la Nature haussera simplement les épaules en concluant que laisser des singes diriger un laboratoire était amusant un instant, mais que, en fin de compte, c’était une mauvaise idée.
Antimanuel d’écologie d’Yves Cochet (2009)
L’archéologue Joseph A.Tainter a examiné la croissance et le déclin de nombreuses civilisations afin de découvrir ce qu’il y a de commun dans leurs trajectoires fatales. Sa thèse principale est que confrontées à de nouveaux problèmes, ces civilisations accroissaient la complexité de leur fonctionnement en investissant plus encore dans les mêmes moyens qui avaient permis leur éclosion. Par « accroissement de la complexité », il faut entendre la diversification des rôles sociaux, économiques et politiques, le développement des moyens de communication et la croissance de l’économie des services, le tout soutenu par une forte consommation d’énergie. L’empire romain, par exemple, fut confronté à l’augmentation de sa population, à la baisse de sa production agricole et au déclin de l’énergie par habitant. Il tenta de résoudre ces problèmes en élargissant encore son territoire par de nouvelles conquêtes afin de s’approprier les surplus énergétiques de ses voisins (métaux, céréales, esclaves…). Cependant cette extension territoriale engendra une multiplication des coûts de maintenance et des communications, des garnisons, au point que les invasions barbares ici, ou les mauvaises récoltes là, ne purent plus être résolues par une nouvelle expansion territoriale. La solution non intentionnelle de l’empire fut de se fragmenter en de plus petites unités sociales.
Dans les années 1970, Ivan Illich avait déjà réfléchi à l’inefficacité de certains systèmes sociaux. A la différence de Joseph A.Tainter, qui envisage plutôt le collapsus des sociétés dans leur ensemble, Ivan Illich a étudié certaines institutions sociales particulières.
Biosphere : L’effondrement de notre société complexe (13 mai 2010)
D’un côté il y a la pensée dominante selon laquelle bonheur et emploi dépendent de la croissance économique, de l’autre l’idée nouvelle que, confrontés au pic pétrolier et au réchauffement climatique, si nous ne pratiquons pas le rationnement choisi, ce sera un rationnement violent qui s’imposera. Qui croire ?
Il faut d’abord constater que la rigueur budgétaire qui s’impose à la Grèce, la France ou l’Espagne pour résorber les déficits est une nécessité absolue. Que ce soit un ménage ou un pays, il est impossible de vivre indéfiniment à crédit. Il faut ajouter que la planète nous a fait une avance non remboursable en mettant gratuitement à notre disposition des ressources naturelles non renouvelables. Cette période faste est en train de se clore par épuisement du crédit et des ressources minières. Ces deux éléments réunis nous montrent que la société de croissance est derrière nous, il faut inventer autre chose.
Sans les combustibles fossiles, la civilisation industrielle moderne cesserait immédiatement d’exister. Refuser la sobriété énergétique et l’égalisation des conditions aujourd’hui, c’est subir un rationnement violent et inégalitaire demain.
Biosphere : L’effondrement de notre société - suite - (14 mai 2010)
Lorsqu’une société se développe au-delà d’un certain niveau de complexité, elle devient de plus en plus fragile. Pourtant nous accroissons constamment notre complexité, prenons l’exemple de la santé. Comme les généralistes ne suffisent plus à satisfaire une demande de soins de plus en plus sophistiqués, nous construisons des hôpitaux. Avec les progrès des techniques médicales, il faut installer des centres hospitaliers dans les villes, des services de plus en plus spécialisés, des appareillages de plus en plus onéreux. Les dépenses augmentent encore plus vite que le PIB. Comme l’hôpital commence à coûter trop cher, il faut mettre en place un système de cotisations sociales généralisées, et la financer en ponctionnant l’épargne de la population. Comme cela ne suffit pas, on soigne à crédit par l’emprunt pour couvrir le déficit de la sécurité sociale. Comme la population se plaint des charges croissantes, il faut faire payer de plus en plus de choses par les patients eux-mêmes tout en augmentant le nombre de fonctionnaires des impôts. Tout cela s’accompagne de plus de spécialistes, de plus de ressources à gérer, de plus de coercition - et, in fine, moins de retour sur l’argent dépensé.
Au bout du compte, on atteint un point où toutes les énergies et les ressources à la disposition d’une société sont nécessaires uniquement pour maintenir un niveau de complexité croissante dont le système de soins n’est qu’un des aspects. Puis, quand une crise économique systémique ou un blocage énergétique survient, les institutions complexes n’ont plus les moyens de survivre et les malades se retrouvent livrés à eux-mêmes. Alors émerge une société moins complexe, organisée sur une plus petite échelle, avec une médecine de proximité, si l’effondrement se passe en douceur...
Biosphere : L’effondrement de notre société sous son propre poids (19 avril 2012)
Plus une société est complexe, plus elle est fragile. « Durant les 10 000 dernières années, la résolution des problèmes a produit une complexité croissante dans les sociétés humaines », remarque Joseph Tainter, un archéologue auteur de l’ouvrage L’Effondrement des Sociétés Complexes. Pour continuer de croître, chaque problème rencontré signifie plus de complexité pour le résoudre. Car la croissance économique induit une population plus nombreuse, une division du travail exacerbée, des ressources naturelles en voie de raréfaction, plus d’informations à traiter – et moins de retour sur l’argent dépensé ! En mettant en oeuvre de nouvelles solutions complexes nous allons buter sur le problème des rendements décroissants - juste au moment ou nous allons être à court d’énergie bon marché et abondante. Au bout du compte, on atteint un point où toutes les énergies et les ressources à la disposition d’une société sont nécessaires uniquement pour maintenir son niveau actuel de complexité. Puis, quand le climat change ou qu’arrive la fin du pétrole, les institutions proches du point de rupture s’effondrent et l’ordre civil avec elles. Ce qui émerge ensuite c’est une société moins complexe, organisée sur une plus petite échelle.
M. Tainter a-t-il raison ? Quand la complexité augmente, les sociétés doivent ajouter de plus en plus de niveaux de gestion, mais dans une hiérarchie, un individu doit tenter de conserver une vue d’ensemble, et cela commence à devenir impossible. À ce moment-là, les hiérarchies cèdent leur place à des réseaux dans lesquels la prise de décision est distribuée. Nous en sommes à ce point : notre efficacité réside dans notre prise de décision très distribuée. Cela rend les sociétés occidentales modernes plus résistantes que celles dans lesquelles la prise de décision est centralisée, comme dans l’ancienne Union soviétique. L’accroissement de la connectivité est une aide : si un village souffre d’une mauvaise récolte, il peut se procurer de la nourriture auprès d’un autre village. Cependant, avec l’augmentation des connexions les systèmes en réseau deviennent de plus en plus fortement couplés : ils commencent à transmettre les chocs plutôt que de les absorber. Certains produits sont fabriqués par une seule usine dans le monde entier. Financièrement, c’est logique, car la production de masse maximise la rentabilité. Malheureusement, elle minimise aussi la résilience. Une crise financière, une attaque terroriste ou une épidémie provoquent presque instantanément des effets déstabilisateurs d’un bout à l’autre du monde. L’interdépendance mondialisée actuelle implique qu’une défaillance survenant n’importe où implique de plus en plus une défaillance partout. Cela signifie que la civilisation thermo-industrielle est très vulnérable.
Existe-t-il une alternative ? Même une société revigorée par de nouvelles sources d’énergie bon marché finira par faire face au problème des rendements décroissants, une fois de plus. Pourrions-nous commencer à redescendre prudemment l’échelle de la complexité ? M. Tainter ne connaît qu’un seul exemple de civilisation qui ait réussi à décliner sans tomber. « Après que l’empire byzantin ait perdu face aux arabes la plupart de ses territoires, il a simplifié l’ensemble de sa société. La plupart des villes disparurent, la lecture et l’aptitude au calcul ont diminué, leur économie est devenue moins monétisée, et ils sont passés d’une armée de professionnels à une milice de paysans. » Réussir sera plus difficile pour une société plus complexifiée comme la notre. Néanmoins, nous devons encourager la production décentralisée et distribuée de produits essentiels comme l’énergie et de la nourriture.
Les enjeux sont élevés. Historiquement, l’effondrement a toujours conduit à une baisse de population. « Aujourd’hui, les niveaux de population dépendent des carburants fossiles et de l’agriculture industrielle », observe M.Tainter. « Enlevez-les du tableau et il y aurait une réduction de la population mondiale qui est bien trop horrible pour pouvoir y penser. » Si les civilisations industrialisées faillissent, les masses urbaines - qui représentent la moitié de la population mondiale - seront les plus vulnérables. Les gens qui ont le moins à perdre sont ceux qui pratiquent une agriculture de subsistance, et pour ceux qui survivront, les conditions pourraient finalement s’améliorer.
Les humbles hériteront peut-être vraiment de la Terre.