bimensuel BIOSPHERE-INFO du 1er au 15 juin 2013
Ainsi s’exprime le journaliste Renaud Machart, vendu à la pub : « Je suppose que, comme moi, il vous est arrivé d'être impressionné par l'intelligence ou la drôlerie d'une publicité à la télévision, voire par sa force dramatique et de persuasion (…) Si ces publicités exsudent parfois du génie, c'est qu'elles sont souvent réalisées par de grands noms du cinéma (…) Par goût du lucre ? Sûrement. Mais il est flagrant que ces haïkus promotionnels sont un appel irrésistible à l'inventivité la plus radicale. » (LE MONDE du 18 mai 2013, Tête de gondole)
Ainsi s’exprime Serge Latouche dans son petit traité de la décroissance sereine : « Trois ingrédients sont nécessaires pour que la société de consommation puisse poursuivre sa ronde diabolique : la publicité, qui crée le désir de consommer, le crédit, qui en donne les moyens, et l’obsolescence programmée des produits, qui en renouvelle la nécessité. Ces trois ressorts de la société de croissance sont de véritables pousse-au-crime. »
1/4) Livres fondateurs de la critique du système publicitaire
1973 La Gueule ouverte : La publicité ou la vie (mai 1973)
Toujours d’actualité, le numéro 7 du mensuel la Gueule ouverte : « La publicité nous prend pour des cons – La publicité nous rend cons »… Quand Emile de Girardin accepte l’insertion d’annonces payantes le 29 avril 1845, elles doivent être selon ses propres termes franches et concises : « La publicité se réduit à dire : dans telle rue, à tel numéro, on vend telle chose à tel prix ». Un révolutionnaire raisonnable pourrait exiger, aujourd’hui, la stricte application de ce précepte-là.
1985 Le bonheur conforme (essai sur la normalisation publicitaire) de François Brune
Edité pour la première fois en 1985, ce livre vient d’être réédité. Il a donc plus de trente ans, il n’a pas vieilli. Car l’imagerie publicitaire n’a pas changé, l’idéologie qu’elle diffuse n’a pas bougé d’un pouce. « Le plaisir, c’est de changer de plaisir » ; ce n’est pas le moindre paradoxe de l’idéologie du changement véhiculé par la publicité de se répéter telle qu’elle !
Extrait : La masse des gens est aliénée : ce fait demeure, ce fait s’aggrave. Il ne s’agit pas de se pencher sur elle pour se sentir au-dessus : nous sommes la masse.
(réédition 2012 aux éditions de Beaugies)
2004 De la misère humaine en milieu publicitaire : comment le monde se meurt de notre mode de vie
Le groupe Marcuse (Mouvement Autonome de Réflexion Critique à l'Usage des Survivants de l'Économie) était interrogé par Ruth Stegassy le 12 février 2006 : « La publicité est une propagande pure, c’est-à-dire que les publicitaires n’ont aucune conviction à défendre comme pouvaient en avoir les prêtres ou les communistes. Les publicitaires sont au service des intérêts des grandes firmes, qui ne s’adressent pas à une clientèle de proximité. Elles s’adressent à une masse de consommateurs abstraits et lointains. Pour leur parler de leurs produits, elles ont besoin de la publicité. » Le livre du groupe Marcuse est paru en 2004 (Éditions La Découverte, collection Sur le vif). Il n’est pas assez connu.
La première parution de Casseurs de pub est datée de novembre 1999. Début 2004, Casseurs de pub se transforme en « journal de la Décroissance », maintenant mensuel. Pour fêter ses dix ans, Casseurs de pub a publié ce livre écrit à plusieurs mains. Extrait : Qui a réussi à convaincre le populo qu’en s’offrant une bagnole toute neuve il protège la planète car elle rejette un peu moins de CO2 que son précédent modèle ? C’est la pub. Qui est en train de réussir à faire entrer dans nos crânes qu’on va pouvoir continuer à remplie nos caddies de trucs pas chers ? C’est la pub. C’est la pub. C’est la pub.
(Parangon)
2010 Divertir pour dominer (la culture des masse contre les peuples)
Ce livre dénonce les écrans, l’idéologie sportive et l’horreur touristique. Il consacre aussi une partie à l’Homo publicitus ; une domestication quotidienne. Extrait : On n’aliène jamais mieux autrui qu’en lui rappelant sa liberté. Affirmer dans chaque slogan publicitaire la liberté de choix des consommateurs, c’est vouloir faire coïncider une production industrielle décidée à l’avance avec les envies de chacun. Le schéma classique du besoin qui porte vers l’objet s’est renversé, les objets génèrent des désirs qui, à leur tour, créent des besoins. Le désir d’objet a pris le pas sur le désir d’être.
(Offensive, éditions de l’échappée 2010)
2/4) Agir contre la publicité : l’action des déboulonneurs
Le 20 novembre 2005, un collectif s’intitulant les déboulonneurs publie un manifeste dans lequel il définit son action : « Ce collectif se propose de déboulonner la publicité, c’est-à-dire de la faire tomber de son piédestal, de détruire son prestige pour qu’elle soit un outil d’information au service de toutes les activités humaines ». Les Déboulonneurs jouent le rôle d’alerte en procédant à des "dégradations symboliques" contre des panneaux publicitaires afin de "récupérer l’espace public". L’action consiste à barbouiller les panneaux d’affichage en peignant quelques mots, par exemple « Pollution visuelle », « Publicité = violence », « Vitrine du mensonge », etc. Ces actions non-violentes mais se revendiquant de la désobéissance civile ont le mérite de nous rappeler que la publicité nous est imposée.
Le 2 avril 2010, un tribunal relaxe huit barbouilleurs : « Attendu que les slogans expriment un message intelligible… Qu’en apposant sur un support prévu pour la communication des idées en réponse de ce qui est contenu dans le dit support, les prévenus n’ont pas commis de dégradation ou de destruction mais ils n’ont fait qu’exercer leur liberté d’expression et de communication ; qu’il convient donc de prononcer la relaxe. » Edgar Morin témoignait : « Il serait inique que des barbouilleurs animés par un esprit civique de dépollution des images soient poursuivis et condamnés, alors que tant d'ignominies dues à la recherche du profit maximum sont tolérées. »
La notion de non-réception est une notion clé dans le combat des Déboulonneurs. En effet, le concept de liberté de réception ou de non-réception se définit par la "liberté de ne pas recevoir les informations commerciales lorsqu’on se promène dans l’espace public". La liberté d’expression, quant à elle, est définie à l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans le cas déterminé par la loi". Et si, justement, nous considérions l’envahissement de la publicité dans l’espace public français comme "un abus de cette liberté" ? Car en effet, paradoxe intéressant, alors que la publicité s’adresse aux consommateurs, ceux-ci ne sont jamais consultés sur sa présence dans l’espace public.
Souvent, les publicitaires s’en remettent à la liberté d’expression voire à la liberté artistique pour défendre leur activité. Mais nous tendons à oublier que ces derniers diffusent avant tout un message commercial et, ce, dans un espace public privatisé au profit de leur activité commerciale. Jean Morange, professeur à l’université Panthéon-Assas, a démontré que « la liberté de la publicité ne peut guère relever que par extension de la liberté d’expression. Elle n’a nullement pour objectif de transmettre des idées mais plutôt de faire vendre des produits. Elle a donc pour fondement la liberté d’entreprendre ou la liberté de commerce et de l’industrie, des libertés reconnues mais dont la portée est susceptible de limitations dans l’intérêt général. »
D’autant plus que les messages diffusés entrent parfois en parfaite contradiction avec des messages de santé public : n’est-il pas schizophrénique de dénoncer le risque pour la santé d’aliments "trop sucré, trop gras ou trop salé" tout en attisant l’envie du public avec des publicités toujours plus alléchantes ? Enfin, les conditions esthétiques du cadre de vie affectent ses habitants : d'après l'association internationale Dark Sky, la saturation visuelle peut favoriser le stress et la dépression. La contradiction entre l’intérêt général et la publicité semble évidente. C’est d’ailleurs certainement parce que le lobby publicitaire en a conscience que celui-ci refuse tout débat, depuis 2007, avec des collectifs tels que les Déboulonneurs.
3/4) "Remettre la publicité à sa place", une tentative avortée à EELV
La publicité a de tout temps été critiqué par les écologistes. Elle prône la surconsommation, l’individualisme, l’immédiateté, l’apparence ou le gaspillage. Elle s’impose à nous, s’incruste dans tous les aspects de la vie collective et pervertit le fonctionnement démocratique. Bien au delà des seuls enjeux environnementaux liés au modèle productiviste dont elle est le fer de lance, la publicité a façonné des pans entiers de notre société, depuis la femme objet au culte de la vitesse et de l’apparence, en passant par un déséquilibre entre informations d’intérêt général et lobbies privés.
Remettre la publicité à sa place c’est la cantonner au rôle qui aurait toujours dû être le sien : rendre publique des informations mais sans imposer. Remettre la publicité à sa place c’est affirmer avec force qu’un autre modèle de société est possible. Nous proposons des mesures à mettre en œuvre.
1) Liberté de réception
La liberté d’expression est un concept constitutionnel fondamental. Son droit corollaire est la liberté de réception. Nous le définissons comme le droit pour tous de refuser de se voir infliger un message ou une opinion. Il devrait également figurer dans la constitution.
2) Indépendance des services publics
- Suppression totale de la publicité sur le service public de l’audiovisuel
- Interdiction de la publicité dans et autour des établissements scolaires (mallettes pédagogiques, manuels scolaires, …)
- Réduction drastique de l’affichage publicitaire dans les transports en commun
3) Information plutôt que manipulation
- Interdiction de la publicité télévisée destinée aux enfants et suppression des publicités lors des programmes jeunesse
- Meilleur encadrement des arguments et procédés publicitaires (écoblanchiement, stéréotypes sexistes, marchandisation du corps, …) et création d’une autorité indépendante chargée de la régulation pour tous les supports
- Interdiction de l’utilisation des publicités pour la communication des institutions publiques et réflexion sur la compensation pour la presse par d’autres modes de subventions
4) Impact environnemental de la publicité
- Interdiction de l’utilisation d’électricité pour l’affichage publicitaire (écrans, éclairage, …)
- Application du principe pollueur-payeur en augmentant la taxe sur les prospectus publicitaires
4/4) Quelques articles sur notre blogosphère
15 mars 2008, pour une télé sans pub
extrait : Le 24 avril 1968, le Premier ministre Georges Pompidou annonçait l’introduction de la publicité à la télévision pour de fausses raisons: « La publicité est inéluctable, je n’ai rencontré personne qui me dise le contraire. Quand, d’ailleurs, a-t-on vu les hommes renoncer à user d’un moyen nouveau, né du progrès et particulièrement puissant. »
8 avril 2010, Jacques Séguéla est-il con ?
extrait : Ou bien Jacques Séguéla est un con, et ça m’étonnerait quand même un peu ; ou bien Jacques Séguéla n’est pas un con, et ça m’étonnerait quand même beaucoup ! (Desproges en 1982, cité par LeMonde du 7 avril 2010)
19 février 2011, FNE, coup de pied dans la pub
extrait : Dans ce monde phagocyté par le pouvoir de la pub, réagir devient impossible. Même une campagne de pub dénonçant quelques errements actuels paraît iconoclaste. Ainsi la campagne de France-Nature-Environnement, un homme qui pointe sur sa tempe un épi de maïs ; un enfant en brassière qui patauge dans des algues toxiques ; une tête de mort dessinée par une multitude d'abeilles... Le ministre de l'agriculture trouve cette campagne « scandaleuse et inacceptable », la région Bretagne veut assigner devant le tribunal de grande instance de Paris l'association FNE « notamment pour atteinte à son image », le comité régional du tourisme de Bretagne a saisi l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité, deux organisations agricoles ont demandé à la justice d'interdire trois des six visuels.
Dans une société de pub, il est bien moins criminel d'empoisonner que de dénoncer les empoisonnements.