Des bétonneurs au gouvernement contre la loi Littoral

C’était en janvier 2017, en fin de quinquennat Hollande. Foin des défis posés par le croissancisme exaspérant, les parlementaires avaient adopté un amendement ouvrant généreusement les vannes à « la création de zones d’activités économiques » nouvelles, ignorant le garde-fou de la loi littoral. D’un côté des députés s’efforcent de prendre en compte l’érosion côtière en marche, de l’autre certains tentent de rogner la protection de nos côtes. Une pétition intitulée « Ne touchez pas à la loi littoral » avait enregistré à l’époque plus de 150 000 signatures, dont celle de Nicolas Hulot. Cette loi littoral vise essentiellement à protéger du mitage urbain et du bétonnage massif qui sévit chez certains voisins européens les paysages et les écosystèmes des bords de mer et des grands lacs. Adoptée en 1986 à l’unanimité, il faudra une condamnation du Conseil d’Etat pour que le décret d’application soit enfin publié en 2000. Si elle concentre les attaques de certains élus, c’est qu’elle ne se contente pas de défendre rigoureusement une bande large de cent mètres le long du rivage, elle réglemente aussi les zones attenantes. Ainsi, jusqu’à présent, il n’est pas permis de construire n’importe. Jusqu’à deux kilomètres environ à l’intérieur des terres, il est par exemple interdit de combler une « dent creuse », c’est-à-dire l’interstice compris entre des constructions déjà existantes, maisons ou bâtisses agricoles.

Bis repetita avec ce gouvernement Macron, une nouvelle controverse après l’affaire du glyphosate montre les tensions entre écolos et anti-écolos au sein de LRM (La République en marche). Ainsi va la loi ELAN (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Plusieurs élus ont cherché en vain à supprimer l’article ouvrant la voie aux bétonneurs. « Nous abîmerions nos littoraux en acceptant des dérogations même partielles à la loi Littoral, il serait malvenu d’envisager une densification de l’urbanisation » expose Sophie Panonacle (LRM). Elle s’insurge ainsi contre un amendement LRM permettant le « comblement des dents creuses ». Le ministre de « la cohésion des territoires », Jacques Mézard, pratique la langue de bois : « Je tiens à réaffirmer qu’il ne s’agit aucunement pour le gouvernement de porter atteinte à la loi littoral », mais il fait voter le comblement des dents creuses.* Place nette est faite au tourisme galopant.

Rappelons ce que disait le pacte écologique de Nicolas Hulot de 2006, signé par les présidentiables Sarkozy et Royal : « Les politiques d’aménagement du territoire doivent se réorienter à cause des enjeux écologiques et énergétiques. Destinés au départ à faciliter l’accès des citoyens aux services publics, à l’emploi au logement et aux déplacements, ils doivent s’orienter vers l’aménagement durable des espaces urbains, agricoles et naturels sans occupation croissante de l’espace. C’est d’ailleurs ce que prévoit la loi d’orientation et d’aménagement du territoire de 1999, qui a intégré la qualité de la vie et la protection de l’environnement. Pourtant l’aménagement du territoire tel qu’il se poursuit aujourd’hui continue à favoriser l’artificialisation de l’espace au détriment des paysages et des écosystèmes. Ce n’est pas faute d’outils institutionnels (DIACT, ex-DATAR, plans d’urbanisme, lois sur la protection de la nature, loi littoral, loi montagne, loi paysage et même CIADT (Comité interministériel d’aménagement du territoire). A la profusion et à la complexité des lois, à leur affaiblissement par le parlement, à leur manque de suivi, voire à leur non-application par manque de contraintes, s’ajoutent un trop grand nombre de niveaux de décision et une dispersion excessives des responsabilités… »

* LE MONDE du 2 juin 2018, L’assouplissement de la loi littoral fait débat à l’Assemblée

1 réflexion sur “Des bétonneurs au gouvernement contre la loi Littoral”

  1. La Loi Littoral a 32 ans. Imaginons à quoi ressemblerait notre littoral sans cette loi…
    Depuis 1986 elle aurait, dit-on, empêché la construction des mégacomplexes immobiliers typiques des années 60. Cependant elle n’a jamais empêché le bétonnage du littoral. En 2007 Nathalie Kosciusko-Morizet alors secrétaire d’État chargée de l’écologie présentait le bilan. De 1986 à 2006 « L’attractivité résidentielle, économique et touristique du littoral s’est fortement accélérée » : 530.000 habitants supplémentaires. (Je serais curieux de connaître le chiffre actualisé.)
    Quoiqu’il en soit ça ne suffit pas, il en faut toujours plus ! Même si cette loi est régulièrement contournée elle n’en demeure pas moins un frein à tous ces formidables projets, qui eux seuls nous permettront de sortir de la mouise. En toute bonne logique libérale il faut « assouplir » cette loi ! (Le verbe assouplir fait partie de la novlangue). Il faut assouplir, moderniser, libérer pour qu’enfin on puisse aller de l’avant. En avant, en marche ! Vers quoi on s’en fout ! Comme dit la célèbre devise « quand on ne sait pas où l’on va, il faut y aller et le plus vite possible ! »
    Ici il s’agit d’assouplir la loi littoral afin de boucher des « dents creuses »… ailleurs de moderniser les statuts des « sans-dents ». En tous cas les libéraux auraient bien tort de ne pas en profiter, puisque la populace en redemande. Et qu’en plus elle ne mord pas, tant elle est gavée de panem et circenses, et qu’en même temps, on ne cesse de lui dire qu’il faut se battre gentiment, juste pour faire semblant.

    Mes chers éco-citoyens-adultes-responsables mettez-vous bien ça dans vos petites têtes, de Shadoks : Toujours plus d’aménagements, de développement, de béton etc. c’est bon pour la croissance, et en même temps c’est bon pour l’environnement !

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