Comment se débarrasser de l’or noir et du gaz ? Comment reconstruire une économie sur des bases sans carbone ? Comment faire face concrètement au défi climatique ? Ce sont les questions que se pose « Janco » depuis vingt ans. Jean-Marc Jancovici est susceptible de recueillir sur son nom les voix d’un patron du BTP, d’un syndicaliste CGT du nucléaire et d’un écolo décroissant… mais pas encore d’un politicien.
Jean-Marc Jancovici en 2022 : « Le monde dans lequel nous vivons est un monde fini, et croire que nous disposerons toujours des ressources énergétiques à notre disposition aujourd’hui, c’est se bercer d’illusions. L’alternative à ne pas imposer de contrainte, c’est que la contrainte arrivera d’une manière qu’on n’a pas choisie. Beaucoup de gens sous-estiment cruellement “le sang et les larmes” qu’il faudra pour parvenir à la neutralité carbone.J e vais vous donner un seul chiffre : 5 %. Il faut que les émissions de CO2 baissent de 5 % par an. Ce chiffre nous est imposé par la physique, il ne peut pas être négocié en votant une loi au Parlement. J’ai mûri. Je pensais qu’il suffisait, pour avoir un effet, d’exposer un raisonnement qui se tienne. J’ai fini par comprendre que ça ne servait à rien. Nombre de journalistes pensent, à tort, que le “droit au débat” s’applique aux faits comme aux opinions. Ils deviennent alors complices de mensonges. Je veux pouvoir discuter à gauche et à droite, l’erreur des écolos a été de se mettre dans les bagages des socialistes La vraie fracture n’est pas le clivage gauche-droite, c’est entre ceux qui pensent que les faits s’imposent aux opinions et les autres, entre ceux qui ont compris qu’il y a un monde fini et ceux qui continuent de croire que la croissance infinie est possible. Mon épouse est à la maison , ce qui supprime la nécessité d’une deuxième voiture. Et le nucléaire évite toujours plus de risques qu’il n’en crée, c’est un amortisseur de la décroissance.
Jean-Marc Jancovici en 2011 : Michel Sourrouille avait organisé un colloque « Pic pétrolier, quelles propositions politiques pour 2012 ? » le mardi 25 janvier 2011 dans les locaux de l’Assemblée nationale à Paris. Voici la transcription du discours de Jancovici à l’époque.
« Je commence par une question, combien de parlementaires dans cette salle ? 1,2 3, on va dire sept ou huit ! Au niveau de l’énergie, c’est le serpent qui se mord la queue : les parlementaires n’ont pas conscience de l’urgence du problème, donc ils ne viennent pas s’informer, donc ils n’ont pas conscience du problème ! Quelle est la martingale qui permettrait à 200 parlementaires de se tenir tranquille dans une salle pendant trois heures pour écouter un cours ? Si quelqu’un a une réponse, je prends ! Car c’est une bonne partie de la stabilité politique de la France dans les vingt ans qui viennent qui en dépend. Comme les politiques sont interrogés par des journalistes qui n’y connaissant rien non plus, cela tourne en vase clos, à aucun moment il n’y a d’issue. Quelques pensées que je donne en désordre :
– Si on met bout à bout pétrole, gaz et nucléaire, on est aux alentours de 90 % de l’énergie primaire. Or la consommation d’énergie fait le pouvoir d’achat. Si on divise par dix la production d’énergie, il faut diviser par dix le pouvoir d’achat des Français.
– Le pic pétrolier, c’est un théorème de math. Il y a une dotation limitée de pétrole, de gaz et de charbon, un stock de départ donné une fois pour toutes. L’extraction part de zéro, passe par un maximum puis décroît. Cela se passe de la même façon pour tout minerai, pour le phosphate, l’alumine, le Tantale… c’est mathématique.
– Ce qui compte, c’est la quantité de pétrole par habitant. Avec l’accroissement démographique, la part diminue. La quantité mondiale de pétrole par habitant est déjà à la baisse depuis 1980. Il faut ajouter la baisse de capacité d’exportation des pays producteurs de pétrole qui font face à leurs propres besoins. La France connaît aussi une baisse de sa part dans les exportations mondiales. Ces trois baisses se conjuguent et je rappelle cette évidence : il n’existe pas de consommation croissante quand la production décroît. Il existe pourtant des gens qui font encore des scénarios de consommation croissante du trafic, imaginent le Grand Paris ou l’aéroport Notre Dame des Landes… mais avec quelle énergie ? Se contenter de dire que la demande ne sera pas satisfaite est idiot. Le Grenelle est postérieur de deux ans à la baisse de la consommation de carburant en France. La faillite de Lehmann Brothers nous a rendu un grand service…
– Le prix des fossiles est dérisoire. Les ressources naturelles mises à notre disposition sont gratuites, nous ne comptabilisons que les revenus humains, le travail et les rentes. On ne paye pas la formation du litre de pétrole. Pourtant pour le fabriquer, il faut de l’énergie solaire et attendre 300 millions d’années. Allez refaire cela avec vos petits bras musclés, cela ne va pas vous coûter le même prix !
L’idée qu’on va pouvoir trouver des substituts à l’énergie fossile ou à l’uranium, c’est une chimère, ça n’existera pas. Aujourd’hui, pour faire un baril jour de pétrole conventionnel, il faut mettre sur la table 20 000 dollars de coût en capital. Pour les hydrocarbures non conventionnels, coal to liquids ou sables bitumineux, il faut 200 000 dollars. Dix fois plus de capital nécessaire, le coût en capital du déplacement des ressources fossiles représente des sommes astronomiques. Il faut donc investir massivement dans les économies d’énergie sinon le problème social sera dramatique. J’ai une cravate, cela montre bien que je me préoccupe plus du sort des hommes que de celui des marmottes.
Dernière chose, et les socialistes ont joué leur rôle, le rejet de la taxe carbone sous le prétexte que cela allait assommer les Français est une grave erreur. Pour une croissance du prix de baril de 50 dollars, c’est une taxe carbone de 100 dollars qui va alimenter les caisses des fonctionnaires vénézuéliens, saoudiens ou russes. Dans un pays comme le nôtre qui importe 99 % de son pétrole, la taxe carbone nous la payons de toute façon.
Parce que nous avons déjà beaucoup trop attendu, les investissement de transition qu’il va falloir faire dans un contexte récessif posent problème. L’inertie des systèmes énergétiques du côté de la consommation (parc de logements, de voitures…) fait que le changement ne se fait pas en une semaine, mais plutôt en 30 ans. Géraud Guibert a dit en rigolant que les socialistes n’étaient pas au pouvoir il y a deux ans. Mais les socialistes l’ont été au cours des trente dernières années. La faute est collective, il n’y a pas droite ou gauche sur la question, il n’y a pas électeurs ou élus, on s’est tous vautrés, on a beaucoup trop attendu pour faire les choses en douceur. Mais si nous en le faisons pas maintenant de manière extrêmement musclée, ce qui nous attend n’est pas du tout ce que conçoivent les politiques dans leurs programmes électoraux pour 2012. »
Nabil Wakim décrypte Jean-Marc Jancovici : A 60 ans ce polytechnicien, nommé en 2018 au Haut Conseil pour le climat (HCC), a consacré un pan entier de sa vie à décortiquer la thématique climatique et énergétique. Il crée dans les années 2000 une méthode pour mesurer qui émet quoi, appelée le bilan carbone, désormais utilisée de manière massive en France, mais aussi à l’étranger. Il fonde, en 2007, le cabinet Carbone 4, qui conseille des entreprises pour faire face à la crise climatique et énergétique. Lui-même a rendu public son bilan carbone il y a vingt ans – il ne prend quasiment plus l’avion, chauffe son logement à 18 degrés (15 la nuit), limite sa consommation de viande de bœuf et ne roule que quelques kilomètres par an en voiture. Seule entorse au tableau : sa maison, située dans le sud de Paris, est chauffée au gaz naturel – un combustible fossile. « Janco » est une sorte de Hulot qui promet à la télévision de douloureux efforts et des sacrifices plutôt que de beaux paysages. Sa leçon inaugurale à Sciences Po intitulée « CO2 ou PIB, il faut choisir » en dit beaucoup sur sa personnalité : « Je ne vais pas beaucoup vous parler de solutions, de toute façon, ça va vous occuper jusqu’à votre mort, comme ça, vous aurez un peu de travail. » Lancé en 2010, son think tank, The Shift Project, tire ses revenus de généreux mécènes, parmi lesquels Bouygues, EDF, BNP Paribas ou Veolia. Les shifters ont professionnalisé le lobbying auprès des élus et des collectivités.
Bibliographie, les livres de Jean-Marc Jancovici :
Le plein s’il vous plaît (2006)
C’est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde (2009)
Le changement climatique expliqué à ma fille (2009)
Changer le monde, tout un programme (2011)
Dormez tranquilles jusqu’en 2100 et autres malentendus sur le climat et l’énergie (2015)
Nos articles sur ce blog biosphere :
24 décembre 2021, Jean-Marc JANCOVICI devient malthusien
21 novembre 2021, Jancovici nous pousse hors zone de confort
6 octobre 2019, Jancovici, « sans pétrole t’es plus rien »
18 décembre 2017, Extraits du discours décapant de Jean-Marc Jancovici
4 janvier 2009, Jean-Marc Jancovici critique Nicolas Sarkozy