Marxisme, écologisme et décroissance
Kohei Saito vient de publier en France « Moins ! La décroissance est une philosophie« .
En 2020, en pleine pandémie, Kohei Saito écoulait au Japon 500 000 exemplaires de Hitoshinsei no ‘Shihonron’ (qu’on peut traduire par « Le Capital dans l’Anthropocène »), un plaidoyer pour un « communisme décroissant ». Il pense que la guerre que l’on fait à la Terre doit mobiliser. Mais il s’appuie sur un marxisme qui n’est pas celui de la dictature du prolétariat, seulement sur quelques notes disparates de Marx à la fin de sa vie. Le marxisme est dépassé et nous n’avons pas encore rencontré de discours référentiel communément admis qui permette de dépasser les errements du capitalisme.
Kohei Saito (LE MONDE) : « En 2011, l’année de la catastrophe nucléaire, j’ai compris que Fukushima produisait de l’électricité pour Tokyo et que les habitants pauvres de cette ville côtière assumaient les risques pour les populations privilégiés des centres urbains. La périphérie, qu’elle soit rurale ou coloniale, soutient l’approvisionnement et l’enrichissement du centre. C’est le moment où j’ai éprouvé les limites de mon optimisme technologique.
j’ai alors commencé à mener une lecture plus critique de Marx, qui assurait que le déploiement des forces productives, fondé sur la domination de la nature, conduirait à l’émancipation de l’humanité. Mais à la fin de sa vie, Marx portait son attention sur les sols épuisés, l’extinction des espèces et la déforestation, il lisait les travaux de scientifiques sur l’agriculture spoliatrice et sa confiance dans la technologie et les forces de production était bien moins flamboyante qu’au début. Le capitalisme n’était plus considéré uniquement comme un pas vers le communisme, mais davantage comme la destruction de la force vitale de la nature.
Le retour vers la « nature » et la volonté de fédérer des communes rurales autogérées est intéressant, mais apparaît limité dans un monde majoritairement urbain. Nous devons penser la décroissance à l’échelle des grandes villes comme Barcelone et Paris où l’on commence à réguler Airbnb et à pratiquer l’économie circulaire. Si 3,5 % de la population se mobilise pour entrer dans une société post-capitaliste et décarbonée, par des manifestations ou la création de coopératives citoyennes, il ne serait pas impossible d’y arriver. C’est ce qui me rend optimiste, d’autant qu’une jeunesse mondiale comprend que tout est lié… »
Kohei Saito (philonomist) : « Je ne crois pas qu’on devrait abandonner les villes, retourner à la nature. C’est un truc de décroissants que je n’aime pas. Oui, certains peuvent vouloir déménager à la campagne ou autre… mais j’imagine mal que tout le monde puisse aspirer à cela. 1 % de la population peut bien faire ça, cela ne changera rien si 99 % des gens continuent leur vie exactement pareil : c’est inefficace. Les décroissants qui vont vivre à la montagne vivent et meurent dans leur coin. Je pense qu’il faut changer les grandes villes. C’est là qu’habite la majorité des habitants des pays développés, qui sont aussi ceux qui polluent le plus… »
Le point de vue des écologiste post-marxistes
Pelta : J’ai l’impression que j’aurai pu écrire ce texte lorsque j’avais 20 ans et que le communisme tout comme le marxisme me semblait un idéal de société. Et puis j’ai vécu un peu. J’ai constaté que la seule chose qui fait le ciment de humanité c’est la propriété et non le bien commun. Le bien commun personne ne s’en sent responsable. Et c’est valable a tous les niveaux, du vélo commun qu’il faut sans cesse réparer car personne n’en a pris soin, aux copropriétés dont les parties communes n’ont souvent rien à voir par rapport aux parties privatives, des trottoirs qui sont jonchés d’excrément, etc. Pensez que l’on peut vivre dans le bien commun n’est parfois le réalisé que dans de toutes petites communautés.
Savinien : Plus d’un siècle d’errances et d’échecs économiques et politiques n’ont manifestement pas suffi pour démontrer que le marxisme, s’il a marqué une avancée fondamentale de la pensée en apportant des concepts dont il serait difficile de se passer aujourd’hui, est en termes d’idéologie autant voué à l’échec que le “laisser faire, laisser aller” des premiers libéraux. C’est illusoire de croire qu’on pourra sauver la planète sans remettre en cause un certain nombre de choix de mondialisation liés à des théories ricardiennes du libre-échange qui n’ont jamais été démontrées et conduisant à des externalités insupportables.
Jacques Py : Marx nous aura laissé d’abord une méthode de penser dite pompeusement matérialisme historique. Ce que vous vivez détermine votre pensée, la réalité des choses vous préexiste, c’est à partir d’elle que tout doit se concevoir, l’économique est premier. Historique au sens que tout est d’abord un processus et que c’est lui qui doit organiser votre réflexion: ne pas penser un objet isolé, mais ce qui l’a fait naître, les causes, et vers où il va, quelle finalité. Son second apport fut de théoriser le plus implacablement ce régime Capitaliste qui est devenu notre univers étroit de vie. Nous vivons un monde dominé par la logique d’un toujours plus de richesses, de compétition, un monde de technologie pour le profit, un monde où l’individu n’est plus qu’agent économique. Tout est soumis à cette impératif, qui détruit la Planète et nous asservit à ses buts, en réduisant notre humanité à ses objectifs. Le Marx politique n’a plus aucune intérêt.
Jean Rouergue : A t’on besoin d’avoir lu tout Marx, tout Engels ou tout Ankhamon…(tant qu’on y est !!) ? pour voir la biodiversité dégringoler, l’appauvrissement de pays entiers et l’écroulement de quelques unes de nos fiertés comme l’école, la santé, nos services publics … a t’on besoin, comme certains de toujours invoquer les khmers rouges pour déconsidérer une idée ou défendre notre président qui peine à réarmer le pays, à se réarmer lui même ?… Certains ressassent toujours les mêmes arguments, sont-ils restés à l’heure de Pétain ? Le changement horaire ne les aurait-il pas secoués ?…
Khee Nok : Kohei Saito a l’air de rejeter la violence qui est pourtant explicite dans le marxisme (la dictature du prolétariat c’est bien une dictature, pas une soirée de gala). Quant au Marx écolo, j’aimerais voir les références. L’épuisement des ressources naturelles, sous l’effet conjugué de l’explosion démographique et de la société de consommation, n’était pas encore à l’époque le sujet numéro 1, si ce n’est via la conception malthusienne (rejetée par Marx).
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Libéralisme, marxisme et écologisme
extraits : Marx pense que le capitalisme ( comme le socialisme) doit accroître l’emprise de l’homme sur la nature : « La patrie du capital ne se trouve pas sous le climat des tropiques, au milieu d’une végétation tempérée. Et ce n’est pas la fertilité absolue du sol, mais plutôt la diversité de sa composition géologique et la variété de ses produits naturels qui forment la base naturelle de la division sociale du travail et qui incitent l’homme à multiplier ses besoins, ses moyens et modes de travail ». La contrainte naturelle est même sensée perdre en intensité à mesure que l’industrie se développe. En d’autres termes, l’homme reste toujours maître de la nature. Il n’y a pas dans l’analyse de Marx l’idée que le capitalisme va dépérir parce qu’il exploite de façon outrancière les ressources de la nature…
Infrastructure matérielle au sens marxiste… et écolo
extraits : Pour K.Marx, les forces motrices de l’histoire sont à chercher dans l’organisation « matérielle » des sociétés : « Dans la production sociale de l’existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. » (K.Marx, critique de l’économie politique, 1859)
En fait, la vision de Marx est anthropocentrique, ne considérant que les rapports sociaux et non les conditions véritablement matérielles de l’existence, c’est-à-dire les rapports conflictuels de l’Homme et de la Nature. Il faut attendre l’année 1971 qui marque un véritable tournant analytique. C’est Howard Odum (Environment, power, and society, 1971) qui fait observer que dans la combinaison « homme, esprit, énergie », c’est la source d’énergie et non l’inspiration humaine que, en dernière analyse, fixe les limites du progrès humain…
L’écologisme comme successeur « naturel » du marxisme
extraits : Pour Karl Marx, ce ne sont pas les idées qui changent le monde, c’est l’état de l’infrastructure matérielle. Sauf qu’il considérait seulement le facteur capital et le facteur travail, l’exploitation des travailleurs dans le système de production. A son époque, bercée par l’industrialisme naissant, la nature était encore considérée comme généreuse, aux ressources illimitées ; le facteur Terre n’entrait pas en ligne de compte. Aujourd’hui c’est la planète qui est surexploitée. Nous considérons que le nouveau grand récit en train de se concrétiser résulte de l’allié principal des écologistes, l’état de la planète. Celle-ci ne négocie pas et se fout complètement du sens que les humains veulent donner à leur existence. Mais ses paramètres biophysiques sont indispensables au bon fonctionnement du système socio-économique humain….
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