Conférence de citoyen, image de la démocratie de masse

La politique repose sur des « éléments de langage » que les membres de la classe dirigeante s’efforcent de propager dans la presse et d’inculquer à l’opinion publique. Michel Sourrouille propose aux électeurs dans son livre* un lexique pour pouvoir mieux se situer face aux jeux du pouvoir et mieux comprendre les enjeux de la démocratie. Exemple, les conférences de citoyens :

« Dans les années 1970, en Allemagne, le sociologue Peter Dienel cherche à associer les habitants à la conception des projets. Pour lui les réunions publiques ne constituent pas le bon outil : elles peuvent mobiliser un grand nombre de personnes mais ne parviennent pas à concerner tous les groupes sociaux. De plus, les débats trop brefs ne débouchent le plus souvent que sur des revendications hétéroclites et pas toujours réalistes, voire sur un clivage entre les visions des participants plutôt que sur un consensus. Pendant des années, Dienel expérimente de nouveaux dispositif de formation et de recueil de la parole des citoyens, jusqu’à aboutir à ce qu’il appelle les « cellules de planification » (Planungszelle) : des groupes de 25 personnes tirées au sort parmi les habitants d’un quartier et mobilisés pendant plusieurs jours, qui reçoivent des éléments de formation et d’information sur le problème à traiter, puis qui délibèrent pour élaborer des recommandations.

De nouvelles perspectives apparaissent en 1987, quand le Danish Board of Technology (organisme danois), affine la méthode qu’il baptise « Conférence de consensus ». Il mobilise un groupe de citoyens à qui il soumet une question qui n’appartient en rien à l’espace local, celle de l’usage des organismes génétiquement modifiés. La première conférence de consensus a eu lieu en France en 1998 sur le même thème, celui des plantes transgéniques. Elle a été organisée par l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avec 15 citoyens et faisait suite à une décision controversée prise en 1997 d’autoriser la culture de certains maïs transgéniques.

La conférence de citoyens répond à une situation où une décision politique est souhaitable mais où elle revêt une complexité inhabituelle et nécessite un consensus de la population. Très souvent les thèmes concernent l’environnement ou les conséquences d’une innovation technologique. Le sujet débattu comporte de lourdes incertitudes qu’il est impossible de lever dans l’immédiat. Le panel des citoyens tirés au sort doit refléter la composition sociodémographique de la nation, mais aussi les équilibres idéologiques. Au départ les membres du panel ne possèdent pas d’information détaillée sur la thématique traitée. Une formation scientifique et technique assez lourde est donc nécessaire. Des intérêts multiples et contradictoires sont liés à la question débattue, ils sont écoutés lors d’auditions. Cette méthodologie doit permettre aux profanes de « mettre en question » les certitudes des experts. Le choix des formateurs et de l’animateur est crucial pour éviter les manipulations. L’objectivité de la formation et des débats doit pouvoir être vérifiée. La conférence de citoyens ne saurait être considérée comme une forme de sondage d’opinion, mais comme l’élaboration collective d’une décision éclairée. Dans l’idéal, les délibérations du Parlement pourraient être précédées par des conférences de citoyens réunis chaque fois qu’il y a une décision difficile à prendre. »

L’écologie à l’épreuve du pouvoir » (Un avenir peint en vert pour la France ?)

(éditions Sang de la Terre, en librairie depuis juillet 2016, 370 pages pour 19 euros)