Chez les peuples de chasseurs-cueilleurs, les conflits étaient brefs et peu sanglants ; ils cessaient souvent lorsqu’un homme était tué, voire seulement blessé. Le chef, dans ces sociétés premières, n’est pas celui qui tape ou crie le plus fort, mais celui qui organise le partage. La bifurcation décisive a eu lieu durant le néolithique, marqué par l’apparition de l’agriculture, de la sédentarisation, des villes et des premiers États. Il existe en particulier une corrélation directe ancienne entre la culture des céréales et les hiérarchies. Une partie du travail des paysans est accaparé par une élite autoproclamée sous forme d’impôts et redistribué à des soldats qui protègent les intérêts de cette élite. Une explication complémentaire découle de la densité humaine. Alors que les petits groupes peuvent pratiquer une certaine démocratie directe, la concentration des humains demande la centralisation du pouvoir. Ce système militaro-politique implique l’usage de la force non seulement au niveau interne du groupe, mais aussi vis-à-vis de l’extérieur. Les premières batailles de masse remontent à longtemps.
Vers -2700 à -2600, des pyramides à degré en Égypte étaient déjà érigées en l’honneur d’un seul humain pour rendre visible leur pouvoir… même après leur mort. Une armée bien équipée était au service de Pharaon. La plus grande bataille de chars de l’Histoire a opposé Égyptiens et Hittites en 1275 avant J.-C.
En Europe, la bataille de la rivière Tollense est survenue durant l’Âge du bronze vers 1300 avant J.-C. Crânes perforés, pointes de flèches en bronze, hache, on savait déjà s’entre-tuer et on prenait les moyens pour. Près de 4 000 combattants auraient été impliqués, 750 d’entre eux auraient été tués ; à une époque où la densité de population était seulement d’environ 5 personnes par km², cela fait beaucoup. La présence de cavaliers et de porteurs d’épées jette une lumière nouvelle sur la composition sociale des combattants à Tollense : ce ne sont pas des hordes d’agriculteurs qui se rencontrent dans une bagarre sauvage, mais des armées organisées dont la hiérarchie laisse suggérer des sociétés structurées.
Ces animaux qui se disent intelligents et qu’on appelle les humains deviennent en groupe des hordes sauvages qui tuent des gens qu’ils ne connaissent pas au profit de gens qui gardent leurs privilèges. La notoriété et les connaissance d’Einstein et de Freud n’ont rien pu faire contre la soumission volontaires des peuples. L’opuscule « Pourquoi la guerre ? (Warum Krieg?) » rassemble un échange épistolaire de 1932, entre Albert Einstein et Sigmund Freud. Ils le font à la demande de la Commission internationale de coopération intellectuelle.
La publication de l’échange voit le jour en 1933 à Paris puis en Allemagne, deux semaines après l’accession d’Adolf Hitler au poste de chancelier ; elle y fut tout de suite interdite. Le 10 mai 1933, les nazis organisent des autodafés où les livres inscrits sur une liste noire, notamment les ouvrages de Freud et Einstein, sont brûlés publiquement.
Voici un résumé de l’échange entre Einstein et Freud
Albert Einstein (Potsdam, le 30 juillet 1932) : Existe-t-il un moyen d’affranchir les hommes de la menace de la guerre ? On s’entend aujourd’hui à reconnaître que les progrès de la technique ont rendu pareille question proprement vitale pour l’humanité civilisée, et cependant les ardents efforts consacrés à la solution de ce problème ont jusqu’ici échoué dans d’effrayantes proportions. Pour moi qui suis un être affranchi de préjugés nationaux, la face extérieure du problème en l’espèce, l’élément d’organisation m’apparaît simple : les États créent une autorité législative et judiciaire pour l’apaisement de tous les conflits pouvant surgir entre eux. Mais nous sommes actuellement fort loin de détenir une organisation supra-étatiste qui soit capable de conférer à son tribunal une autorité inattaquable et de garantir la soumission absolue à l’exécution de ses sentences. Et voici donc le premier principe qui s’impose : la voie qui mène à la sécurité internationale impose aux États l’abandon sans condition d’une partie de leur liberté d’action, en d’autres termes, de leur souveraineté, et il est hors de doute qu’on ne saurait trouver d’autre chemin vers cette sécurité. L’appétit de pouvoir que manifeste la classe régnante d’un État contrecarre une limitation de ses droits de souveraineté. Cet « appétit politique de puissance » trouve souvent un aliment dans les prétentions d’une autre catégorie dont l’effort économique se manifeste de façon toute matérielle. Je songe particulièrement ici à ce groupe que l’on trouve au sein de chaque peuple et qui, peu nombreux mais décidé, se compose d’individus pour qui la guerre, la fabrication et le trafic des armes ne représentent rien d’autre qu’une occasion de retirer des avantages particuliers, d’élargir le champ de leur pouvoir personnel.
Cette simple constatation n’est toutefois qu’un premier pas dans la connaissance des conjonctures. Une question se pose aussitôt : Comment se fait-il que cette minorité-là puisse asservir à ses appétits la grande masse du peuple qui ne retire d’une guerre que souffrance et appauvrissement ? Voici la première réponse qui s’impose : cette minorité des dirigeants a dans la main l’école, la presse et presque toujours les organisations religieuses. C’est par ces moyens qu’elle domine et dirige les sentiments de la grande masse dont elle fait son instrument aveugle.
L’homme a en lui un besoin de haine et de destruction. En temps ordinaire, cette disposition existe à l’état latent et ne se manifeste qu’en période anormale ; mais elle peut être éveillée avec une certaine facilité et dégénérer en psychose collective. Existe-t-il une possibilité de diriger le développement psychique de l’homme de manière à le rendre mieux armé contre les psychoses de haine et de destruction ?
Freud répond que la Société des nations est susceptible de représenter une prévention contre la guerre, mais qu’elle « demeure impuissante, sinon sur le plan des idées ». Quant à la pulsion de haine évoquée par Albert Einstein, elle rejoint sa théorie de la pulsion de mort : « La pulsion de mort devient pulsion de destruction en se tournant, au moyen d’organes spécifiques, vers l’extérieur, contre les objets. L’être vivant préserve pour ainsi dire sa propre vie en détruisant celle d’autrui ». Mais il ajoute que « nous sommes formés par le long processus de l’évolution de la culture ». En attendant que tous les hommes « deviennent pacifistes », il est permis de penser que « tout ce qui promeut le développement culturel œuvre du même coup contre la guerre ».
Actualisation
Depuis les années 1930, l’état de guerre perdure. Aujourd’hui encore, en 2024, les images de mort et de destruction en Palestine ou en Ukraine sont instrumentalisées par chaque camp pour continuer à alimenter la guerre. Or ces guerres ne mettent pas en jeu des individus, mais des États. Comme l’exprime Rousseau, « La guerre n’est point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État ».
Un État moderne, qu’est-ce que c’est ? Les murs d’un Parlement, une batterie de fonctionnaires, un territoire délimité artificiellement par des frontières, un nationalisme. Par la guerre toutes ces dimensions éparses sont réunies en un seul faisceau, mobilisées par une seule tension : la défense ou l’affirmation de soi contre un ennemi intérieur ou extérieur. L’affirmation pure de sa supériorité sur ses voisins ont été, pendant la longue histoire des États, une motivation essentielle des dirigeants quand ils déclaraient la guerre. Quel dictateur, de Ramsès II à Poutine, n’a pas voulu construire sa légende par les conquêtes militaires ?
On en revient au début de cet article, une élite dirigeante s’accapare du pouvoir en spoliant les paysans pour trouver les moyens de conforter leur pouvoir au moyen d’une armée dont la vocation est la guerre. En termes actuels, la part des impôts consacrés à la défense militaire permet notre assujettissement au pouvoir en place. Refuser ce paiement serait être un droit dans un système qui se voudrait démocratique.
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La guerre, recherche de l’espace vital
extraits : L’augmentation de la densité démographique, les tensions sur les ressources et la constitution d’élites et d’esclaves sont reliées à une augmentation des violences collectives. C’est en particulier vers le Ve millénaire avant notre ère qu’une hausse de la violence létale est relevée, attribuée à des communautés humaines en forte expansion pour le partage des ressources. L’explosion démographique décuple mécaniquement les conflits violents, organisés par des structures territorialisées. Apparu vers le IIIe millénaire avant notre ère, l’Etat s’est épanoui durant les cinq derniers siècles, au point de devenir la forme de souveraineté politique de presque toutes les sociétés humaines. L’Etat moderne prétend à une souveraineté absolue exercée sur une population et un territoire donnés, sa population devient de la chair à canon au service d’un dirigeante, qu’il soit roi dictateur ou même élu. Les gouvernements instaurent un système concentrationnaire d’enrégimentement que sont la caserne, l’école et l’usine. Les innovations techniques rendent les conflits plus meurtriers….
Le coût écologique exorbitant des guerres
extraits : Tour à tour enjeu stratégique ou victime collatérale, l’environnement n’a jamais été épargné dans la longue histoire des peuples et de leurs affrontements. Des batailles menées par Darius contre les Scythes en – 513 av. J.-C. jusqu’aux puits de pétrole incendiés au Koweït par l’armée de Saddam Hussein en 1990, la stratégie de la terre brûlée s’est de tout temps révélée une arme redoutable. Dans cette histoire de feu et de sang, les conflits de masse du XXe siècle ont franchi un palier. Les guerres industrielles, capables d’anéantir les populations, dévastent aussi durablement les écosystèmes. Sans compter l’arsenal atomique qui fait peser une menace écologique sans précédent dans l’histoire de l’humanité…..