Écologie : rendre possible l’impossible

Après la nomination en 1971 d’un secrétaire délégué de la protection de la nature et de l’environnement et d’un ministère à part entière en 1975, le bilan suivant a été fait par son premier titulaire, Robert Poujade. Dans son livre-témoignage de 1975, « Le ministère de l’impossible », il explique :

« Avec 300 fonctionnaires et un budget minuscule, il me fallait infléchir – essayer d’infléchir ! – la politique d’une douzaine de ministères, disposant d’administrations puissantes, et de très grands moyens…J’ai eu trop souvent le sentiment de lutter presque seul contre des entreprises que tout aurait dû condamner… On accepte de subventionner n’importe quelle activité sous la pression des intérêts privés, mais beaucoup plus difficilement de prélever une part très modeste de profits, faits au détriment de la collectivité, pour lui permettre de réparer des dommages… La civilisation industrielle a préféré le rendement immédiat à la protection des ressources naturelles. ».

Voici quelques solutions pour dépasser un blocage gouvernemental qui perdure jusqu’à nos jours, ce que nous avons constaté dans notre article précédent.

  •  Redéfinir le périmètre du ministère de l’écologie

Corinne Lepage tirait de son expérience de ministre de l’écologie en 1995-1997 ce résultat : « Les ministères de l’agriculture, de l’industrie, des transports gèrent seuls ou presque les pesticides, les choix énergétiques, le bruit des avions… Le ministère de l’agriculture sera celui des agriculteurs, le ministère des transports celui des transporteurs. Le principe d’intégration qui veut que l’écologie soit intégrée en amont de tous les choix publics est piétiné. » Pour éliminer cette infériorisation systématique, Nicolas Hulot proposait en 2006, dans son Pacte écologique, la voie d’un grand ministère de l’Écologie qui regrouperait différents domaines. Cette solution d’élargissement du périmètre dilue encore davantage l’impératif écologique dans un conglomérat d’intérêts contradictoires. Alain Juppé est devenu en 2007 ministre d’État, ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables (MEDAD) et numéro 2 du Gouvernement. Expérience peu concluante.

Plutôt qu’un ministère à périmètre variable, plutôt qu’un vice-Premier ministre, il est préférable que ce soit le Premier ministre lui-même qui soit en charge de l’écologie. Car en fait c’est le Premier ministre qui est tenu d’arbitrer entre les projets de ses différents ministres lorsque les logiques sont contradictoires. Nommée Première ministre en mai 2022, Elisabeth Borne a été chargée de la planification écologique et énergétique. C’était la première fois qu’un Premier ministre possèdait directement une attribution. Mais si le président n’a pas la fibre écolo, cela ne change rien fondamentalement.

  •  Un vote éclairé des parlementaires

Selon l’article 27 de la Constitution française, « Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du parlement est personnel ». Chaque député, représentant du peuple français et non d’un chef de parti, est directement responsable de son vote. Le statut d’un député est nominatif, il ne dépend pas normalement des partis. La place des partis comme l’existence des circonscriptions ne sont que des modalités de sélection des candidats. La logique partisane devrait s’effacer devant l’urgence écologique, un élu devrait réfléchir et voter en son âme et conscience pour le bien commun de la nation.

Encore faut-il que le parlementaire ait une formation lui permettant de voter en pleine conscience. Or, selon une étude de l’Ademe, 20 % des parlementaires estimaient que le changement climatique ne fait pas l’objet de consensus scientifique et la même proportion pense qu’il s’agit « uniquement d’un phénomène naturel qui a toujours existé »… alors que la totalité de la communauté scientifique compétente s’accorde sur le fait que le réchauffement est dû aux activités humaines. Une doctrine interministérielle commune sur l’écologie pourrait être mise en œuvre. Le climat ou la biodiversité relève de la science écologique, l’opinion politique doit savoir en tirer les conséquences.

  •  Généraliser les conventions citoyennes

Une convention citoyenne est composé de personnes tirées au sort et représentative de la structure de la population française. Des experts (in)forment les membres de ce groupe sur un problème spécifique, par exemple le réchauffement climatique. Ces citoyens en discutent, cherchent le consensus et votent les mesures à prendre. C’est donc un avis conforme à ce qui devrait être et d’ailleurs personne n’a contesté la validité des 149 propositions faites par la convention climat créée en octobre 2019. Encore faut-il qu’elles soient appliquées « sans filtre », sans édulcoration par son passage à l’Assemblée nationale ni veto du président de la république. Ce qui n’a pas été fait.

Une bonne manière de rendre efficace la tenue d’une convention citoyenne, ce serait que son déroulé intégral soit diffusé en direct sur une chaîne publique. La transparence de la vie politique est un des critères du bon fonctionnement de la démocratie.

  • S’affranchir de l’immédiat par la planification

Après 1945, il y avait une planification indicative à la française, un commissariat au plan et des perspectives définies sur cinq ans. Le dernier plan français a pris fin en 1992, on a jugé que le rôle des gouvernements n’était pas de jouer les chefs d’orchestre d’une activité économique de plus en plus complexe. Mais aujourd’hui, avec la raréfaction des ressources, la transition écologique implique de déterminer les secteurs d’activité qui doivent être supprimés, réorientés ou soutenus. Il n’y aura de transition réussie que si les citoyens se reconnaissent dans un projet collectif, y voient la possibilité d’un avenir désirable et en deviennent les acteurs. Un Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) devait coordonner l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d’énergie, de biodiversité et d’économie circulaire (communiqué de la Première ministre du 20 mai 2022). En juillet 2022, le tandem Elisabeth Borne, chargée de la planification écologique, avec Antoine Pellion, secrétaire général du SGPE était confirmé par l’Elysée. Ce processus est resté malheureusement sans lendemain.

Le 5 juillet 2017 Emmanuel Macron avait évoqué devant le congrès le 5 juillet 2017 une autre innovation institutionnelle, transformer le Conseil économique, social et environnemental) :

« Le CESE doit devenir la Chambre du futur, où circuleront toutes les forces vives de la nation. Nous ferons de cette assemblée le carrefour des consultations publiques. L’actuel CESE doit pouvoir devenir le forum de notre République. Il réunira toutes les sensibilités et toutes les compétences, du monde de l’entreprise et du travail, des entrepreneurs et des syndicats, des salariés comme des indépendants, donnera un lieu d’expression aux associations et aux ONG, et deviendra ainsi pour l’Etat la grande instance consultative qui fait aujourd’hui défaut. »

Une autre initiative pour intégrer le long terme dans les décisions publiques qui n’a malheureusement pas été concrétisée.

Conclusion

Nous avons montré qu’il est possible de définir les modalités d’une prise en compte de l’urgence écologique par un gouvernement. Reste à faire en sorte que la théorie devienne réalité. Nicolas Hulot avait fait sienne cette pensée de David Brower : « L’optimisme et le pessimisme expriment sous des formes différentes la même capitulation face au futur ; car tous les deux le traitent comme une fatalité et non comme un choix. » En s’engageant dans un gouvernement pas vraiment écolo en 2017, Nicolas avait tenté de rendre possible l’impossible. Il a échoué, mais ce n’était qu’un des marcheurs d’une longue marche collective.

Tout dépend en définitive de notre capacité collective à reconnaître les contraintes biophysiques et à agir en conséquence. Un gouvernement même très motivé écolo ne peut pas grand-chose s’il n’a pas avec lui le consensus social. Il n’y aura donc sortie de la myopie démocratique si les citoyens sont eux-mêmes les défenseurs d’une conscience élargie du monde dans le temps et dans l’espace.

La constellation des impossibilités sur notre blog biosphere

Fukushima, quand l’impossible est certain (mars 2011)

Eduquer au XXIe siècle ? Impossible ! (mars 2011)

contrôler la fécondité des pauvres, impossible obligation (janvier 2014)

noces impossibles du productivisme et de l’agroécologie (janvier 2014)

Impossible mais vrai, l’homme dévore 1,5 Terre par an (octobre 2014)

Produire plus, polluer moins : l’impossible découplage (janvier 2015)

Un impossible démantèlement des centrales nucléaires (mars 2016)

Nicolas Hulot vivait au ministère de l’impossible (août 2018)

L’énergie contrainte rend la démocratie impossible (novembre 2018)

Désastre en 2050, neutralité carbone impossible (mars 2019)

Pas de bol, l’impossible retour à la nature sauvage (avril 2019)

L’ impossible union des mouvements écolos (juin 2019)

post-Covid, l’impossible an 01 de l’écologie (avril 2020)

Un impossible tourisme « durable » (juillet 2021)

Sortir des énergies fossiles, impossible ? (novembre 2021)

l’impossible réveil écologique des ingénieurs (décembre 2021)

L’impossible blocage du prix des carburants (mars 2022)

Écologie, le ministère de l’impossible (juin 2022)

L’impossible assurance anti-apocalypse (janvier 2024)

Sombrer dans le chaos n’est pas impossible… (mars 2012)

Extraits : Dans un monde fragilisé par l’expansion incontrôlée de l’activité humaine, tout devient possible. Prenons le battement d’aile de nos avions. La décision européenne de taxer, depuis le 1er janvier 2012,  les émissions de CO2 des compagnies aériennes opérant en Europe est déjà remise en question par plusieurs pays qui préfèrent la guerre commerciale que l’entente sur le climat. Résultat probable, un réchauffement climatique qui va être accéléré par les boucles de rétroaction positive que nous avons analysées dans un post antérieur. D’où la possibilité du chaos environnemental et social résultant d’un réchauffement dépassant 4 ou 5 °C en moyenne mondiale. Nos motivations économiques égoïstes et de courte vue amplifient les déséquilibres écologiques, la croissance voulue par nos dirigeants actuels préfigure le chaos futur. Nous ne nous méfions pas assez du battement des ailes de nos avions.

5 réflexions sur “Écologie : rendre possible l’impossible”

  1. On voit bien qu’aucun gouvernement ne peut contraindre la machine économique qui nous envoie dans le mur, même au niveau Européen, on ne gouverne rien, le capital impose ses normes mortifères.
    Avant que les individus se soulèvent … nous aurons laissé la planète mourir, et le capitalisme mourra faute de carburant.

  2. modération à bga80
    N’envoyez pas votre commentaire en plusieurs fois, cela ne sert à rien,
    le serveur envoie automatiquement à la corbeille les envois en nombre…

    « « Avec 300 fonctionnaires et un budget minuscule, il me fallait infléchir – essayer d’infléchir ! – la politique d’une douzaine de ministères, disposant d’administrations puissantes, et de très grands moyens… »

    Parce que vous évaluer l’efficacité d’un Ministère en fonction du nombre de fonctionnaires ?
    Car à regarder Bercy, 150.000 planqués pour plus de 3000 milliards de dettes en plus des 7 à 8000 milliards de dettes cachés sous le tapis des hors bilan ! Et avec tous ces planqués, on n’obtient même pas de l’efficacité pour lutter contre l’évasion fiscale !

    Bref, j’aurais plutôt tendance à penser le contraire, les ministères ne sont pas assez restreints en fonctionnaires ! Moins il y en a et moins il y a de dépenses publiques et par ricochet moins il y aura de dépenses publiques financées à crédit !

    1. L’argent, la dette, c’est du vent ! Seulement ça, tu as du mal à le comprendre.
      Toi tu ne comprends que ce que est simple, et simplet. Comme ce que coûtent les fonctionnaires, TOUS des planqués, des fainéants de gauchistes et patati et patata.
      Supprimons donc TOUS les fonctionnaires. Les gros, les petits, TOUS dans le même panier et hop à la flotte, Dieu reconnaitra les siens. Tant qu’à bien faire supprimons TOUS les ministères. Et supprimons même l’État.

  3. Chercher des solutions pour débloquer tout ça, moi je veux. Seulement je doute que ces quatre suffisent. La conclusion de Biosphère va dans ce même sens.
    Un (ou une) Premier ministre lui-même en charge de l’écologie, moi je veux. Seulement, même si Babou avait eu la fibre écolo, même si Nicolas avait été Premier ministre, je ne vois pas comment les choses auraient pu être différentes. Des parlementaires n’ayant de comptes à rendre qu’à ceux qu’ils représentent, des parlementaires éclairés … moi je veux.
    Mais qui donc pourraient les éclairer ?
    – « Le député est un élu éclairé par les administrés » ( Le MONDE 04 mai 2022)
    Bof… mais admettons. De toute façon il faut faire avec celles et ceux eux qui «choisissent» (votent) les marionnettes sensées les représenter, les gouverner. Les amuser, les abuser et en même temps. ( à suivre )

    1. (suite) Ces pseudos citoyens qui mis bout à bout (tous ensemble tous ensemble !) forment le fumeux Peuple… souverain. La bonne blague ! Le Pôple, le Troupeau, le Gros Animal (Platon) qui veut et fait la Démocratie (démocrassie). La volaille qui fait l’opinion (Souchon, Poulailler’s Song). L’Opinion, cette satanée girouette qui sert à orienter «comme il faut» les bœufs déboussolés. Qui leur sert de phare et en même temps, pour les «éclairer».
      Des conventions citoyennes, durant lesquelles les heureux élus (tirés au sort) seront éclairés, bien comme il faut cette fois, là encore moi je veux. Peu importe le sujet, qu’ON en fasse pour tout et n’importe quoi, et que les meRdias nous les servent en continue !
      Et peut-être que les dits citoyens finiront par se dire que trop c’est trop … ON peut toujours rêver. En attendant, ON peut prendre le Problème par n’importe quel bout, force est de constater que le Système est bien ficelé.

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