L’énergie contrainte rend la démocratie impossible

Pour cette journée de manifestation contre la hausse du prix des carburants, il est utile de (re)lire ce texte de JANCOVICI qui remet les pendules à l’heure : la démocratie est un système fragile qui s’effondre quand l’énergie vient à manquer.

« La démocratie commence à buter sur le monde fini (à cause du plafonnement énergétique), alors qu’elle a essentiellement vu le jour et prospéré dans le monde en croissance. La généralisation à toute l’Europe de ce régime politique, qui laisse à la population une large voix au chapitre pour dire par qui elle veut être gouvernée, provoque mécaniquement l’apparition de candidats surenchérissant de promesses de monde meilleur. L’énergie abondante permet d’augmenter la production de tout et n’importe quoi, elle a donc permis d’augmenter la redistribution. La démocratie correspond de fait à ce système qui permet aux plus nombreux d’exiger la plus grosse part du gâteau.

Il est des libertés « démocratiques » qui ne peuvent plus s’exercer dans le monde fini. Dans un monde en expansion, votre liberté d’avoir un logement plus grand, voire un logement tout court, ne gêne pas l’exercice de la même liberté par votre voisin. Par contre dans un monde en contraction, ce n’est plus la même chanson. Comment décider « démocratiquement » que la surface de logement par personne doit rester stable, ou, pire, être réduite ? Commet gérer cela quand, au surplus, la liberté de se séparer après avoir fait des enfants (autrement dit le divorce ou ce qui y ressemble) fait mécaniquement augmenter la surface de logement par personne ? Il est facile de voir que, dès qu’une assemblé élue est appelée à se prononcer, elle sait mieux s’accorder sur la manière de donner plus que sur la manière de donner moins. Dans le second cas, les débats sont longs, souvent pleins de malentendus, et tout le monde se voile la face sur la réalité de l’obstacle à franchir. Mais avant que la classe politique, et la classe médiatique qui lui donne la réplique, ne comprenne qu’à cause de la raréfaction des combustibles fossiles il faut arrêter les promesses du toujours plus, il risque hélas de couler encore un peu d’eau sous les ponts.

Plus nous chercherons la « démocratie parfaite » à court terme, celle où tout le monde a le droit de tout faire, et moins nous serons efficaces face au défi à relever, courant alors le risque maximum que le problème se règle d’une manière qui ne nous aura rien demandé, puisque les lois de la physique seront de toute façon respectées. Quel prix sommes-nous prêts à payer pour éviter de déclencher, bien avant la fin de ce siècle, le retour à la barbarie généralisée sur une planète irréversiblement appauvrie ? Certes il y avait encore des tickets de rationnement en France après la seconde guerre mondiale, mais le système avait été instauré à un moment où la démocratie n’était plus vraiment de mise. Quand nous sommes dans un monde où il n’y a plus à espérer davantage demain qu’aujourd’hui, il est plus facile de se contenter de l’ordre établi.« 

Jean Marc Jancovici (Dormez tranquilles jusqu’en 2100, réédition 2017 en livre de poche)

3 réflexions sur “L’énergie contrainte rend la démocratie impossible”

  1. @Bga80
    Ce que je veux dire, c’est que nous avons chacun notre idée de la démocratie et de la liberté.
    Selon moi nous ne sommes pas en démocratie, du moins pas dans une véritable démocratie. Nos dites démocraties n’en ont que le nom, l’étiquette. J’ai dit X fois que le citoyen était une espèce en voie d’extinction, qu’il s’était fait détrôné par le con-sommateur. Or pas de démocratie sans citoyens et vice versa.
    Nous sommes plus excatement dans « une étrange dictature » (Viviane Forrester).

    D’autre part, nous nous croyons libres parce que nous pouvons « choisir » entre 500 ou 5000 modèles de bagnoles, autant de modèles de lessives, de destinations de vacances etc. Sans parler de la « farce électorale » (Paul Lafargue) où nous avons le « choix » entre la peste et le choléra. Tout ça n’est qu’une illusion de liberté, si vous avez lu Platon vous devriez le savoir.

    Maintenant croyez bien que de mon côté, je ne me fais aucune illusion sur ce qui nous pend au nez. Et c’est là que je rejoins Jancovici.

  2. «  »tout ce qu’il peut raconter au sujet de la démocratie n’engage que lui. » »

    Non, ça n’engage pas que lui, il n’est pas le seul dans ce courant de pensée, et en faite dans cette pensée je dirais plutôt que c’est de la déduction logique et non pas une opinion. Donc moi aussi je le pense que les libertés vont se retrouver en déplétion aussi. Pourquoi ? Parce que les libertés sont indexées sur les ressources ! Que font les gens de leurs libertés ? Ben leurs libertés servent à réclamer plus de ressources. On le voit à TOUTES les élections SANS exception = les gens votent pour obtenir plus de dépenses publiques et les gens votent pour avoir le moins d’impôts possibles, en gros chacun tire la corde vers soi pour obtenir les ressources quant aux impôts ce sont toujours aux autres d’en payer jamais soi. Dans une démocratie tout le monde veut taper dans la caisse, mais personne ne veut contribuer d’effort pour la remplir. Dans une démocratie, les gens ne se soucient jamais de ce qu’ils ont déjà accumulé mais ils se soucient toujours de ce qu’ils n’ont pas encore acheté. Dans une démocratie, on ne passe son temps qu’à penser à ce que l’on n’a pas encore acheté.

    Alors, vu que les ressources sont en dépression, voter pour avoir plus devient de plus en plus compliqué. Et pour ma part, je pense qu’à terme ce se sera l’armée qui devra gérer les rationnements de ressources car les élus n’ont pas la légitimité pour le faire (à cause de tout ce qui a été détourné dans leurs poches)

  3. Je reconnais à Jancovici toutes les compétences pour parler de l’énergie. Par contre, tout ce qu’il peut raconter au sujet de la démocratie n’engage que lui. Tout comme ce qu’il peut dire de la liberté et de ce que nous pensons être nos « libertés ».
    L’énergie devrait être enseignée à l’école dès le plus jeune âge. Mais aussi la philosophie. Tout le monde devrait avoir compris « L’allégorie de la caverne » de Platon.

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