Jean-Luc Mélenchon, un technophile avéré

Mélenchon n’a apparemment lu aucun des critiques de la technologie, Jacques Ellul, Ivan Illich ou plus récemment Philippe Bihouix. Dans son livre programme*, le dernier chapitre sur « La France aux frontières de l’humanité » constitue une ode aux nouvelles technologies. La coopération spatiale, le développement d’Ariane espace et des missions interplanétaires, la mission sur Mars, un bouclier spatial, une station sous-marine permanente, la révolution numérique, des logiciels dans l’Education nationale, un plan 4.0 pour l’industrie, l’impression 3D, la prééminence française dans le virtuel… tout cela ne peut que déboucher sur le transhumanisme : « soutenir la recherche publique sur l’humanité augmentée », dernière ligne du livre.

Rien d’écologique dans une telle ambition d’expansion de l’humanité dans l’espace comme dans l’informatisation de tous les domaines. Il ne s’agit pas d’opposer de façon simpliste technophobes contre technophiles, il n’y a jamais retour à l’âge de pierre ou à la bougie. Mais il faut souligner qu’il y a un dualisme, techniques acceptables d’un côté, pernicieuses de l’autre :  techniques démocratiques ou autoritaires pour Mumford (1962), outil convivial ou hétéronomes pour Ivan Illich (1973), techniques « enchâssées » et techniques « branchées » pour Teddy Goldsmith et Wolfgang Sax (2001), technologie cloisonnée contre technologie systémique avec Ted Kaczynski (2008). Notre société cultive un sentiment de techniques sans limites grâce à la profusion actuelle d’énergies fossiles qui met à notre disposition des fusées, des sous-marins et du numérique. Mais, outre le problème de l’approvisionnement en énergie et métaux, la durabilité des techniques supporte une autre contrainte. Plus une technique, par exemple pour le déplacement, est sophistiquée, plus elle s’accompagne d’une complexité croissante. Il y a allongement du détour de production, c’est-à-dire utilisation d’un capital technique de plus en plus imposant, et division extrême du travail social avec intervention de spécialistes, ingénieurs, réseau commercial… Or plus une structure est complexe, plus elle est fragile. Dans ce contexte, ce sont les mouvements anti-aéroport, anti-autoroutes ou anti-LGV (ligne à grande vitesse) qui préfigurent  notre avenir en commun.

Une technologie va nous sauver, une forme radicalement nouvelle de stockage du gaz carbonique, bon marché et efficace. Elle a pour nom : laisser les carburants fossiles sous la terre. Pour approcher de ce résultat, il faut mettre en œuvre l’autonomie alimentaire et énergétique la plus grande possible. Cela ne peut advenir qu’au niveau de petites communautés. Cette relocalisation des activités s’accompagnera nécessairement d’une relocalisation des techniques. Il faudra user d’instruments techniques simples, produits et réparés sur place. En langage moderne, low tech et non plus high tech.

* Le programme de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle et les législatives 2017, « L’avenir en commun » au seuil, 130 page pour 3 euros

6 réflexions sur “Jean-Luc Mélenchon, un technophile avéré”

  1. En novembre, Stephen Hawking a déclaré qu’il ne donnait pas à l’homme plus de mille ans pour s’échapper de notre petite planète fragile et que c’est pour cette ­raison que nous devions continuer ­à explorer l’espace par l’astronomie, pour trouver un asile à l’humanité lorsqu’elle aura rendu la Terre invivable. Êtes-vous d’accord avec cette vision des choses ?
    Hubert Reeves : «Pas du tout ! Ce qui est important, c’est d’arriver à apprendre à vivre sur la Terre, à y vivre en harmonie avec la nature. Si on n’apprend pas cela, que ferons-nous ? Nous transporterons nos problèmes ailleurs et cela recommencera. Il n’y a qu’une seule possibilité pour l’humanité de continuer à vivre, à durer, c’est de prendre exemple sur les tortues. Les tortues existent depuis 250 millions d’années, ­elles ont traversé de grandes crises du vivant et elles sont toujours là. Elles ont appris la bonne recette : s’insérer dans un écosystème et vivre en harmonie avec les autres êtres ­vivants. Si nous n’apprenons pas cela, si nous continuons à faire disparaître les autres espèces, nous disparaîtrons. » (LE MONDE du 24 décembre 2016, Hubert Reeves, « L’histoire de l’univers est l’histoire de chacun de nous »)

  2. @ biosphère
    Mélenchon a des incohérences dans ses idées et ses propos… Et alors ? Qui n’en a pas ?
    Nous avons déjà parlé de sa récente conversion à l’écologisme. Qu’il ne maîtrise pas totalement le sujet n’a rien de surprenant, qu’il croit encore à certains miracles techniques… non plus.
    En attendant il a fait des progrès, je l’ai déjà dit. Et même Nicolas Hulot le reconnaît dans l’article du 01/12/2016 sur RTL : « Nicolas Hulot bluffé par la conversion écologiste de Jean-Luc Mélenchon. »
    Extrait :  » … Hulot est affirmatif : « C’est le seul qui a bossé sur l’écologie… C’est celui avec lequel j’ai le plus de plaisir à dialoguer… Sur certains dossiers c’est même lui qui m’en apprend, notamment sur la mer. Ah ça quand il bosse Mélenchon, il ne fait pas semblant ».

    J’ai déjà dit également ici ce que je pensais de certains points du dernier chapitre de son programme (que j’ai lu). Les technophiles sont partout, à divers degrés bien entendu, et même chez les écolos. Quant aux technophobes … en général ils ne manquent de rien. Là aussi nous ferions mieux de chercher la juste mesure.
    C’est certainement regrettable, mais les citoyens (« éco-citoyens », « éco-tartuffes » etc.) à qui s’adresse Mélenchon avec son programme, ne sont pas encore disposés à entendre parler de simplicité volontaire et encore moins d’ « austérité volontaire ».

  3. de la part d’un correspondant :
    Une grande incohérence règne dans les propos de Mélenchon sur les énergies renouvelables, ainsi dans son interview du 11 décembre 2016 il déclare « Il y a au moins 2 sources immenses immédiatement exploitables, la géothermie profonde dont je suis fan et l’énergie de la mer ».  Or la géothermie courante produit de la chaleur et non de l’électricité. Quant au potentiel réel des hydroliennes en mer, il est de 2,5GW, soit 2 réacteurs et demi nucléaires avec l’usage de produits toxiques pour la faune et la flore marine. La croyance de Mélenchon en la toute puissance technologique est une cause fondamentale du déni écologique. Ainsi dans le dernier chapitre de son programme « l’avenir en commun » , avec la conquête de l’espace et des mers. La démesure, la technophilie et le rêve d’une domination accrue de la nature imprègnent ce dernier chapitre d’une façon caricaturale (voyages interstellaires dans l’espace, construction d’une station sous-marine permanente, etc …).
    Ces mesures sont contraires à la philosophie écologique qui pose la question des limites, de l’autolimitation comme condition de la politique et de la démocratie. Il reste aussi le malaise devant la toute puissance d’un Etat centralisateur alors que les collectivités sont au cœur de la transition énergétique. La relocalisation de l’énergie est aux antipodes des schémas de Mélenchon. Sa loi-cadre instaurant la planification écologique articule exclusivement le national et le local à travers la création d’une fonction de délégués départementaux à l’écologie, exit les régions et les bassins de vie( p.69 de son programme)

  4. Bonjour Didier Barthès
    Bien entendu nos hommes et femmes politiques ne maîtrisent pas tous les sujets qu’ils abordent. Il y en a tellement et ils sont tous d’une manière ou d’une autre imbriqués. L’écologie est un vaste domaine, regroupant une multitude de sciences dont la physique, la chimie, la biologie… elles-mêmes très complexes. Cependant ils sont entourés de spécialistes, de conseillers etc. C’est également vrai qu’ils n’ont pas le temps matériel pour étudier et analyser ce que leur disent tous ces spécialistes, qui n’ont pas forcément toujours le même discours. La puissance des lobbies, les marchands de doutes… tout ça n’est plus un secret pour personne. Et puis nos politiques sont comme nous tous, ils ont leurs propres croyances et ils ont tendance à croire ce qui les arrange.
    Enfin, nos politiques sont particulièrement préoccupés par le pouvoir, accéder à un poste et y rester quand ils y sont. Et peu importent les raisons, qu’elles soient purement altruistes … j’entends par là un véritable intérêt pour le bien commun, ou alors bassement égoïstes, pour satisfaire leurs petits intérêts. Et là il s’agit pour eux de plancher sur des stratégies peut-être encore plus complexes que les sciences. Les plus lucides et les plus sincères d’entre eux n’auraient alors aucune chance s’ils nous disaient ce qu’ils pensent et nous promettaient du sang et des larmes.
    Ils doivent donc composer, avec cette opinion… qui veut le beurre et l’argent du beurre… avec leurs alliés potentiels, avec leurs adversaires, et aussi avec le reste du monde quand ils sont aux plus hauts postes. Bref, je pense qu’ils font ce qu’ils peuvent.
    Bien sûr l’écologie devrait être au cœur de toutes les réflexions et de toutes les décisions. Hélas le monde va mal, la maison prend l’eau de tous les côtés, les murs s’écroulent. Alors on «gère» au jour le jour… ce que qu’on estime être le plus urgent … demain sera un autre jour. Nous ne sommes probablement pas assez «grands» pour que nos «responsables» nous disent que notre civilisation touche à sa fin.

  5. Je crois que le problème de fond est que trop d’hommes politiques ne sont pas très compétents sur les sujets qu’ils abordent.
    Ils n’ont tout simplement pas le temps d’y réfléchir sérieusement et sont sélectionnés sur d’autres critères que la capacité d’analyse et de prospective.
    Ils ont d’autres qualités, certes nécessaires, mais ne connaissent pas bien, ni la protection de la nature, ni la question de l’énergie, ni les implications de la progression inquiétante de nos technologies.

  6. Bonjour
    Dans une interview publiée dans Reporterre le 3 juin 2016, Mélenchon disait : « Je connais la critique de Jacques Ellul : mais si je ne crois pas à la neutralité de la technique, pour autant, je ne condamne pas la technique. »
    Jean-Luc Mélenchon connaît également les idées de la décroissance. Il faut se souvenir qu’avant de fonder le Parti de Gauche, il a d’abord été militant trotskiste-lambertiste, puis socialiste, autant dire qu’il a ramé pour le productivisme. Il faut aussi se souvenir qu’il est titulaire d’une licence de philosophie. Sa conversion à l’écologisme est relativement récente. Certes il a encore beaucoup de choses à approfondir et à comprendre, mais je trouve qu’il a fait des progrès. Peut-être suis-je naïf, mais ce n’est pas grave étant donné que je ne crois pas avoir l’occasion de voter pour lui (j’en ai suffisamment parlé).

    Alors c’est vrai, certaines propositions du dernier chapitre « La France aux frontières de l’humanité » m’ont interpellé et m’ont amené à me demander si tout ça était bien sérieux. Et on peut en effet les entendre comme « une ode aux nouvelles technologies ».
    Comparé aux autres, ce dernier chapitre est très court (un peu plus de 6 pages). Le « Plan Mer » y occupe la plus grande place. Ça fait déjà un moment que j’entends Mélenchon nous expliquer que la mer est un formidable gisement de ressources, d’énergie et d’emplois. Jusque là je le suis… même si je traîne des pieds. Mais quand il me propose la construction d’une méga station sous-marine sur le modèle de la station spatiale internationale, là je ne peux m’empêcher de sourire. Et puis quand il part dans la lune et les étoiles… là je rigole. Et du coup je ne sais plus si ce Méluche est réel ou bien virtuel.
    Méluche est un malin. On le qualifie souvent du vilain mot de « populiste » … et lui, partant dans la sémantique… au lieu de s’en défendre il s’en revendique. Il connaît bien les ficelles du jeu politico-médiatique, en plus il aime jouer à ce jeu là.

    Ce dernier chapitre est intitulé « Face au déclinisme ». Le déclin, quelle horreur ! Et pourtant … Il commence ainsi : « La mer, l’espace, le monde du numérique et du virtuel sont les nouvelles frontières de l’humanité. Les Français excellent dans ces domaines d’avenir… »
    Voilà ce que les Français aiment entendre. Ce chapitre ressemble à du travail bâclé, je le vois comme un fourre-tout dont le but est de clôturer son programme en faisant un peu rêver les rêveurs. Après tout, c’est bon de rêver un peu, non ?
    Il faut bien se résoudre à accepter le fait qu’un slogan du genre « Moins de biens plus de liens » ça ne fait pas rêver grand monde. Quand à parler de « décroissance » vous n’y pensez pas … ce mot percute vraiment trop aux oreilles délicates.

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