Conférence de consensus, jury citoyen et télé-réalité

La démocratie est un mot qui fait consensus, pourtant il n’est pas possible de définir clairement « démocratie ». Déjà, dans un petit groupe en démocratie directe, la majorité n’a pas toujours raison. Quand il s’agit de démocratie représentative, le « pouvoir du peuple » est tellement diffus qu’il s’en trouve vidé de sens. Alors on a inventé les conférences de consensus, censées éclairer les décideurs en dernier ressort. La dernière en date, « sur l’efficacité des réponses pénales afin de mieux prévenir la récidive », s’est prononcée contre le tout-carcéral*. Un comité d’organisation a composé un jury de consensus, composé de personnes diverses issues de la société civile. Il y a ensuite audition d’experts, pas seulement scientifiques, mais aussi intervenants, professionnels ou non, décideurs et usagers, concernés par la question de la prévention de la récidive. Enfin le Jury s’est retiré pour délibérer, pendant deux journées, à huis clos. Il s’est prononcé sur les questions précises que lui avait adressé le comité d’organisation. A l’issue de ses délibérations, le Jury a formulé des recommandations au gouvernement et au parlement. Au lieu d’un rapport sous couvert d’une seule personne, on mobilise vingt personnes pour faire la même chose, en toute indépendance il va de soi… De toute façon, il est fort probable que la destination finale de ces travaux sera une poubelle. Voici les remarques de Biosphere.

Notons d’abord que ce jury de consensus n’est pas véritablement « citoyen » puisque les membres ont été choisis par un comité d’organisation. Comme s’il s’agissait de ramener la démocratie à l’expression des experts s’appuyant sur des experts ! Un véritable jury-citoyen  constitue un panel représentatif de la population ordinaire, c’est-à-dire non expert sur la question étudiée. Les membres sont tirés au sort. Il faut lutter contre l’hyperspécialisation contemporaine qui transforme les  individus en serviteurs d’une structure, par exemple l’appareil judiciaire, l’entreprise, l’éducation nationale, un parti politique, etc. Dans ce système, il n’y a plus d’ouverture d’esprit, mais enfermement au service d’intérêts particuliers plus ou moins rémunérateurs. La démocratie en acte, c’est faire confiance aux citoyens ordinaires pour comprendre les discours contradictoires des experts et en tirer des conclusions d’intérêt général.

Alors que l’investissement de nos sociétés dans l’innovation technologique est illimité, nous n’avons pas l’habitude d’investir dans l’innovation démocratique. Les conventions de citoyens, autrefois qualifiées de conférence de citoyens, permettent de hiérarchiser les priorités. La fondation Sciences citoyennes a proposé un projet législatif pour définir plus précisément ces conventions. Par exemple le comité de pilotage doit établir le programme (thèmes, intervenants, cahiers d’acteurs,…) par consensus afin que soient exposés/discutés devant le panel aussi bien les principaux savoirs consensuels que les aspects controversés. Il ne faut pas fuir le contradictoire en recherchant une formation “neutre”. A toutes les étapes, la transparence est requise grâce à la vidéo et à la publicité de la procédure. La démocratie aurait même tout à gagner à enfermer le panel de citoyens entre quatre murs pour en faire une émission de télé-réalité qui, pour une fois, servirait à quelque chose.

* LE MONDE du 22 février 2013, Récidive : la conférence de consensus contre le « tout carcéral »

Pour en savoir plus, lisez LABO Planète (où comment 2030 se prépare sans les citoyens) de Jacques Testard, Agnès Sinaï et Catherine Bourgain (1001 nuits, 2010)