Jean Malaurie est mort, les Inuits aussi

Jean Malaurie était né le 22 décembre 1922, il meurt le 5 février 2024, reprenons son message. Les Expéditions polaires françaises, dirigées par Paul-Emile Victor, avaient besoin d’un géographe. Il les rejoint au Groenland pour deux missions, en 1948 et 1949. Il disait : « La rencontre physique avec les Inuits a transformé la connaissance que je croyais avoir de moi. C’est une sorte de retour à ma véritable identité. » D’où son engagement pour la préservation de la culture de toutes les sociétés « premières». Il pensait que l’humanité devait les écouter pour connaître « un deuxième souffle », car elles « ont su conserver une dimension spirituelle ». Jean Malaurie était jusqu’en 2015 à la tête d’une collection – aujourd’hui encore éditée par Plon – qui a renouvelé le regard et l’écriture anthropologiques : « Terre humaine ».

Le Nunavut (territoire des Inuits du Canada) a acquis son indépendance le 1er avril 1999. Mais quelle indépendance ? Le contact avec la culture occidentale a déstructuré toutes les sociétés vernaculaires, y compris celle des esquimaux. Les jeunes se sentent piégés dans un territoire isolé. Alors l’alcool fait des dégâts considérables. Il y a des épidémies de suicide tellement les relations familiales sont devenues désespérantes et le mode de vie incohérent. Tous ces problèmes trouvent leur source dans les années 1950 et 1960, quand le Danemark a apporté l’Etat-Providence au Groenland. L’assistanat s’est traduit par une politique de concentration des habitants et les populations ont été coupées de leur mode de vie traditionnel. D’où la difficulté de s’identifier en tant qu’Inuit et de vouloir en même temps vivre  selon le clinquant du monde moderne. Les Inuits ont perdu le sens de la communauté 

Avec « Lettre à un Inuit de 2022 », Jean Malaurie s’adressait à un Inuit de notre époque. Il livrait un texte de résistance face aux défis posés par le réchauffement climatique. Car, dans l’Arctique, le réchauffement clima­tique est deux fois plus rapide que partout ailleurs, faut-il le rappeler. La fragilité de communautés éparses, grevées par le chômage, l’alcoolisme et le suicide, inquiétaient l’ambassadeur de l’Arc­tique à l’Unesco. Il rappelait qu’une autre organisation sociale est possible, ainsi qu’un autre rapport avec le cosmos et la nature.

Comme il fait très froid chez les Inuits pendant 6 mois de l’année, ils passaient l’hiver boréal dans un igloo, à zéro degré Celsius au ras du sol. La sensation de confort thermique est relative, culturellement orientée, mais surtout soumise aux conditions d’accès à l’énergie.

Dans les années 1950 en France, la température du logement dépassait rarement 15 ou 16°C ; souvent il n’y avait qu’une seule source de chaleur dans la pièce principale, les chambres étaient à la température extérieure. A la fin des années 1960, quand le pétrole est devenu presque gratuit, les Français se sont habitués à un chauffage central et à une température élevée. A la fin des années 1970 grâce au chauffage électrique nucléarisé, il n’y avait plus de limites.

Avec la descente énergétique, on comptera à nouveau sur l’énergie endosomatique, celle de notre propre corps, comme les Inuits ; c’est tellement plus écolo d’isoler des corps qui fonctionnent naturellement à 37 degrés plutôt que de se chauffer au bois, au gaz ou au nucléaire. Nous avons détruit le mode d’existence des société premières, nous seront obligés de reprendre certains de leurs enseignements.

Lire Replanter les consciences (une refondation de la relation Homme/Nature) de Sabine Rabourdin (2012)

extraits : Dans les peuples de l’extrême (Inuits, Shuars, Aborigènes, Bushmen), les erreurs de comportement envers la nature sont directement sanctionnées par l’hostilité du milieu et la rareté de ressources. Dans les sociétés de consommation, l’excès n’est pas sanctionné mais au contraire valorisé, l’équilibre avec l’écosystème est disloqué.

Lire aussi, Nicholas Georgescu-Roegen, pour une révolution bioéconomique d’Antoine Missemer (2013 )

extraits : Toutes les espèces se sont adaptées à la vie grâce à des organes endosomatiques. Le caractère unique de l’espèce humaine réside dans le fait que l’humanité a transcendé la lente amélioration endosomatique par la production d’organes exosomatiques : massues, couteaux, bateaux, canons, cerveaux électroniques, etc. Le progrès technique – dans la mesure où on peut sans réserve l’appeler progrès – est un autre nom de cette évolution qui a permis à une partie de l’humanité de jouir du confort fantastique offert par l’existence exosomatique. Mais curieusement, nous n’avons pas réalisé que ce changement n’a pas été une bénédiction pure et simple pour l’humanité. Cette évolution exosomatique a assujetti l’humanité à plusieurs vicissitudes. La première découle de notre attachement pathologique au confort…

3 réflexions sur “Jean Malaurie est mort, les Inuits aussi”

  1. Suite tsp
    Et Comment peut on dire que ces gens ont redéfini les fondements culturels d’un français érudit comme Jean Malaurie? Il faut vraiment être un peu fêlé pour mettre les inuits en balance avec les dizaines de milliers de poètes, d’écrivains et de savants de notre civilisation française issu de la civilisation grecque.

    1. Esprit critique

      «Vos» inuits (l’idée que vous vous en faites) me font penser aux moutons.
      Celui qui connaît un peu la montagne sait le rôle qu’ils y jouent, les moutons.
      Moi aussi je me suis toujours demandé pourquoi ils n’étaient pas descendus…
      Se mettre à l’ombre dans les verts pâturages, en bas, au bord du ruisseau.
      Plutôt que de rester là, à 3000 m, au milieu de la caillasse, en plein cagnard, comme des cons. Pareil quand je les voyais agglutinés sur des crêtes, alors que l’orage grondait. Quand ils ne s’y retrouvaient pas piégés, comme des cons, à la fin de l’été par la neige. ON dira qu’il faut vraiment être un peu fêlé pour mettre les Inuits en balance avec les moutons. C’est vrai que je ne suis ni berger ni explorateur ethnologue et je dois admettre que je m’y connais autant en Inuits qu’en moutons.
      ( à suivre )

  2. Les inuits sont une civilisation du grand nord. Ils ont une culture de survie étonnante. Toutes les histoires orales retranscrites récemment ont une méticulosité dans le détail et la répétition des détails . J’en ai déduit que dans le nord toutes les informations sont vitales et doivent être connus et retenus . Je me suis toujours demandé pourquoi ils n’étaient pas descendu dans les forêts vers le sud mais en fait Ils ont une tradition maritime qui les a maintenu près de ces ressources alimentaires. Pourtant certains inuits de l’ouest du Groenland sont devenus chasseurs dans les terres et ne savaient plus construire de bateaux, les rendant dépendant de la faune terrestre.
    Comment une civilisation de la mer peut perdre le savoir faire de la construction navale?
    Suite…

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