« Tchernobyl au Antilles ». C’est un titre incisif du MONDE* pour un article dévastateur : « La contamination des Antilles françaises pour sept cents ans par le chlordécone est la conséquence logique du produit agro-industriel : les plantations de banane sont composées de clones à l’infini. L’homogénéité génétique fournit un terrain d’expérimentation extraordinaire pour les pathogènes. Tout le travail dans la plantation est organisé autour de la manipulation de substances chimiques : désinfecter les rhizomes avant de les planter, désinfecter les outils, appliquer fongicides, herbicides et insecticides. Un travail de Sisyphe chimique. L’historien américain John Soluri décrit très bien dans Banana Cultures la course sans fin, et perdue d’avance, entre les traitements chimiques et le charançon du bananier ou nématodes. L’évolution naturelle finit toujours par triompher de l’innovation mortifère des firmes agrochimiques. S’étonner rétrospectivement des conséquences sanitaires d’une molécule bloquant les influx nerveux et issue de la recherche militaire paraît quelque peu hypocrite. En apprenant à tuer les humains de manière efficace, les militaires ont appris à tuer le vivant en général. Les Antilles françaises sont dans une situation semblable à celle de l’Ukraine et de la Biélorussie d’après Tchernobyl, où les experts internationaux de la radioactivité ont appris à la population à vivre la catastrophe sur le mode de la normalité ; les Antilles françaises sont contaminées à l’échelle du demi-millénaire… »
Nous connaissions par avance cette aventure toxique depuis 1962. Il faut cultiver le souvenir de Rachel Carson. Voici sur notre blog des articles antérieurs sur cette Cassandre :
11 juillet 2010 inoubliable Rachel Carson
Rachel Carson est incontournable. En 1962, lorsque son livre Printemps silencieux est paru, le mot « environnement » n’existait pas dans le vocabulaire des politiques publiques. Ce livre contre les pesticides est arrivé comme un cri dans un désert, mais il a changé le cours de l’histoire. Le diagnostic de Rachel était imparable : « Nous avons à résoudre un problème de coexistence avec les autres créatures peuplant notre planète. Nous avons affaire à la vie, à des populations de créatures animées, qui possèdent leur individualité, leurs réactions, leur expansion et leur déclin. Nous ne pouvons espérer trouver un modus vivendi raisonnable avec les hordes d’insectes que si nous prenons en considération toutes ces forces vitales, et cherchons à les guider prudemment dans les directions qui nous sont favorables. La mode actuelle, celle des poisons, néglige totalement ces considérations fondamentales. Le tir de barrage chimique, arme aussi primitive que le gourdin de l’homme des cavernes, s’abat sur la trame de la vie, sur ce tissu si fragile et si délicat en un sens, mais aussi d’une élasticité et d’une résistance si admirables, capables même de renvoyer la balle de la manière la plus inattendue. Vouloir contrôler la nature est une arrogante prétention, née des insuffisances d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal. » (…)
21 octobre 2010 Monsanto et la prophétie de Rachel Carson
Aujourd’hui dans l’Arkansas**, les fermiers les plus modernes du monde doivent revenir à des outils d’un autre âge, la houe et la pelle, pour déloger l’amarante de Palmer qui envahit leurs champs. Il arrive que ses racines cassent des moissonneuses. La plante peut pousser de 5 centimètres par jour et atteindre deux mètres de haut, chaque femelle contient 250 000 graines. A bout de quinze ans d’usage intensif et exclusif du glyphosate (Roundup), une dizaine de « mauvaises » herbes sont devenues résistantes au produit, dont l’amarante de Palmer. Le mécanisme de la sélection naturelle a joué. La firme Monsanto perd le contrôle du monstre qu’elle a créé avec les transgéniques résistants aux insecticides, ses créatures de laboratoire font face à des mutants naturels. Mère nature n’en a fait qu’à sa tête ? Non, elle se défend comme elle peut contre la folie des humains, viol de la barrière des espèces, monoculture, empoisonnement des sols » (…)
31 août 2012 Culture de la peur et extrémismes, Rachel Carson ?
Cinquante ans, 1962-2012, que Rachel Carson a publié son livre « Le printemps silencieux » : en résumé, l’usage du DDT tue les oiseaux, le silence règne sur les champs. En 1962, lorsque des extraits du livre de Rachel ont été publiés dans le New Yorker, un chœur bien orchestré a accusé Rachel d’être hystérique et extrémiste. Comme Rachel était une femme, l’essentiel de la critique qui lui fut adressée jouait sur les stéréotypes de son sexe. Même l’Association médicale américaine avait pris fait et cause pour les industries chimiques. La démarche des marchands et de leurs suppôts est toujours la même, que ce soit pour le tabac, pour les pesticides ou pour le réchauffement climatique, faire douter de la science pour mieux assurer le pouvoir des intérêts financiers (…)
la pollution chimique est même sans doute largement plus grave que la pollution radioactive. Les quantités en cause sont telles que c’est l’ensemble de la Terre qui est touchée.
D’ailleurs, aucune des disparitions d’animaux et des insectes en particulier n’est liée à l’atome, elles sont par contre très largement corrélées à l’usage immodéré des insecticides. Le nombre de morts chez les humains est aussi beaucoup plus important du fait de l’omniprésence de molécules toxiques pour le vivant que du fait de la radioactivité artificielle.