Un bon économiste est d’abord un bon écologiste. Mais la Banque de Suède, qui a attribué le « prix Nobel » d’économie aux Américains William Nordhaus et Paul Romer, ne le sait pas encore. Les colauréats ont paraît-il « mis au point des méthodes qui répondent à des défis parmi les plus fondamentaux et pressants de notre temps : conjuguer croissance durable à long terme de l’économie mondiale et bien-être de la planète »*. Comme chacun devrait savoir, une personne qui croit encore qu’une croissance à long terme est possible dans un système planétaire clos (dont on a déjà transgressé toutes les limites) est soit un fou, soit un économiste.
Paul Romer vit encore dans l’illusion technologique, « demain on rasera gratis ». Il n’a aucune conscience des contraintes biophysiques. Pour lui, l’innovation permettra la croissance, une « croissance endogène » générée par la recombinaison permanente des facteurs de production existants, travail et capital. L’épuisement de toutes les ressources naturelles, c’est exogène, à l’extérieur, il s’en fout. On n’aura plus de pétrole, mais on aura des idées ! Il accuse ses collègues macroéconomistes de « faire tourner » des modèles mathématiques sans rapport avec le réel, sans se rendre compte que sa conception microéconomique (le jeu des acteurs individuels) est semblable aux rituels religieux d’un clergé voué au culte de l’infaillibilité de la théorie économique néoclassique. Le marché cannibalise ses propres conditions d’existence en surexploitant des ressources considérées comme gratuites. Confier le sort de la planète à la rationalité des marchés est un acte de foi dangereux.
William Nordhaus est encore plus inconséquent. S’il est le pionnier de la notion de prix du carbone par tonne de CO2 comme incitation à la transition énergétique, c’est pour mieux étouffer le concept en fixant un prix du carbone ridiculement bas : business as usual, il suffit de choisir le bon taux d’actualisation qui conforte le présent. William Nordhaus est un exemple typique de comportement aveugle. Dès 1972, William Nordhaus critiquait le rapport du MIT sur les limites de la croissance en reprochant à ce modèle de ne pas tenir compte du changement technologique qui permettrait d’économiser des ressources. En 1982, Nordhaus a fait valoir que le réchauffement climatique pourrait être économiquement bénéfique, provoquant jusqu’à 5 % de croissance de la production mondiale ; hausse de la productivité agricole et avantages du réchauffement dans les pays froids. Il se basait sur des projections qui seront discréditées plus tard. En 1992, Nordhaus concluait encore : « Le changement climatique va probablement produire une combinaison de gains et de pertes, sans aucune présomption forte de préjudices économiques nets substantiels. » Nordhaus soutient que les activités humaines ont un effet négligeable, contrairement à de nombreuses études qui prouvent la dégradation. En 2008, Nordhaus soutient toujours que les réductions de 80 à 90 % des émissions des pays riches pour 2050, réductions préconisées par les scientifiques, sont trop coûteuses par rapport aux bénéfices qu’on en attend. La réaction « optimale », selon lui, consiste à laisser les émissions augmenter de 25 %. Mieux vaudrait laisser monter les températures et subir les dégâts écosystémiques et les pertes humaines. L’éco-optimisme est aussi défendu par Herman Kahn, Milton Friedman, Bjorn Lomborg. On les a surnommés les cornucopiens, les économistes de la corne d’abondance, parce qu’ils sont persuadés qu’il n’y a aucune limite physique à la croissance.
* LE MONDE du 9 octobre 2018, Le « Nobel d’économie » attribué à deux Américains pour des travaux sur la croissance durable
pour en savoir plus lire La véritable richesse (une économie du temps retrouvé) de Juliet B.Schor, pour qui l’économie doit se coupler à l’écologie
La croissance économique est parfaitement corrélée à la destruction de l’environnement. Il est bien improbable que la corrélation change de signe. Quel tristesse de voir des économistes ( récompensés qui plus est) faire preuve d’une telle naïveté.