Quand Bouygues a eu la mainmise sur une chaîne de télévision, on pouvait à juste titre déjà dire « Télé de maçon, télé de merde »*. Mais ce n’était que le début de la fin. Aujourd’hui il y a une multiplicité de chaînes gratuites, mais le contenu est si indigent qu’il faut beaucoup chercher dans les programmes pour trouver la perle rare. Ainsi ce soir 30 avril, rendez-vous d’urgence pour la soirée Arte à 20h50. D’abord un documentaire sur « Pauvres poulets, une géopolitique de l’œuf ». En France, l’élevage en cage représente encore 69 % de la production (13 poules au m²) et les conditions d’élevage « au sol » (dans des hangars sans accès à l’extérieur) ne sont guère plus enviables. Il faut bien procurer aux consommateurs les 15 milliards d’œufs dont ils ont besoin chaque année. Mais achetez les œufs « 0FR », le zéro pour l’élevage en bio et FR pour l’origine française. Suit à 22h10 un autre documentaire au titre coup de poing : « L’homme a mangé la Terre » . Réchauffement climatique, déforestation, inondations, épuisement des ressources, pollutions, déchets radioactifs… En deux siècles, la course au progrès et à la croissance a durablement altéré la planète. Très bien, bonnes émissions, mais cela aurait une autre portée de passer sur une chaîne d’information unique, sans être concurrencé par tous ces faiseurs d’inattention que constituent les séries télévisée, les divertissements autour de nos animaux de compagnie et autres jeux, les comédies de tous ordres, avec des femmes tueuses et des mystères révélés !
Il en est malheureusement de la télévision comme de la plupart de nos objets techniques qui utilisent le numérique, ils installent une économie de « l’extraction de l’attention ». C’est ce que dénonce Tristan Harris**, ex-employé de Google. Pour lui, la technologie « dégrade l’humain », parce qu’elle a installé « une course pour pirater nos instincts » et transformé nos smartphones en « machines à sous ». Il voit en cette industrie sous-tendue par l’impérialisme publicitaire la source de la plupart des dangers de l’époque connectée : « la baisse de notre attention », « l’addiction de nos enfants aux écrans », « la polarisation du débat démocratique », « la transformation de la vie en une compétition de “J’aime” et de “partages” »… Éthicien du design , il a lancé un « appel à minimiser les distractions et à respecter l’attention des utilisateurs » et créé le Center for Humane Technology pour combattre les maux engendrés par la technologie. Mais son discours est plus convaincant sur les constats que sur les solutions. Qui peut échapper à l’emprise du numérique quand tout devient interconnecté ? Ne va-t-on pas même nous reprocher d’utiliser l’ordinateur pour porter le message de la sobriété énergétique sur les réseaux ? Tristan Harris en est réduit à la même conclusion que nous : il faut que s’instaure un langage partagé, un trait commun entre tous ceux qui combattent l’omniprésence de techniques pernicieuses et la diffusion de comportements humains inadaptés au monde de demain. En toute modestie, et au nom de la biosphère, ne pourrions-nous pas proposer de se retrouver autour de ces dix commandements de la Biosphère :
Tu as autant de devoirs que de droits ;
Tu pratiqueras la simplicité volontaire ;
Tu aimeras ta planète comme toi-même ;
Tu réagiras toujours de façon proportionnée ;
Tu protégeras l’avenir des générations futures ;
Tu respecteras chaque élément de la Biosphère ;
Tu ne laisseras pas les machines te dicter leur loi ;
Tu adapteras ta fécondité aux capacités de ton écosystème ;
Tu ne causeras pas de blessures inutiles à ton environnement ;
Tu vivras des fruits de la Terre sans porter atteinte au capital naturel.
* Après la privatisation de TF1 en 1987, son propriétaire Francis Bouygues congédie Michel Polac quelques mois plus tard après que l’animateur a lu à l’antenne et en direct la légende d’un dessin de Wiaz : « Une maison de m.., une télé de m… »
** LE MONDE du 25 avril 2019, Tristan Harris, l’ex-ingénieur qui veut empêcher la technologie de « dégrader l’humain »
Là encore, cela fait déjà un bon moment que plus d’un ont mis en garde des dégâts que la technique nous infligeait parallèlement à ses bienfaits, avérés ou supposés. (Anders, Ellul, Illich, Charbonneau, etc. et même Heidegger)
Mais c’est comme pour le reste, les chiens aboient et la caravane passe. Télé de merde, sites internet de merde, bagnoles de merde, machines et gadgets de merde, innovations à la con et j’en passe. Résultat : ramollissement généralisé, réflexion de merde, projet de société de merde, politique de merde, démocratie de merde, transition de merde, etc. etc. Et la boucle est bouclée .