WikiLeaks, d’intérêt public

 Ce que dit Timothy Garton Ash * « On accède à une qualité spéciale de compréhension lorsqu’on dispose d’un large éventail de sources, mais l’historien doit patienter vingt ou trente ans avant de pouvoir accéder aux archives diplomatiques. Voici avec WikiLeaks, exposées à la vue de tous, les jugements francs et parfois brillants que portent les diplomates américains. C’est le rêve de l’historien. Et le cauchemar du diplomate (…) Il y a un intérêt public à savoir comment fonctionne le monde et ce que l’on y fait en notre nom. Il y a aussi un intérêt public à ce que la politique étrangère soit menée de façon confidentielle. Et ces deux intérêts sont contradictoires. »

Notre commentaire : Ce professeur d’histoire à l’université d’Oxford parle pour ne rien conclure. Car l’essentiel est de résoudre les contradictions ! Si les divers gouvernants agissaient en toute transparence puisqu’ils agissent en notre nom, il n’y aurait pas besoin de fuites et de lanceurs d’alerte. Comme dit Bruno PERRIN sur lemonde.fr :

«  Je viens d’écouter Védrine à la radio et j’ai beaucoup ri. Sur la dictature de la transparence, sur les dérives du monde numérique, etc. Il ne faut pas espionner l’Etat, pas divulguer les secrets d’Etat, etc. Et il prend comme exemple la vie privée. Mais WikiLeaks ne parle pas de notre vie privée. Par contre, les entreprises et les services publics ne se privent pas de collecter des données privées sur notre compte. Il me prend pour un débile, Mr Védrine ? Je dois tout donner et rien recevoir ?? »

* LeMonde du 2.12.2010, Les documents secrets révélés par WikiLeaks relèvent de l’intérêt général.

9 réflexions sur “WikiLeaks, d’intérêt public”

  1. Le point de vue d’Aurélien Colson, professeur de science politique à l’Essec :
    En diffusant largement des télégrammes diplomatiques du département d’Etat destinés à rester secrets, WikiLeaks pourrait à bon droit se réclamer des Pères fondateurs de la diplomatie américaine. Entre l’indépendance de 1776 et la Constitution de 1787, George Washington, Benjamin Franklin, George Mason, d’autres républicains encore, posèrent en principe le refus du secret dans les négociations internationales. Ce refus traduisait le rejet américain des habitudes de la diplomatie européenne d’alors, coutumière des tractations obscures et des traités secrets passés au nom de monarques n’ayant de comptes à rendre à personne. Ambassadeur – on disait alors commissaire – des Etats-Unis en France de 1776 à 1785, et à ce titre considéré comme le véritable précurseur de la diplomatie américaine, Benjamin Franklin devait négocier, à Paris, un traité d’amitié et de commerce contre l’ennemi anglais commun. Réfléchissant à sa manière de procéder, il écrivit : « J’ai longtemps observé une règle (…). C’est simplement celle-ci, de ne m’occuper d’aucune affaire dont je puisse rougir en la rendant publique. »

    Lors des débats constitutionnels de 1787, les républicains américains réaffirmèrent leur préférence pour l’exposition des négociations diplomatiques et la publicité des dépêches. Contrairement aux textes diplomatiques européens, ceux des Américains étaient destinés à la publicité la plus large. Les dépêches étaient écrites avec l’intention et la conviction que les circonstances devraient les placer un jour sous les yeux des citoyens américains et du monde entier. On le constate en lisant aujourd’hui les télégrammes diffusés par WikiLeaks : l’intention et la conviction ont disparu, et avec elles la simple précaution dans le choix de la formule. Pour comprendre l’effacement des principes devant les réalités de la négociation internationale, il faut rappeler un autre moment historique essentiel. C’est encore aux héritages des Lumières et de la révolution de 1776 que puisait le président américain Woodrow Wilson quand il présenta au Congrès, le 8 janvier 1918, ses fameux « Quatorze points », au tout premier rang desquels il plaça l’interdiction de la diplomatie secrète. Or, quelques mois plus tard, c’est en secret que ce même président négocia le traité de Versailles, enfermé avec le Français Clemenceau, le Britannique Lloyd George et (pour la forme) l’Italien Orlando, à l’écart de toutes les autres délégations, à l’écart même de leurs propres entourages.

    Mais la tradition récurrente du secret se heurte de façon croissante à une injonction contemporaine de transparence, mue par un double moteur. Le moteur politique demeure dans les grandes lignes celui pensé lors des Lumières : le droit de savoir des gouvernés et le devoir de responsabilité des gouvernants ; ce moteur gagne en puissance à mesure que se démocratisent les sociétés. A ce moteur s’en ajoute désormais un second : l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication, lesquelles démultiplient l’impact de toute rupture du secret. L’affaire WikiLeaks en apporte la dernière illustration en date – pour retentissante qu’elle soit, gageons que ce n’est pas l’ultime. On en vient à déplorer « la dictature de la transparence », alors qu’elle constitue précisément, lorsqu’elle s’applique au pouvoir politique, une condition de la société démocratique. La transparence offre un antidote aux abus que permet le secret du pouvoir : conflits d’intérêt, arbitraire des nominations et des sanctions, détournement de l’intérêt collectif par des intérêts particuliers, corruption et concussion. Tout cela prospère dans le secret, mais dépérit lorsque des mécanismes de transparence l’exposent à la lumière du jour.
    (LeMonde du 14 décembre 2010)

  2. Le point de vue d’Aurélien Colson, professeur de science politique à l’Essec :
    En diffusant largement des télégrammes diplomatiques du département d’Etat destinés à rester secrets, WikiLeaks pourrait à bon droit se réclamer des Pères fondateurs de la diplomatie américaine. Entre l’indépendance de 1776 et la Constitution de 1787, George Washington, Benjamin Franklin, George Mason, d’autres républicains encore, posèrent en principe le refus du secret dans les négociations internationales. Ce refus traduisait le rejet américain des habitudes de la diplomatie européenne d’alors, coutumière des tractations obscures et des traités secrets passés au nom de monarques n’ayant de comptes à rendre à personne. Ambassadeur – on disait alors commissaire – des Etats-Unis en France de 1776 à 1785, et à ce titre considéré comme le véritable précurseur de la diplomatie américaine, Benjamin Franklin devait négocier, à Paris, un traité d’amitié et de commerce contre l’ennemi anglais commun. Réfléchissant à sa manière de procéder, il écrivit : « J’ai longtemps observé une règle (…). C’est simplement celle-ci, de ne m’occuper d’aucune affaire dont je puisse rougir en la rendant publique. »

    Lors des débats constitutionnels de 1787, les républicains américains réaffirmèrent leur préférence pour l’exposition des négociations diplomatiques et la publicité des dépêches. Contrairement aux textes diplomatiques européens, ceux des Américains étaient destinés à la publicité la plus large. Les dépêches étaient écrites avec l’intention et la conviction que les circonstances devraient les placer un jour sous les yeux des citoyens américains et du monde entier. On le constate en lisant aujourd’hui les télégrammes diffusés par WikiLeaks : l’intention et la conviction ont disparu, et avec elles la simple précaution dans le choix de la formule. Pour comprendre l’effacement des principes devant les réalités de la négociation internationale, il faut rappeler un autre moment historique essentiel. C’est encore aux héritages des Lumières et de la révolution de 1776 que puisait le président américain Woodrow Wilson quand il présenta au Congrès, le 8 janvier 1918, ses fameux « Quatorze points », au tout premier rang desquels il plaça l’interdiction de la diplomatie secrète. Or, quelques mois plus tard, c’est en secret que ce même président négocia le traité de Versailles, enfermé avec le Français Clemenceau, le Britannique Lloyd George et (pour la forme) l’Italien Orlando, à l’écart de toutes les autres délégations, à l’écart même de leurs propres entourages.

    Mais la tradition récurrente du secret se heurte de façon croissante à une injonction contemporaine de transparence, mue par un double moteur. Le moteur politique demeure dans les grandes lignes celui pensé lors des Lumières : le droit de savoir des gouvernés et le devoir de responsabilité des gouvernants ; ce moteur gagne en puissance à mesure que se démocratisent les sociétés. A ce moteur s’en ajoute désormais un second : l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication, lesquelles démultiplient l’impact de toute rupture du secret. L’affaire WikiLeaks en apporte la dernière illustration en date – pour retentissante qu’elle soit, gageons que ce n’est pas l’ultime. On en vient à déplorer « la dictature de la transparence », alors qu’elle constitue précisément, lorsqu’elle s’applique au pouvoir politique, une condition de la société démocratique. La transparence offre un antidote aux abus que permet le secret du pouvoir : conflits d’intérêt, arbitraire des nominations et des sanctions, détournement de l’intérêt collectif par des intérêts particuliers, corruption et concussion. Tout cela prospère dans le secret, mais dépérit lorsque des mécanismes de transparence l’exposent à la lumière du jour.
    (LeMonde du 14 décembre 2010)

  3. Pentagon Papers, Watergate, WikiLeaks
    En juin 1971, le New York Times commença à publier une histoire secrète de la guerre du Vietnam qui vint à être connue sous le nom de « Pentagon Papers ». Initialement commandé par le précèdent secrétaire à la Défense Robert McNamara pour consigner l’histoire des décisions présidentielles relatives au Vietnam, le dossier retraçait trois décennies de politique américaine à l’égard de l’Asie du sud-est, une histoire tissée de tromperies et de mensonges. Mc Namara fit classer le dossier secret défense, et n’autorisa qu’une impression limitée. Daniel Ellsberg était un ancien analyste au Département de la défense et « jeune surdoué » de l’équipe McNamara dans l’administration Johnson. Il devint un farouche opposant à la guerre et transmit le dossier au New York Times après que le sénateur William Fulbright refusa de tenir une audience au sujet de ce dossier. Nixon s’insurgea et tenta d’empêcher le New York Times et d’autres journaux de publier le dossier. La Cour suprême rejeta sa demande* et les Pentagon Papers furent publiés.

    En réponse, Nixon fit les premiers pas sur la route de l’auto-destruction. Il ordonna à son personnel de mettre sur pied une unité secrète d’espionnage, uniquement responsable envers lui, pour infiltrer des taupes dans le gouvernement. Connus comme les « plombiers », ils se devaient de mouiller dans des affaires louches tous les ennemis politiques de Nixon. « Sans la guerre du Vietnam, il n’y aurait pas eu de Watergate » selon Robert Hadelman, l’ancien chef du personnel de Nixon. L’effraction dans les locaux du parti
    démocrate situé dans l’ensemble des bureaux du Watergate faisait partie d’une vaste opération menée par Nixon pour supprimer la contestation.

    * La Cour refusa d’interdire la publication de ces documents. Mais l’un des juges prévint, menaçant, que cette décision se fondait sur l’absence de contrainte préalable : vous pouvez dire et imprimer ce qu’il vous chante, droit garanti par le Premier Amendement. Le gouvernement ne peut pas vous en empêcher par avance. Mais quand vous aurez exprimé oralement ou publié votre opinion, si le gouvernement décide de juger certains de vos propos « illégaux », ou de les qualifier de « préjudiciables », voire simplement d’« incorrects », il peut vous expédier en prison. Les Pères fondateurs, qu’ils fussent libéraux ou conservateurs, fédéralistes ou républicains – de Washington à Hamilton et de Jefferson à Madison –, pensaient que les propos séditieux étaient intolérables et que tout ce que nous pouvions attendre de la liberté de parole c’est qu’elle ne souffre aucune contrainte préalable !

    La liberté d’expression ne s’accorde pas, elle s’arrache.

  4. Wikileaks et les Pentagon Papers
    Cette histoire WikiLeaks, fascinante, nous renvoie près de 40 ans en arrière : les Pentagon Papers. Un expert de la défense, Daniel Ellsberg, diplômé de Harvard et ancien marine, venait de rendre publiques 7 000 pages de notes secrètes sur la guerre du Vietnam. Nous nous sentions concernés, des copains partaient encore au Vietnam, d’autres en revenaient bien amochés. Daniel Ellsberg nous apparaissait comme un héros parce qu’il dévoilait les mensonges des administrations Kennedy et Johnson sur cette sale guerre perdue d’avance. Les malfaisants du gouvernement Nixon s’acharnèrent sur Ellsberg, l’espionnèrent, le harcelèrent, l’attaquèrent. Il gagna son procès en 1973. Et le New York Times, qui avait publié des extraits des Pentagon Papers, gagna le sien aussi. Le jugement de la Cour suprême fit même jurisprudence.

    Intéressez-vous au cas Ellsberg pour comprendre pourquoi il est essentiel de publier les documents révélés par WikiLeaks. Rien n’a changé, Les citoyens doivent savoir.
    (Didier Pourquery, Monde Magazine du 11 décembre 2010)

  5. Wikileaks et les Pentagon Papers
    Cette histoire WikiLeaks, fascinante, nous renvoie près de 40 ans en arrière : les Pentagon Papers. Un expert de la défense, Daniel Ellsberg, diplômé de Harvard et ancien marine, venait de rendre publiques 7 000 pages de notes secrètes sur la guerre du Vietnam. Nous nous sentions concernés, des copains partaient encore au Vietnam, d’autres en revenaient bien amochés. Daniel Ellsberg nous apparaissait comme un héros parce qu’il dévoilait les mensonges des administrations Kennedy et Johnson sur cette sale guerre perdue d’avance. Les malfaisants du gouvernement Nixon s’acharnèrent sur Ellsberg, l’espionnèrent, le harcelèrent, l’attaquèrent. Il gagna son procès en 1973. Et le New York Times, qui avait publié des extraits des Pentagon Papers, gagna le sien aussi. Le jugement de la Cour suprême fit même jurisprudence.

    Intéressez-vous au cas Ellsberg pour comprendre pourquoi il est essentiel de publier les documents révélés par WikiLeaks. Rien n’a changé, Les citoyens doivent savoir.
    (Didier Pourquery, Monde Magazine du 11 décembre 2010)

  6. WikiLeaks, à suivre :
    La députée UMP Murielle Marland-Militello estime dans un communiqué que « le pire d’Internet n’a pas le droit de cité en France ». La députée dénonce les « méthodes abjectes » de WikiLeaks, qui « n’a pas sa place dans l’Internet civilisé que nous devons construire ».

    Droit de réponse : Le pire d’Internet est déjà passible de poursuites, il s’agit des activités illégales de jeu d’argent et de la pédo-pornographie. Dans ces cas-là, les serveurs ont l’obligation de vérifier sur leurs serveurs qu’il n’y a pas de contenus illégaux. Avec WikiLeaks, il s’agit plutôt de liberté d’expression. Après le secret défense, voici le « secret diplomatique » sur « l’Internet civilisé ». En démocratie, le secret quel qu’il soit est une atteinte à la liberté.

    L’action de la droite contre WikiLeaks montre très clairement qu’en France la liberté d’expression n’est pas respectée comme elle le devrait. Un pays qui est au 40ème rang en matière de liberté de la presse a les Besson-Marland qu’il mérite.

  7. WikiLeaks, la suite :
    Eric Besson, ministre français de l’économie numérique, engage la bataille contre WikiLeaks : « On ne peut héberger des sites Internet qualifiés de criminels et rejetés par d’autres Etats en raison d’atteintes qu’ils portent à leurs droits fondamentaux. »

    Réponse : La qualification de site Internet criminel n’existe pas en tant que telle. De plus Wikileaks n’a été condamné nulle part, y compris aux Etats-Unis et Monsieur Besson diffame le site en le traitant de site criminel. Aux USA, enfin, le site Wikileaks ne peut pas être qualifié de « criminel » puisque la constitution américaine stipule qu’on ne peut pas être poursuivi en justice pour diffusion d’information. Liberté de la presse oblige. Où Besson passe la liberté trépasse…

  8. WikiLeaks, la suite :
    Eric Besson, ministre français de l’économie numérique, engage la bataille contre WikiLeaks : « On ne peut héberger des sites Internet qualifiés de criminels et rejetés par d’autres Etats en raison d’atteintes qu’ils portent à leurs droits fondamentaux. »

    Réponse : La qualification de site Internet criminel n’existe pas en tant que telle. De plus Wikileaks n’a été condamné nulle part, y compris aux Etats-Unis et Monsieur Besson diffame le site en le traitant de site criminel. Aux USA, enfin, le site Wikileaks ne peut pas être qualifié de « criminel » puisque la constitution américaine stipule qu’on ne peut pas être poursuivi en justice pour diffusion d’information. Liberté de la presse oblige. Où Besson passe la liberté trépasse…

  9. Dominique Cardon*, en résumé :
    – Les opposants de WikiLeaks dénoncent une rupture qui les dépossèdent du magistère qu’ils exercent sur des citoyens incapables d’appréhender dans sa réalité la complexité de leurs agissements ???
    – Les promoteurs de WikiLeaks y voient de la démocratie participative qui, pour fonctionner, doit faire « entrer » les citoyens à l’intérieur des dossiers…
    – Quelle qu’en soit l’origine, l’abondance des données ne fait pas une « contre-démocratie » sans la mobilisation de communautés d’interprètes susceptibles de leur donner un contexte, du sens, une narration et une visibilité.
    (*LeMonde du 3 novembre 201, En finir avec le culte du secret et de la raison d’Etat

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