Beau titre pour ce nouveau livre de Michel Desmurget, déjà auteur en 2011 de TV LOBOTOMIE. Faudra-t-il une cure de désintoxication pour la génération des écrans ? Après la honte de partir en avion (flight shame), faudra-t-il instiller la honte du numérique (digital shame) ? Sans aucun doute ! L ’empreinte énergétique de tous nos bits représente déjà 6 à 10 % de la consommation mondiale d’électricité et 4 % des émissions de CO2. Il nous faudra désinformatiser en même temps que démondialiser, dévoiturer, désurbaniser, etc.
Pour la chercheuse Françoise Berthoud*, il est dorénavant central d’envisager toutes les conséquences socio-écologiques de l’industrie du numérique : « La part de la fabrication de ces outils (smartphone, ordinateurs, télévisions…)représente à elle seule entre 30 à 50 % de l’énergie qu’ils consomment. Exploitation de ressources non renouvelables, pollution diffuse, « recyclage » des déchets d’équipements électroniques à main nue dans les pays pauvres, c’est un désastre. Et je ne parle pas des conséquences de l’excès d’usage des équipements terminaux dans les pays occidentaux : myopie, troubles du sommeil, du comportement, addictions, troubles de développement chez l’enfant… De fait, nous ne sommes pas capables de mesurer le moindre effet positif pour de nombreuses raisons, notamment liées à tous ces impacts non pris en compte. Il y a aussi des impacts indirects, par exemple l’impression d’un document est beaucoup plus simple et donc bien plus fréquente aujourd’hui. Les effets rebond sont liés à l’augmentation d’efficacité, gains qui sont immédiatement réinvestis en plus de services, des écrans plus grands, des vidéos plus résolues, etc. L’informatique accélère tous les processus au cœur du fonctionnement de notre société marchande : flux de capitaux, flux de biens, flux de personnes… donc le numérique contribue à amplifier les impacts néfastes de l’ensemble de nos activités. » Quelques réactions sur lemonde.fr :
Cor : Les deux rapports du « Shift project » auraient pu être cités et commentés. « Pour une sobriété numérique » et « L’insoutenable usage de la vidéo en ligne ». Pour tous ceux qui souhaitent aller plus loin dans la réflexion.
Max Lombard : J’ai honte de voyager en avion, j’ai honte de manger de la viande, j’ai honte d’envoyer des SMS, j’ai honte de lire « Le Monde » numérique, j’ai honte de ne pas consommer que du bio, j’ai honte de rester plus de deux minutes sous la douche et de ne pas faire pipi-caca dans des toilettes sèches, j’ai honte de posséder encore une voiture à moteur thermique (vade retro Satanas !), j’ai honte de n’avoir ni éolienne ni panneaux solaires… Je crois que je vais finir par avoir honte d’avoir honte.
Ganesha : Le numérique, c’est aussi une course effrénée à l’augmentation des débits sur les réseaux : l’arrivée de la 5G peut être saluée comme un progrès considérable dans le fonctionnement de nos smartphones, ou comme une catastrophe absolue avec une croissance exponentielle des téléchargements, un usage accru des jeux vidéos, l’apparition de jeux et d’applications de plus en plus gourmands en énergie, tout cela rendant nécessaire la mise en œuvre de toujours plus de serveurs… Quand évaluera-t-on la qualité d’une innovation technique à l’aune de son impact environnemental ?
Fouilla : On sait que 80% du trafic internet est de la vidéo, dont une forte part de youtube et ses vidéos de chatons, de porno et de VoD (netflix…), les 3 à part à peu près égale. La visio-conf, alibi écolo de l’internet, ayant une part négligeable.
V. P. : On voit bien que le numérique, le télétravail, les visio-conférences, n’ont en rien diminué les transports. Au contraire. Il n’y a jamais eu autant de monde dans les avions, dans les bateaux, dans les trains.
Bernard l. : Ce n’est pas produire autrement, voyager autrement, transporter autrement, communiquer autrement qu’il nous faut ! C’est vivre autrement en produisant moins, voyageant moins, transportant moins. Dans le domaine du numérique, supprimer (je ne dis pas interdire, on va me traiter de liberticide !!!) les spams ce serait un tout petit premier pas mais même cela on ne le fait pas.
* LE MONDE du 2 octobre 2019« Pollution, surexploitation des ressources, conséquences sociales… les impacts du numérique sur l’écologie sont multiples »
Alain Rey, 91 ans et les mots pour le dire : « Avec le numérique, je ne vois que des catastrophes : la fin de la lecture, l’imbécillité programmée, l’infantilisme. Aujourd’hui, le développement individuel est compromis et le développement collectif est condamné. Je suis très négatif. Sur l’avenir de l’humanité. Franchement, c’est gravissime. Je pense qu’il n’y a pas de progrès sans catastrophe. Si on prend les choses dans leur dimension historique, le virage du numérique est aussi important que l’apparition de l’écriture. Or, l’apparition de l’écriture a été un immense progrès et en même temps une catastrophe. En Afrique, des civilisations pleurent de ne plus être des civilisations orales. Tous les efforts pour protéger le climat sont à un niveau de dérision qui devrait faire rire. C’est ridicule de croire qu’en jetant nos pots en plastique on va changer le monde. Tout ça ne peut se régler qu’à l’échelle mondiale, or les Etats-Unis et la Chine s’en moquent. Mais je suis un pessimiste gai, car être triste ne changera rien. »*
L’auteur de ces propos, Alain Rey, continue à 91 ans d’enrichir le Dictionnaire historique de la langue française. C’est un spécialiste des mots, un lexicologue, rédacteur en chef des publications des éditions Le Robert. C’est aussi un réaliste devant l’état de décomposition de notre monde naturel et humain. Comme quoi dans le grand âge, on peut avoir beaucoup plus de lucidité que ces décideurs qui psalmodient « croissance, croissance » comme des perroquets.
* LE MONDE du 8-9 septembre 2019, Alain Rey (rubrique « je ne seras pas arrivé là si…)
Plus exactement, digital. » La fabrique du crétin digital » (les dangers des écrans pour nos enfants) de Michel Desmurget, éditions Seuil, septembre 2019, 20€.
Qu’il soit numérique ou digital ce crétin est là depuis un moment déjà. Et il se développe, toujours plus, à la vitesse Grand V. Tout le monde connait cette image humoristique sous forme de fresque, en noir et blanc, représentant l’évolution de l’Homme. A gauche un singe à quatre pattes, au centre un homme bien droit portant une lance, à droite (dans le sens de l’évolution) un type assis courbé devant un ordinateur. C’est notre Numericus Cretinus. On parle de révolution, numérique… mais on peut effectivement parler d’évolution.
En 2012 Michel Serres s’émerveillait en observant « Petite Poucette ». Ne voyant là ni progrès ni catastrophe, ni bien ni mal, toutefois une mutation anthropologique majeure … il demandait juste de lui faire confiance. Rien que ça, il était gentil Michel Serres… Comme on sait la confiance est le ciment de la vie en société, sans confiance rien ne tient, tout se casse la figure. Seulement la confiance ne se se décrète pas, elle ne donne pas comme ça, la confiance se mérite, pour ainsi dire. Or comment faire confiance à « Petite Poucette » ? Regardons à quoi lui servent ses « merveilleuses » prothèses numériques, serait-ce à apprendre, à grandir … ou plutôt à jouer, à déconner, toujours plus ? « Petite Poucette » est une crétine, on ne peut pas faire confiance à une crétine, un crétin, à moins d’être un crétin soi-même. De plus « Petite Poucette » est une junky, elle est incapable de dire « assez », au contraire il lui en faut toujours plus, après la 4G elle a besoin de la 5G. Et après la 5G il lui faudra la 6G etc. Quant aux marchands de drogues, on sait depuis longtemps ce qui les anime. Bref on n’en sort pas, on ne peut pas en sortir, il reste à admettre qu’on est planté. Et ce, quelque soit le côté où on regarde.
Pour en revenir à cette fresque humoristique représentant l’évolution, il existe une version sur laquelle, au stade suivant à droite, on voit Numericus Cretinus qui se casse la gueule. Je donnerais cher pour savoir ce qu’il y aura après.
Les technologies numériques sont un élément essentiel pour faire « mieux » hélas nous avons bien du mal à comprendre qu’inévitablement faire mieux est une incitation extrêmement efficace à faire plus. Or, les différents commentaires ont raison, il faut faire moins.
In fine le qualitatif se transforme en quantitatif, et c’est là dessus que nous devons agir, la décroissance dans toutes ses composantes, notamment démographie, n’est pas une option.
D’accord pour faire mieux plutôt que faire plus.
Mais si nous sommes de plus en plus nombreux à faire mieux, cela ne revient-il pas globalement… à faire plus ?
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[ Je ne suis pas (encore) malthusien… et une guerre m’inquiète ! ]
Et oui évidemment, vous avez raison Sagamore, les gains d’efficacité sont largement compensé par le quantitatif, comme toujours