Est-ce que LeMonde nous empapaoute ?

Bonne contre-enquête du Monde sur les terres rares*. Mais il manque l’essentiel, un point de vue durable. L’ensemble de ces deux pages veut nous faire croire que la riposte s’organise, pas besoin de s’inquiéter : « Certains imaginent même la Chine abandonner tous ses quotas d’exportation, provoquant une chute des prix. » La journaliste croit encore à l’industrie industrialisante qui va reposer sur les 17 métaux aux propriétés extraordinaires qui vont booster les technologies de pointe et la croissance propre. Patrice Christmann, responsable des ressources minérales à la direction de la stratégie du Bureau de recherches géologiques et minières est un vrai croyant : « En science, le mot jamais n’a pas de sens. Les industriels cherchent à obtenir les aimants permanents qui ont le champ magnétique le plus puisant et qui sont en même temps de petite taille… la science trouvera. » Le PDG de Rhodia, leader mondial des formulations à base de terres rares, reste optimiste : « Nous allons développer une filière de récupération de terres rares, nous allons diversifier nos approvisionnements… La crise approche de son terme. » Tout ira donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles !

Voici pour l’utopie marchande, passons aux réalités. Philippe Bihouix** constate que le développement exponentiel des nouvelles technologies a fait exploser la demande en métaux high tech, les fameuses terres rares. Or les ressources métalliques constituent un stock très limité au milieu d’une quantité énorme de roches indifférenciées. Extraire des métaux toujours moins concentrés dans les roches géologiques requiert de plus en plus d’énergie. Mais inversement la production d’énergie, toujours moins accessible, requiert de plus en plus de métaux.  Une éolienne d’1 MW de puissance consomme dix fois plus d’acier et de béton au kWh qu’une centrale thermique. De plus la complexité des alliages nous empêche de récupérer facilement les métaux lors du recyclage. Il y a 30 métaux différents dans un ordinateur portable. Avec 3000 sortes d’alliages au nickel, on comprend que l’organisation de filières de récupération sera douloureuse ! Enfin une partie des métaux n’est pas récupérable car nous en faisons un usage dispersif, pigments, additifs, couches minces…

Allons à l’essentiel. On constate qu’au niveau mondial, 75 % des métaux extraits le sont pour 20 % de la population. Or déjà la pénurie commence avec les terres rares. Il ne faut donc pas promouvoir plus de technologie pour réduire les gaspillages, mais réduire notre consommation de riches pour moins de technologies. C’est sur le terrain de la morale et du juste besoin que  se situe le progrès véritable. LeMonde devrait cesser de se faire uniquement le porte-parole myope de notre appareil industriel.

* LeMonde du 14 janvier 2011, Les terres rares seront-elles une nouvelle source de conflit ?

**  Philippe Bihouix, ingénieur, coordonne avec Benoît de Guillebon l’ouvrage Quel futur pour les matériaux, résultat du travail associatif des ingénieurs de Centrale-Paris. Résumé de son point de vue dans l’Ecologiste n° 33, hiver 2010.