A la demande « relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! » C’est maintenant qu’il faut se battre pour qu’ une fois la crise passée ne se ramène pas le même ancien régime climatique. Si nous avons de bonne chance de « sortir » du Covid-19, nous n’en avons aucune de « sortir » de la seconde. Mais la preuve est faite qu’il est possible, en quelques semaines, de suspendre partout dans le monde et au même moment, un système économique dont on nous disait jusqu’ici qu’il était impossible à ralentir ou à rediriger. À tous les arguments des écologiques sur l’infléchissement de nos modes de vie, on opposait toujours l’argument de la force irréversible du « train du progrès » que rien ne pouvait faire sortir de ses rails « à cause de la globalisation ». A globalisateur, globalisateur et demi : question de resocialiser des milliards d’humains, les microbes se posent un peu là ! Si la demande de virer de bord à 90 degrés pour atterrir sur terre paraissait encore en janvier une douce illusion, elle devient réaliste.Les globalisateurs semblent avoir une idée très précise de ce qu’ils veulent voir renaître après la reprise : la même chose en pire, industries pétrolières et bateaux de croisière géants en prime. C’est à nous de leur opposer un contre-inventaire.
L’autre jour, on présentait à la télévision un fleuriste hollandais, les larmes aux yeux, obligé de jeter des tonnes de tulipes prête à l’envoi qu’il ne pouvait plus expédier par avion dans le monde entier faute de client. On ne peut que le plaindre, bien sûr ; il est juste qu’il soit indemnisé. Mais ensuite la caméra reculait montrant que ses tulipes, il les fait pousser hors sol sous lumière artificielle avant de les livrer aux avions cargo de Schiphol dans une pluie de kérosène ; de là, l’expression d’un doute : « Mais est-il bien utile de prolonger cette façon de produire et de vendre ce type de fleurs ? ».
De fil en aiguille, si nous commençons, chacun pour notre compte, à poser de telles questions sur tous les aspects de notre système de production, nous devenons d’efficaces interrupteurs de globalisation – aussi efficaces, millions que nous sommes, que le fameux coronavirus dans sa façon bien à lui de globaliser la planète. Comme le montre Pierre Charbonnier, après cent ans de socialisme limité à la seule redistribution des bienfaits de l’économie, il serait peut-être temps d’inventer un socialisme qui conteste la production elle-même. Ce qui ne veut pas dire décroître ou vivre d’amour ou d’eau fraîche, mais apprendre à sélectionner chaque segment de ce fameux système prétendument irréversible et d’éprouver de proche en proche ce qui est désirable et ce qui a cessé de l’être. Comme il est toujours bon de lier un argument à des exercices pratiques, proposons aux lecteurs d’essayer de répondre à ce petit inventaire.
Question 1 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas ?
Question 2 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît nuisible/ superflue/ dangereuse/ incohérente ; b) en quoi sa disparition/ mise en veilleuse/ substitution rendrait d’autres activités que vous favorisez plus facile/ plus cohérente ?
Question 3 : Quelles mesures préconisez-vous pour que les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs qui ne pourront plus continuer dans les activités que vous supprimez se voient faciliter la transition vers d’autres activités ?
Question 4 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles se développent/ reprennent ou celles qui devraient être inventées en remplacement ?
Question 5 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît positive ; b) comment elle rend plus faciles/ harmonieuses/ cohérentes d’autres activités que vous favorisez ; et c) permettent de lutter contre celles que vous jugez défavorables ?
Question 6 : Quelles mesures préconisez-vous pour aider les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs à acquérir les capacités/ moyens/ revenus/ instruments permettant la reprise/ le développement/ la création de cette activité ?
extraits du discours de Bruno Latour
Bonjour Michel C
Oui nous sommes d’accord sur les projections, celles à 2050 sont quasiment certaines et nous ne pouvons agir qu’à la marge (sauf effondrement mondial et guerre toute aussi mondiale). Et en effet celle de 2100 sont beaucoup plus incertaines. Pour autant je les cites parfois car il n’y a guère d’autres projections, mais c’est moins pour affirmer que la réalité sera telle que pour évoquer le fait qu’à mon sens un monde aussi peuplé n’a aucun avenir, l’impossible est plus grand encore à 11 qu’à 8 comme aujourd’hui et la durabilité d’une société en serait d’autant plus réduite
Il est sympa Bruno Latour. Seulement pour commencer, son « Surtout pas ! » me fait bien rire. Même un sociologue n’est pas sans savoir que tout est lié, il n’est pas non plus sans savoir les conséquences de l’arrêt prolongé de la Machine. Pour certains aujourd’hui, il semble donc qu’il faille dépasser ce genre de considérations. Et là encore, il semblerait qu’il ne puisse y avoir que deux attitudes. On est POUR ou on est CONTRE. Pour ou contre le redémarrage, choisis ton camp camarade ! J’en profite pour faire remarquer que notre situation n’a rien à voir avec l’An 01. «On arrête tout, on réfléchit ; et c’est pas triste»… ça ce n’était que du cinéma. Le notre, celui-ci, est d’une toute autre nature. Déjà, il est bien moins marrant.
La suite est tout aussi savoureuse : «C’est maintenant qu’il faut se battre pour qu’une fois la crise passée ne se ramène pas le même ancien régime climatique.»
Pour faire encore plus motivé, j’aurais juste rajouté le «tous ensemble ouai ouai ! Motivé motivé, il faut se motiver!» Oui il faut se battre, oui il faut se motiver, yaca et faucon, chacun dans son coin, derrière son clavier d’ordinateur, tous ensemble tous ensemble, tous confinés ! Avec le masque en plus ça va le faire, faut juste y croire !
Bien sûr j’exagère et j’ironise, ce qui n’est qu’une manière de montrer l’absurdité de la situation. De notre sitution. Absurdité à tous les niveaux. Bruno Latour ne fait là que ce que beaucoup d’autres font en ce moment, et ce que tant d’autres ont fait depuis longtemps, bien avant cette crise. Bruno Latour veut seulement nous faire voir l’absurdité de notre situation. Comme si depuis le temps, chacun de nous n’avait pas encore compris que nous sommes tous, à notre manière, des Shadoks qui pompons et pompons, en attendant. Et qui se rassurent comme ils peuvent, par exemple en se faisant croire que « plus ça rate et plus on a de chances de réussir ».
Quant au petit questionnaire gentiment proposé au gentil lecteur Shadok, il est purement délicieux. Voilà le genre de questions que faucon pose abolument et très rapidement à un panel de 150 citoyens Shadoks tirés au sort. En attendant cette prometteuse Convention (à la c..) voilà aussi ce qui ferait un excellent sujet de philo au BAC. Seulement il n’est même pas dit que l’épreuve de philo puisse se dérouler comme prévu le 17 juin prochain. Mon dieu, quand ça ne veut pas le faire ça ne veut pas le faire ! Misère misère !
Plus sérieusement. Voilà en fait ce qui aurait dû constituer depuis longtemps le socle de l’enseignement de notre marmaille dès la maternelle. Seulement voilà, maintenant il est trop tard. Et ça, Bruno Latour «oublie» juste de le dire. Peut-être du fait, tout simplement, qu’il ne veut ou ne peut pas le croire.
La décroissance économique comme démographique est une nécessité, il n’y a aucun avenir si nous continuons sur la pente qui était celle de l’avant coronavirus. Ce point je crois, fera presque l’unanimité (disons la majorité pour la démographie) chez les lecteurs de biosphère.
Par contre en ce qui concerne la décroissance économique, je crois qu’il faut la penser lente, sinon, nous courrons à la catastrophe. Certes il faut diminuer globalement les productions,, les relocaliser géographiquement et les réorienter vers les produits de nécessite mais pas trop vite.
N’oublions pas que si des productions nous semblent inutiles elles constituent le revenu (production = revenu à l’échelle globale) d’une majorité d’entre-nous, nous ne pouvons pas priver de ressources une part significative de la population, cela entraînerait des catastrophes en cascades. Les services assurés par l’état (Santé, police, administrations que nous vantons aujourd’hui comme nécessaires ne vivent eux-mêmes que par une ponction sur les productions marchandes (les prélèvements obligatoires représentent aujourd’hui bien plus de la moitié du PIB) . Supprimer une bonne partie de l’économie c’est aussi les mettre en péril.
L’équilibre ne saurait s’établir rapidement, il faut que peu à peu les revenus et donc les productions s’orientent vers le nécessaires, mais c’est seulement quand peu à peu les gens tireront leur ressources de ces activités durables que nous pourrons atteindre un équilibre pas si demain, d’un coup, une partie de notre environnement économique n’existe plus.
La situation actuelle (confinement, arrêt de l’économie) n’est pas durable, elle ne fonctionne que parce qu’en pratique nous vivons sur le stock (pas seulement alimentaire). Demain peu à peu, nos portables, nos ordinateurs tomberont en panne, que ferons-nous sans communications et sans possibilité d’aller les faire réparer ou d’en acheter d’autres ?En pratique c’est impossible, Que faire demain en cas de rage de dent ? De fuite d’eau,, de fuite de gaz, de chaudière en panne ? Tout cela suppose le fonctionnement de l’ensemble de la société. Un marche rapide vers la sobriété (heureuse ? nous verrons) pourrait conduire au chaos social, et c’est souvent le terreau de la dictature, voire de la guerre.
Nous ne sommes pas dans un jeu ou c’est amusant de se priver de tout parce que ça dure 10 minutes, ou de manger aux bougies parce qu’il y a une panne d’électricité, au bout de deux mois plus personne ne s’amuse.
Donc il faut aller doucement, toutes les mesures trop rapides pourraient mener à la catastrophe.
Bonjour Didier Barthès. Déjà je peux vous assurer que je suis d’accord avec vous sur le premier point. Et d’ailleurs avec tout le reste aussi. Quelques petits bémols toutefois. Ben oui, le monde serait vraiment triste si nous pensions tous la même chose. Un monde de clones, oh mon dieu non pas ça ! 🙂
Vous dites : «Par contre en ce qui concerne la décroissance économique, je crois qu’il faut la penser lente, sinon, nous courrons à la catastrophe.»
Oui bien sûr. Et moi je dirais la même chose en ce qui concerne la décroissance démographique. Pour régler l’un ou l’autre de ces deux seuls problèmes, ou même les deux et en même temps ce qui serait le top du Top… si nous voulons aller trop vite, alors nous courrons à la catastrophe.
Seulement le temps presse. Depuis le temps que nous en perdons, du temps, aujourd’hui nous ne pouvons même plus nous offrir le luxe d’attendre.
Et pourtant c’est bien ce que nous allons faire, je lance les paris. Nous allons continuer à bricoler, à blablater, à pomper dans le vide, tout en sachant que plus nous perdrons du temps et plus la catastrophe sera… catastrophique. Bref, quoi qu’on fasse, vite ou pas, seul ou tous ensemble ouai ouai, nous courrons à la catastrophe.
Sachant ça, que faire ? (yaca et faucon quoi ?) Et là il y autant de réponses qu’il y a de cerveaux qui se la posent. On peut par exemple adopter la philosophie Shadok, se dire que s’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. Et quand on y réfléchit un peu, on peut voir que ce n’est pas si con que ça. On peut aussi adopter celle (philosophie) de cet alcoolo, certainement inspiré lui aussi par les Shadoks, et qui disait : «L’alcool tue lentement, moi j’m’en fous, j’n’suis pas pressé !» Et là non plus ce n’est pas si con que ça, ça rejoint d’ailleurs cette sagesse millénaire, celle qui prône la lenteur, qui dit que le temps il faut savoir le prendre etc. Celle qui dit également que la pression il ne faut pas se la mettre, ni surtout se la faire mettre, mais qu’il faut la boire !
Bonjour Michel C,
Pour ma part, concernant le rythme de décroissance démographique, je préconise que l’humanité s’oriente, disons d’ici une vingtaine d’années, vers un peu moins de 2 enfants par femme, cela devrait conduire à une réduction relativement lente (d’autant qu’à cause de la forme de la pyramide des âges, avec beaucoup de personnes en âge ou s’apprêtant à entrer dans l’âge d’avoir des enfants, la seule stabilité démographique ne sera atteinte qu’après une bonne génération après cette atteinte du seuil de deux enfants par femme.
Voyez, sur le rythme je ne suis pas extrémiste, et je précise aussi que tout ceci doit être atteint par des mesures incitatives le plus possible. Aujourd’hui l’ONU table sur le fait que nous atteignons deux enfants par femme vers l’an 2100. J’estime qu’il serait souhaitable d’aller beaucoup plus vite . Au vu des désordre du monde, je ne nous vois pas à 11 milliards (projection moyenne de l’ONU pour 2100) en paix dans un monde harmonieux dans 80 ans ! Non vraiment je n’arrive pas à concevoir cela.
Par contre après oui, je pense que si l’humanité veut avoir un avenir, elle doit effectivement retourner à des effectifs beaucoup, beaucoup plus modestes qu’aujourd’hui. Dans la durée, certainement pas plus de quelques centaines de millions de personnes. Mais rappelons-nous que nous ne sommes plus d’un milliard que depuis 220 ans, une goutte d’eau, une phase que nous devons laisser de côté comme une période exceptionnelle mais non durable car elle suppose l’anéantissement du reste du vivant.
Depuis le temps que nous échangeons ici, Didier Barthès, je sais bien que dans votre domaine, vous n’êtes pas un extrémiste.
Pour ma part, je l’ai déjà dit, autant je pense que nous pouvons nous baser sur 9,7 milliards en 2050 (prévisions ONU. Et quoi que nous fassions), autant je pense qu’il ne sert à rien d’extrapoler plus loin. D’ici 2100 il va couler beaucoup d’eau sous les ponts, de toute manière ni vous ni moi n’y serons pour pouvoir dire si Untel ou Ontel a vu juste ou pas. Je ne me mouille donc pas en prédisant qu’en 2100 ce problème du «surnombre» sera réglé. Et qui sait… peut-être même bien avant.
Par contre je reste convaincu que bien d’autres problèmes et non des moindres, subsisteront. La pollution, la radioactivité, la pénurie d’énergie, plus un climat pas forcément clément. Comme vous donc, je reste convaincu qu’en 2100 l’humanité ne vivra absolument pas dans un monde en paix et harmonieux.
A moins… que d’ici là l’humanité n’ait complètement disparue. Mais dans ce cas, qui donc ici bas pourrait encore parler de paix et d’harmonie ? Quoi qu’il en soit ça, même si l’extinction prochaine de notre espèce est une hypothèse à laquelle je ne crois pas, je ne peux pas non plus raisonnablement l’écarter.