La pandémie a donné lieu à une vague de contributions extrêmement stimulantes, voici quelques extraits.
Rony Brauman : « Le plus terrible avec cette pandémie, c’est que toute personne peut être à la fois une aide et une menace pour les autres. Quand on ne peut pas avoir confiance, le rapport à l’autre s’exerce sous la menace d’une amende ou pire. Ce que les êtres humains ont en partage, ce n’est pas une morale commune, mais la conscience de leur commune vulnérabilité. L’habitus, ce qui est profondément inscrit dans les façons de faire, comme la poignée de main et les embrassades en Europe ou le salut à distance en s’inclinant en Asie, est déjà fondamental dans la transmission d’un virus. S’il y a bien un autre invariant dans une situation épidémique, c’est l’intrication du politique et du biologique. La remarquable réaction de Taïwan, avec une conscience très élaborée du risque viral, a été totalement occultée parce que l’OMS a cédé aux pressions de Pékin qui voulait marginaliser le plus possible l’indépendantiste Taïwan. Aujourd’hui, on commence à s’interroger sur les vertus du confinement. Il n’était qu’un pis-aller, dans la mesure où nous ne disposions pas des tests et des masques qui auraient permis le traçage et la protection. Quant au pourcentage d’irréductibles, ce n’est pas à partir de ces gens-là qu’il faut édicter la loi du groupe. Il faut tabler sur la responsabilité des individus. Je suis un peu effrayé de mesures qui peuvent s’inscrire dans une stratégie de surveillance policière généralisée. C’est extrêmement dangereux, car on ne sait pas ce que l’avenir politique nous réserve. Nous devrons vivre désormais sous la menace perpétuelle d’une pandémie, cela fait partie de l’existence humaine. On voit comment des formes d’organisation sociale ont ouvert de véritables autoroutes aux virus : que ce soit dans l’élevage industriel où la reproduction des poulets ou des porcs, de génome identique en génome identique, favorise la transmission, ou dans l’intrication des animaux sauvages et domestiques au bord des grandes métropoles du Sud ou d’Asie. Bref, les modèles de l’urbanisation, de l’élevage, de l’alimentation, doivent être considérés sous un autre angle que celui de la rentabilité immédiate et de l’usage quotidien. Cette épidémie nous incite à porter notre regard au-delà de l’horizon immédiatement perceptible. »
Serge Morand : « Cette pandémie agit comme un révélateur de nos propres errements ; les écosystèmes ne peuvent plus supporter notre croissance démographique si intiment liée à notre expansion économique. Le passage d’un milliard d’individus en 1800 à 7,5 milliards aujourd’hui a entraîné des impacts sans précédent, nous avons besoin de toujours plus d’espaces pour nos habitations, nos moyens de de déplacement, nos terres à cultiver. Comme les populations humaines interagissent fortement avec les autres espèces, des épidémies comme celle du coronavirus vont se répéter.Survenue en 2003, l’épidémie de Sras est un cas d’école de “métropandémies” touchant quasi simultanément des foyers très éloignés géographiquement mais intensément connectés par le trafic aérien. Elle révèle l’impact sanitaire du haut degré de connexité entre les métropoles du monde globalisé. Aujourd’hui, l’aviation transporte plus de trois milliards de passagers par an. Ces voyageurs qui circulent de plus en plus loin, de plus en plus vite, hébergent chacune et chacun dans leur corps des virus. Toute l’histoire de nos maladies infectieuses est une histoire de circulation des personnes, de mondialisation ; les rythmes de propagation se sont simplement accélérés au fur et à mesure que la vitesse des moyens de transport a augmenté. »
Jane Goodall : « Cette pandémie a contraint les industries à fermer dans de nombreuses régions du monde. En conséquence, de nombreuses personnes ont découvert pour la première fois le plaisir de respirer un air sain et de voir le ciel étoilé la nuit. Mon espoir est qu’une compréhension de ce que le monde devrait être, accompagné de la prise de conscience que la pandémie actuelle est liée à notre manque de respect pour le monde naturel, encouragera les entreprises et les gouvernements à allouer plus de ressources au développement d’une énergie propre et renouvelable, à l’atténuation de la pauvreté et à aider les personnes à trouver des alternatives pour gagner leur vie sans que cela n’implique d’exploiter la nature ou les animaux… Faites que nous prenions conscience que nous faisons partie du monde naturel et que nous dépendons de lui pour notre nourriture, notre eau et notre air. Faites que nous reconnaissions que la santé des personnes, les animaux et l’environnement sont connectés. Faites que nous soyons respectueux des autres, mais aussi de tous les animaux sensibles et de la nature. Dans l’intérêt du bien-être de nos enfants et des leurs, et pour la santé de cette magnifique planète Terre, notre seule demeure. »
Pablo Servigne : « La pandémie montre l’extrême vulnérabilité de nos sociétés, leur degré d’interconnexion, de dépendances et d’instabilité. J’anticipais beaucoup de crises graves, en particulier financière, climatique ou énergétique, mais celle-là, je ne l’ai pas vue venir, alors que je la connaissais en théorie. J’ai « lissé » ma présentation des risques : dans les conférences ou les articles, je ne citais même plus les pandémies, parce qu’elles font très peur. Le piège serait de considérer cette crise comme uniquement sanitaire. C’est une crise globale, systémique. Si la finance s’effondre, provoque des politiques autoritaires ou identitaires, cela pourrait déboucher sur des guerres, des maladies et des famines, qui, elles, interagissent en boucle. Les catastrophes sont désormais la réalité de la génération présente : nous en vivrons de plus en plus tout au long du siècle. Reste que le confinement est une expérience très intéressante de renoncement : on renonce aux transports, aux voyages, etc. Dans quels cas est-ce désagréable ou agréable ? Quand le déconfinement viendra, on aura goûté à ce qui était vraiment essentiel. Les questions de vie ou de mort nous amènent à une certaine sagesse. Cela nous apprend l’auto-limitation et l’humilité, ce qui est capital pour la suite. Il faut retrouver de l’autonomie à toutes les échelles (individuelle, locale, nationale). Bref, des principes inverses au monde actuel, globalisé, technicisé et libéral… »
D’accord avec les idées de ces intervenants; tous ont trouvé « la faille » qui n’est autre que la « mondialisation » !!! Je vilipende celle-ci depuis de longues années; j’étais contre tous ces traités faits avec des « collaborateurs » lointains; car plus loin ils étaient, plus les coûts de transports, en plus de ce qu’ils représentent en énergies fossiles, sont devenus énormes, voire incompréhensibles ! Comment vouloir toujours plus, plus loin, plus rentable, avec des terres cultivées à outrance, avec des moyens de transports de plus en plus gros, et… néanmoins plus rentables eu égard au pays où l’on fabrique tous ces produits échangés dans le monde, avec une prédominance de la Chine, qui ceci dit n’a jamais eu de grands scrupules à nous fourguer des objets, médicaments, ou aliments impropres à la santé ? Nous voyons la fin de ce système et ça c’est positif ! Bien à vous. Al.
« »Pablo Servigne : « La pandémie montre l’extrême vulnérabilité de nos sociétés, leur degré d’interconnexion, de dépendances et d’instabilité. » »
Bah oui ! Mais c’est normal que la plupart des individus recherche à tout prix à restaurer le monde d’avant, à coup de renflouements, d’hélicoptères de monnaie, de quantitative easing, etc… puisque nous sommes tous devenus trop dépendants des industries, tous les savoirs-faire sont oubliés de la mémoire collective puisque nous sommes habitués à déléguer toutes nos tâches aux robots…. Plus personne ne sait tisser, ou au mieux raccommoder avec une machine à couture pour les vêtements … L’alimentation, quasiment plus personne ne cuisine sans ouvrir de boîtes de conserve ou de sous-vide, y compris les restaurants…. Les voitures, il n’y a plus beaucoup d’hommes qui les réparent, les véhicules sont devenus trop lourds et il faut du matériel spécifique pour les réparer en passant chez le garagiste… Il n’y a plus de menuisiers, que des meubles en aggloméré monté en 2 minutes à la façon IKea…..Bref, c’est comme ça pour tout…. Mais dès lors que le système financier flageole pour que l’on puisse continuer d’acheter tous ces biens et services jetables, et ben les gens sont pommés…. Puis si les robots ne suivent plus non plus faute d’énergie, et qui représente la future grosse crise, et ben les gens seront tout autant pommés…. Comme disait JM Jancovici, un monde sans énergie fossile, c’est un monde où l’on ne divorce plus…. Actuellement; si les hommes peuvent se passer de femmes pour vivre au quotidien, et réciproquement si les femmes peuvent se passer d’hommes pour vivre au quotidien, c’est parce que toutes les tâches qu’on déléguait à l’autre ont été substituées par des machines…… Ca devait être compliqué de vivre en célibataire sans énergies fossiles et sans robots…
Certes, on peut toujours dire que ces 4 analyses (5 avec celle de Nicolas Hulot et 6 avec celle de Didier Barthès) sont justes. Nous voilà bien avancés.
Rony Brauman voit et craint ce monde où nous serions tous surveillés, où il n’y aurait plus aucune confiance. Serge Morand pointe l’hypermobilité. Jane Goodall nous fait part de son espoir et adresse une prière, à je ne sais qui («Faites que … »). De son côté Pablo Servigne est plutôt optimiste, il reste fidèle à sa philosophie («Quand le déconfinement viendra, on aura goûté à ce qui était vraiment essentiel. Les questions de vie ou de mort nous amènent à une certaine sagesse»). Mouai… pour moi le flicage et l’embrouille ne font pas partie de l’Essentiel.
Quant à l’optimisme de Nicolas Hulot, nous savons depuis longtemps qu’il précède toujours une période de dépression. Autrement dit qu’il est cyclique, et en même temps d’une naïveté enfantine («J’espère que cette crise va éveiller les esprits, y compris d’Emmanuel Macron.» En attendant une chose est certaine, Macron peut toujours compter sur Nicolas pour se faire expliquer ce que des fois il n’aurait pas compris.
Finalement je partage l’analyse de Didier Barthès.
Xi Jinping, leader le la république démocratique chinoise, devant le comité central du PCC fin avril : « L’environnement est de plus en plus sévère et complexe »
Nicolas Hulot : Avec la crise climatique, on a un scénario catastrophe, mais pour y faire face, on n’est pas au quart des solutions que l’on a prises contre le coronavirus. Cette crise actuelle rend recevable des propositions qui semblaient totalement inatteignables jusqu’à présent. Donc, c’est le moment de débattre des productions faites au bout du monde, ou encore de la revalorisation de tous les métiers vitaux. On doit générer un changement d’état d’esprit ; si demain le temps des procureurs l’emporte sur le temps des éclaireurs, on ira dans le mur. Se projeter pour la présidentielle 2022 peut créer de la confusion au moment où l’on a besoin d’unité. Quand on voit que le Sénat n’a qu’une vocation, celle de déliter ce que l’Assemblée a fait, il apparaît urgent de sortir de ces petits jeux mortels. Chacun doit contribuer à un horizon commun. Essayons de ne pas reproduire ce que l’on a fait après la crise financière de 2008 avec la planche à billets ; une grande part de l’argent est partie dans l’économie spéculative, sans conditions. L’Etat doit être clair en demandant des contreparties concrètes. Pour cela, il faudra de la concertation et une planification générale, où l’on fixera des objectifs. dont certains peuvent être à un an, à dix ans… Mais il faut faire en sorte qu’aucun acteur ne s’imagine que cela puisse être réversible. Cela ne se fait pas sur les plateaux de télévision.
Le monde d’après sera radicalement différent de celui d’aujourd’hui, et il le sera de gré ou de force. On ne pourra plus prendre l’avion comme avant, plus non plus avoir un produit qui arrive par Amazon du bout du monde en vingt-quatre heures. Pourra-t-on, acheter des bolides ou des SUV, j’espère que non. Trouvera-t-on des produits alimentaires hors saison dans les magasins ? Non. Il faut se fixer des limites dans les revenus, dans la cupidité. Rapidement, il faudra que l’offre et la consommation changent. Il va falloir distinguer le toxique du vertueux. Nous sommes dans une situation radicale, je ne m’accommoderai pas de mesures qui ne soient pas radicales. Cela ne servirait à rien.
On ne peut pas interdire aux gens d’évoluer. On vient de se prendre une énorme claque, beaucoup de responsables politiques me disent avoir compris que notre modèle n’est plus tenable, qu’on a atteint une rupture physique… J’espère que cette crise va éveiller les esprits, y compris d’Emmanuel Macron.
Comment les justes analyses présentées ici pourront-elles se traduire en changements de directions ?
Car finalement, les contraintes qui nous empêchent de changer sont aujourd’hui toutes aussi fortes qu’hier. Nous ne pouvons pas briser l’économie sans dommages effroyables à nos sociétés et à chacun d’entre nous et nous ne pouvons poursuivre la trajectoire actuelle sans dommages tout aussi effroyables à plus ou moins long terme (pour la nature les dommages sont déjà faits).
Reste une évolution pas trop rapide mais pas trop lente non plus et acceptable par la majorité et l’honnêteté m’oblige à dire que je n’arrive pas à l’imaginer tant la contradiction est forte. On l’a vu quand on a voulu augmenter de presque rien le prix de l’essence ce qui était pourtant nécessaire bien que très insuffisant.
Dans un monde où il y a plus de 60 % de prélèvements obligatoires, tout écroulement de l’économie productive revient à saper les ressources de l’économie sociale.
En voulant nous protéger nous nous sommes rendus fragiles et dépendants. Oui aujourd’hui les probabilités me semblent donner raison aux collaspsologues, les contraintes risquent de se résoudre par l’écroulement, la dure confrontation de l’humanité aux limites physiques de son habitat.