Air France est incompatible avec les enjeux écologiques. Or notre monde organisé est peuplé de milliers d’organisations similaires, c’est-à-dire d’entités qui ont fait proliférer des réseaux de dépendance offrant, dès lors, très peu de prises au politique. Nous ne pouvons pas imaginer la fermeture d’Air France comme nous ne pouvons pas imaginer la fermeture d’une compagnie pétrolière, d’une entreprise de croisière ou d’une société qui promet des voyages spatiaux. La compagnie pétrolière est encore plus essentielle qu’Air France pour faire tourner nos économies sous perfusion aux énergies fossiles. L’entreprise de croisière offre des milliers d’emplois et des vacances bon marché à des cohortes de classes moyennes du monde entier. Les voyages spatiaux, du point de vue de la construction de nouvelles mythologies cherchant à forcer le possible, ne sont pas mal non plus ! Cette impossibilité nous dit beaucoup de cette incapacité du management à penser autrement que par la continuité. Pourtant l’avion, comme milles autres réalités de notre héritage industriel, est une « technologie zombie » à cause de sa dépendance à des énergies fossiles. Pour assurer notre mode de vie à l’occidentale, nous dépendons d’organisations qui sont elles-mêmes dépendante d’une source d’énergie en voie d’épuisement et source de réchauffement climatique. Comment résoudre cette contradiction ?
Actuellement les formations MBA (Master of Business Administration) abordent les problèmes écologiques sous l’angle de l’économie. Les concepts mobilisés (développement durable, compensation, RSE, externalités, capital naturel…) renvoient à une conception soumise au « business as usual ». Les business schools ont une faculté extraordinaire à détourner tout ce qui pourrait contraindre la croissance du profit : faire de l’éthique une « éthique des affaires » ; faire de la pauvreté dans le monde un secteur d’« opportunités » ; une innovation intensive pour résorber le CO2 , le géo-entrepreneuriat ; créer des start-up en intelligence artificielle pour sauver les glaciers des Alpes… Or ces écoles de gestion ont un atout essentiel face à l’urgence écologique, elles sont en prise directe avec les firmes multinationales et les infrastructures technologiques qui ont été à la racine du développement industriel responsable de l’explosion des émissions de CO2 depuis plus d’un siècle. Elles doivent désormais former à la « redirection écologique », s’inscrire non plus dans le paradigme du développement durable, mais dans celui d’une « transition anthropocénique ».
Un protocole de redirection écologique consiste à imaginer la fin de ces entreprises pour des raisons d’urgence écologique. Il ne s’agit plus de maintenir en vie coûte que coûte, mais de penser le protocole de soin dans l’accompagnement d’une fermeture d’entreprise qui ne soit pas une faillite brutale. Le projet de décroissance va devenir le principal sujet des écoles de management. La redirection écologique offre aussi un nouvel horizon d’intervention aux pouvoirs publics, accompagner lucidement la fermeture d’organisations incapables d’envisager autre chose que la persévérance coûte que coûte dans leur être. En d’autres termes, il faut organiser la rupture avec le système thermo-industriel. Cela ne se fera pas en manifestant dans la rue.
NB : article librement composé à partir de la matière donnée au MONDE par des enseignants-chercheurs qui pilotent le projet « Closing Worlds Initiative »
Jusqu’à il y a une soixantaine d’années, l’enseignement des humanités était au cœur de la formation traditionnelle des élites (des meilleurs). Aujourd’hui les savoirs de nos cadors de cirque s’apprennent dans ces «grandes» écoles où professent les professeurs Shadoko. La (dé)formation à la maîtrise des affaires consiste à intégrer quelques lois résumées par de célèbres devises : «Plus ça rate et plus on a de chances que ça marche ; Pour qu’il y ait le moins de mécontents possibles il faut toujours taper sur les mêmes ; Quand on ne sait pas où on va il faut y aller, et le plus vite possible.» Une seule direction : Business as usual !
Ces programmes MBA sont apparus en Europe dans les années 1960, ils nous viennent comme par hasard des USA.