Dans la décroissance démographique que nous soutenons, la droite décèle une campagne en faveur d’avortements massifs, de promotion de l’homosexualité et d’abandon du patriotisme. La gauche nous soupçonne d’attaquer les droits humains, de fuir le problème du financement des retraites, voire de prêcher l’eugénisme ou le racisme. D’une façon générale, la question est taboue ou considérée comme mal posée : l’information, la croissance et la technologie résoudront les éventuels problèmes démographiques. Quant aux organisations écologistes, associatives ou politiques, elles résolvent la question en ne se la posant pas, alors que l’écologie des populations est une discipline importante de l’écologie scientifique.
Un exemple vécu illustre ce non-pensé et ce non-dit. Au cours du premier semestre 2013, j’ai participé aux réunions du Conseil national du Débat sur la Transition énergétique (CNDTE, environ 120 personnes) et à celles de son groupe de travail « Sobriété – Efficacité » (environ 40 personnes) représentant les « forces vives » de la France que sont les syndicats de salariés, les employeurs, les ONG environnementales, les associations sociales, les élus locaux, les parlementaires et l’État. Notre groupe de travail était chargé d’examiner tous les aspects d’une politique énergétique sobre et efficace, dans les domaines de l’habitat, de la mobilité, de l’industrie, de l’agriculture et de l’électricité spécifique. Nous devions étudier, analyser, débattre et, bien sûr, proposer des orientations, rédiger des mesures. Plus d’une centaine de ses mesures furent mises sur la table, en provenance de tous les acteurs présents. Toutes furent d’ordre technique, tels des amendements à un projet de loi. Lors d’une des premières réunions du groupe de travail, j’ai tenté, en vain, de placer notre réflexion collective dans un cadre qui prenne en compte les facteurs les plus directs de la consommation d’énergie. Plus précisément, j’ai évoqué l’équation I = PAT, que l’on peut interpréter ainsi dans le domaine de l’énergie : « I » est l’impact des activités humaines sur l’environnement, en l’occurrence la consommation totale d’énergie, « P » représente la population du territoire examiné (le monde, la France…), « A » est la variable « affluence », c’est-à-dire la consommation moyenne d’énergie par personne, et « T » représente l’intensité énergétique de la production de biens et de services pour l’affluence. Bien entendu, des améliorations technologiques de l’efficacité énergétique peuvent réduire l’intensité énergétique représentée par le facteur « T » dans la multiplication qui constitue le second membre de l’équation I = PxAxT. Mais pourquoi se restreindre à ce seul facteur dans une réflexion politique d’ensemble sur l’énergie ? Le Président Hollande lui-même n’affirmait-il pas : « La transition que je vous propose d’engager, n’est pas un programme, n’est pas non plus un choix politique partisan, c’est un projet de société, c’est un modèle de développement, c’est une conception du monde » (14 septembre 2012). A un tel niveau d’ambition, nous nous devions d’être intrépides, de ne pas nous cantonner à la technique (T). Certes, quelques mesures relevant de l’affluence (A) – c’est-à-dire du mode de vie, de la « richesse » – furent envisagées : l’abaissement des vitesses maximales autorisées sur route et en ville, ou bien l’établissement de la semaine de quatre jours de travail. Mais, considérées comme trop audacieuses, elles furent rejetées. Quant au facteur « P » comme population, il ne fut plus question d’en parler.
« Quel type de monde voulons-nous ? » est la question finale souvent posée à l’issue d’un débat autour d’un grand problème. En tant qu’homme politique, je devrais être conduit à dresser un constat et à esquisser une solution. Le constat ? Tous les écologues qui ont travaillé la question des relations démographie/environnement parviennent plus ou moins à la même conclusion : si nous souhaitons que l’immense majorité de la population mondiale bénéficie d’un style de vie comparable à celui d’un Européen moyen de 2010, le nombre de cette population se situerait autour d’un milliard. A la condition supplémentaire que ce style de vie devienne rapidement beaucoup plus économe en consommation d’énergie et de matières premières, et beaucoup plus fondé sur les énergies renouvelables et le recyclage. La solution ? Qu’une extraordinaire mobilisation internationale soit décidée et mise en œuvre dans un sommet onusien avec ce double objectif : réduire massivement la population mondiale par un programme d’information et de formation au planning familial (comme le fait avec succès le Brésil depuis dix ans) et réaliser une transition énergétique drastique par la sobriété, l’efficacité et les énergies renouvelables. Cependant, si l’on observe que le sommet climatique de Copenhague (décembre 2009) détruisit le mince espoir que représentait le Protocole de Kyoto, et que le sommet de la Terre, dit « Rio+20 » (juin 2012), n’a pas abordé la question démographique, on ne peut qu’être sceptique sur la plausibilité de cette « solution ».
Néanmoins, cette « solution » a été proposée par des ONG à la Conférence internationale de Leeds (UK) en juin 2010. Lucidement, ces ONG ont constaté que « la croissance démographique indéfinie étant physiquement impossible, elle doit s’arrêter à un moment donné : soit tôt par la réduction du nombre de naissances via la contraception et une politique démographique humaine ; soit plus tard par plus de morts par la famine, la maladie, la guerre et l’effondrement de l’environnement ; ou par une combinaison de ces deux perspectives ». Et elles proposent de :
« – Soutenir, financer ou assurer l’accès universel à l’information et aux services de planning familial dans le monde entier, comme convenu lors de la Conférence du Caire de 1994 et dans l’objectif 5 du Millénaire pour 2012,
– Soutenir, financer ou assurer l’éducation et l’autonomisation des femmes, en leur permettant de contrôler leur propre fécondité,
– Adopter des politiques non coercitives cherchant à stabiliser ou à réduire les populations à des niveaux soutenables, y compris la planification d’une population vieillissante,
– Prendre des mesures fermes, surtout dans les pays industrialisés, afin de promouvoir la réduction de l’épuisement des ressources par habitant et la dégradation de l’environnement ».
Vive cette démographie responsable !
Préface du livre « Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie) » (2014)
La croissance démographique ne me semble pas être la menaces la plus pressantes. Mais, c’est un enjeu important. Un tentative de réponse: je propose d’ajouter au P de I=PAT deux autres paramètres sur les dommages : géographique (local, régional et global) et magnitude (réversible, récupérable ou irréversible, irrécupérable). En gros, la moitié de la population mondiale n’est pas intégrée à la société thermo-industrielle. Ses dommages sont plutôt locaux/régionaux, réversibles/réparables – comparés aux 10 % les plus riches, globaux et irréversibles. Principal dommage des non-intégrés : perte de biodiversité.
Différencier, également, la part de la déforestation et des incendies dus à la population non intégrée, de la part destinée à la production d’aliments, notamment pour animaux. Intégrer également le rendement des chaînes trophiques, c’est-à-dire, le passage de biomasse végétale à biomasse animale.
Que penser de cette « solution » proposée par des ONG à la Conférence internationale de Leeds en juin 2010 ? Plus exactement de ces 4 propositions que Cochet détaille à la fin de cette préface.
Déjà les deux premières n’en font qu’une. « Soutenir, financer ou assurer l’accès universel à l’information et aux services de planning familial dans le monde entier [etc.]» Là dessus tout le monde devrait être d’accord. Sauf bien sûr ceux qui pensent qu’il faut laisser les pauvres dans leur misère. Soutenir et financer, aider (avec ou sans guillemets), c’est d’ailleurs ce qu’on fait depuis longtemps et pas spécialement pour s’attaquer à ce seul problème. Et c’est ainsi en effet qu’on enregistre une baisse du taux de fécondité. Alors on pourrait effectivement mettre là plus de moyens et d’argent. Mais on sait bien que ça ne suffit pas.
Et les deux autres propositions, avec «des politiques non coercitives» d’un côté et «des mesures fermes» de l’autre ? Si c’est pour dire qu’il faut laisser aux gens la LIBERTÉ de faire des enfants, même autant qu’ils en veulent, parce que ça ce n’est pas discutable… mais par contre qu’il faut INTERDIRE certaines choses, «surtout dans les pays industrialisés»… autant alors le dire comme ça. Bien sûr il faudra être plus précis. En n’essayant surtout pas de nous enfumer en jouant sur les mots.
La «planification d’une population vieillissante» c’est quoi ? Serait-ce l’équivalent du Planning Familial, qui au lieu de prôner la Pilule prônerait le Pentobarbital ?
Des «niveaux soutenables» ? Soutenable pour qui et pour quoi ? Serait-ce comme cette «utilité commune» dans l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme, ou alors comme cette «utilité publique» et cette «raison d’Etat» qui servent à justifier n’importe quoi ?
– « Quel type de monde voulons-nous ? » est la question finale souvent posée à l’issue d’un débat autour d’un grand problème (Yves Cochet)
Et encore heureux, qu’on se la pose ! Hélas force est de constater, là encore, la façon dont la question est traitée. Pourtant on ne peut pas dire là que celle là est mal posée.
Un monde où nous aurions une chose et (en même temps) son contraire, où il n’y aurait plus aucune limite, où les lois de la nature (physique etc.) n’existeraient plus, un monde de supermans et de bisounours, un monde où les YAKA-FAUCON règleraient tous les problèmes… tout ça laissons tomber.
Alors un autre type de monde… un monde (enfin) débarrassé de l’espèce humaine !? Un monde où l’air serait pur et l’herbe verte, dans lequel les lions et les baleines seraient les rois du monde etc. Si c’est ça que nous voulons, que certains veulent… alors il faut le dire clairement. Et arrêter l’hypocrisie.
– « L’antinatalisme est le point de vue selon lequel nous devrions cesser de procréer – qu’il est mauvais d’avoir des enfants. Plusieurs routes mènent à cette conclusion […] Il est important de souligner que l’antinatalisme, bien qu’encourageant l’extinction humaine [etc.] » (Pr. David Benatar dans «La philosophie de l’antinatalisme»)
– « Cette définition est orientée, aucun antinataliste ne décrète qu’il est mauvais d’avoir des enfants et qu’il faut donc cesser d’en avoir, mais seulement qu’il est dangereux pour la paix sociale et l’état de la planète d’avoir trop d’enfants. » (Michel Sourrouille 25 juillet 2021 à 21 :50)
Encore heureux que tous les antinatalistes autoproclamés n’en soient pas encore à souhaiter que l’humanité disparaisse au plus vite (bon débarras !) Et si tout ça n’est pas clair dans leur tête c’est leur problème. De mon côté je souhaite que notre espèce puisse évoluer encore longtemps.
C’est pour ça que je pose la question un peu différemment : Quel type de monde voulons-nous, pour nos enfants ?
Si c’est un monde de robots, de zombies décérébrés, d’esclaves au service d’une certaine «élite», un monde du type de ceux qu’ont très bien décrit Orwell, Harrison et d’autres … si c’est vraiment ça que nous voulons, pour nos enfants… alors ne changeons surtout rien.
– « D’une façon générale la question est taboue ou considérée comme mal posée » (Y. Cochet)
La rengaine. Pour commencer je propose d’en finir du Tabou. Cette question est tellement taboue qu’elle revient systématiquement quand on parle d’écologie. Pas un forum, une discussion, sans que cette question soit mise sur la table : « De toute façon on est trop nombreux […] T’es gentil mais va déjà dire aux indiens de faire moins d’enfants, après je ferai peut-être des efforts », l’équation de Kaya etc.
Cette histoire de tabou est une invention, une fable, un stratagème, dont le but est de discréditer l’adversaire. D’un point de vue malthusien le monde se divise en 2 catégories, d’un côté les Malthusiens (Anti-natalistes, Dénatalistes) et de l’autre les Anti-Malthusiens (natalistes), choisis ton camp camarade ! Laisser entendre que l’adversaire est coincé de ce côté là, qu’il refuse d’en parler, suffit pour marquer quelques points.
Au lieu de dire que le sujet est tabou, je propose qu’on dise qu’il est DÉLICAT. Tout simplement.
Cochet évoque une autre possibilité (ou). La question est alors considérée comme mal posée (je cite). Il ne dit pas qu’elle est mal posée, il dit qu’elle est CONSIDÉRÉE comme mal posée, nuance ! Ce qui là encore laisse entendre que celui qui considère (celui qui juge, qui pense, qui discute) n’a pas les yeux en face des trous et les neurones à la bonne place. Là encore je regrette, pour moi la question démographique EST effectivement et tout simplement, MAL POSÉE.
Une question mal posée signifie un faux problème. Je ne suis pas le seul à le dire et à le soutenir. Sur n’importe quel moteur de recherche il suffit de taper « faux problème de la population mondiale ».
– « Par l’expression imparfaite « faux problème », nous désignons un problème mal posé et conduisant, de ce fait, à des conclusions erronées ou inutilisables. Mal posé un problème ne peut être résolu. C’est le cas du « problème de la population mondiale », tel qu’il est posé par certains auteurs [etc.] » (Alfred Sauvy en 1949, sur persee.fr)
Plus de 70 ans qu’on se bouffe le nez sur ce faux problème !
Et pour quel résultat, hein ? Comme si, en attendant, nous n’avions pas assez de vrais problèmes comme ça !
– « S‘il y a quelque chose qui est éternel, c’est les faux problèmes » (Pierre Bourdieu)
– « S‘il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème » (Pr. Shadoko)