Lancement d’une nouvelle revue « Mondes en décroissance ». Voici un extrait du contenu, une compilation des réponses en 2023 de Dennis Meadows à 21 des questions les plus récurrentes sur le rapport « Les limites de la croissance », publié en 1972. En voici l’essentiel, que nous avons centré sur la question démographique.
Dennis MEADOWS : Plusieurs études récentes et indépendantes ont montré que l’un de nos scénarios, la figure 35 du livre de 1972, suit raisonnablement bien les données historiques de 1970 à 2010. Ce scénario est reproduit ci-dessous sous forme de figure.
Si nous acceptons qu’une petite fraction de la population contrôle la plupart des richesses de la planète et exerce un contrôle central sur la majeure partie de l’humanité, qui vit dans la pauvreté matérielle, avec une mauvaise santé et peu de liberté, plusieurs milliards de personnes pourraient probablement survivre sur Terre plus ou moins indéfiniment. Si, au contraire, nous voulons que les peuples de la Terre vivent longtemps et en bonne santé, avec une relative aisance matérielle, une bonne santé et une liberté substantielle, et avec une équité en matière de bien-être et de pouvoir politique, le niveau de population durable sera certainement bien inférieur aux chiffres actuels.
Je crois intuitivement que la planète Terre pourrait faire vivre durablement peut-être un milliard de personnes avec des niveaux de vie comme ceux de l’Italie aujourd’hui. Quel que soit le meilleur chiffre pour le niveau de population durable aujourd’hui, il diminue rapidement car les progrès technologiques ne parviennent pas à compenser les conséquences de la consommation accélérée de l’humanité et de la détérioration des ressources de la planète.
La population mondiale diminuera, que nous nous efforcions ou non d’atteindre ce résultat. Si elle n’est pas réduite par une intervention sociale proactive, elle le sera par les forces écologiques. Une action délibérée est requise de notre part uniquement si nous aspirons à ce que le déclin soit pacifique, équitable et progressif.
Toute population ne diminue que lorsque son taux de mortalité dépasse son taux de natalité. L’émigration peut réduire les niveaux de population dans certaines nations, mais elle n’est évidemment pas pertinente pour l’ensemble du globe. Réduire le taux de mortalité est un objectif universellement reconnu. Par conséquent, la seule option réaliste et proactive pour réduire la population consiste à réduire le taux de natalité en diminuant considérablement la fécondité. La fécondité mondiale diminue déjà lentement. Cependant, la population continue d’augmenter et la consommation matérielle est déjà bien, bien au- dessus des niveaux durables alors que la capacité de charge de la planète est en chute libre. Sans un effort urgent pour accélérer la baisse de la fécondité, combiné à une redistribution des richesses pour aider les populations les plus pauvres à traverser la période de dépassement du pic, je pense que le taux de mortalité augmentera dans les prochaines décennies pour rétablir une sorte d’équilibre écologique.
Tout au long de l’histoire, il y a eu trois façons d’augmenter le taux de mortalité : la famine, la peste et la guerre. La plupart des gens ne considèrent aucune de ces mesures comme attrayantes. Cependant, c’est le choix implicite lorsque des intérêts politiques, économiques et religieux acquis bloquent avec succès tout effort systématique visant à réduire considérablement la fécondité dans le monde.
Préconisez-vous d’imposer des politiques de contrôle de la population aux pays pauvres ?
Certaines personnes ont tenté d’utiliser notre rapport pour justifier de telles politiques. Nous ne l’avons jamais fait. Les politiques coercitives semblent, en tout état de cause, être relativement inefficaces à long terme.
Notre modèle incluait de nombreuses influences sur la fécondité, telles que la santé, le niveau de revenu et la disponibilité de mesures modernes de contrôle des naissances. Nous avons conclu que le simple fait de donner aux femmes le droit de décider de la taille souhaitée de leur famille et de contrôler leur propre fécondité, lorsqu’il est combiné à des mesures pour améliorer l’équité, l’éducation et le bien-être matériel produirait les résultats mondiaux les plus intéressants.
Les nations industrialisées d’aujourd’hui ont utilisé leur pouvoir politique, économique et militaire pour maintenir leurs privilèges. Je considère cela comme contraire à l’éthique et non durable. Mais rien dans mon jugement ne modifie les lois qui régissent les processus physiques et biologiques de la planète. Que cela vous plaise ou non, ces lois suggèrent que la population mondiale entre dans une phase qui verra le nombre d’habitants diminuer et la consommation matérielle moyenne baisser. Bien sûr, les riches et les puissants s’efforceront de conserver ce qu’ils ont. Dans la mesure où ils y parviendront, le fossé entre riches et pauvres se creusera encore davantage.
Recommandez-vous aux jeunes adultes d’avoir des enfants ?
La décision de mettre des enfants au monde a de nombreuses conséquences importantes pour les autres. Elle influe sur la consommation de nourriture, d’énergie et de matériaux et augmente la demande de logements et de services. Elle a également une influence considérable sur la vie des parents potentiels, en raison des exigences en matière de temps et d’argent qui découleront de leur désir naturel de subvenir aux besoins de leurs enfants.
Ma femme Donella et moi avons choisi de ne pas avoir d’enfants pour la deuxième raison. Nous aimions travailler ensemble, et nous savions que la responsabilité parentale rendrait cela beaucoup plus difficile. Cependant, la décision d’être parent est très personnelle. Je n’ai jamais imaginé que ma décision serait nécessairement appropriée pour les autres.
J’ai toujours recommandé aux personnes qui se posent la question d’avoir ou non des enfants de fonder leur décision sur les conséquences personnelles attendues plutôt que sur d’éventuelles conséquences sociétales.
Mais je me demande pourquoi la cohorte mondiale qui se trouve être en vie aujourd’hui, qui n’est qu’une des 15 000 générations que notre espèce a produites sur cette Terre, croit implicitement qu’elle seule a le droit moral d’épuiser toute l’énergie et les matériaux de haute qualité de la planète et d’endommager son environnement, laissant moins aux générations futures.
– » Je crois intuitivement que la planète Terre pourrait faire vivre durablement peut-être un milliard de personnes avec des niveaux de vie comme ceux de l’Italie aujourd’hui. Quel que soit le meilleur chiffre [etc. etc.] »
L’intuition est certes intéressante mais elle reste un mystère. Alors 1 milliard… En tous cas Meadows ne cache pas qu’il n’en sait rien. Ce qu’il dit ensuite rejoint mon histoire du dernier homme trônant fièrement sur une montagne de déchets et de cadavres.
– » Les politiques coercitives semblent, en tout état de cause, être relativement inefficaces à long terme. […] Que cela vous plaise ou non, ces lois suggèrent que la population mondiale entre dans une phase qui verra le nombre d’habitants diminuer et la consommation matérielle moyenne baisser […]
Là encore c’est ce que je ne cesse de dire. Donc patience !
Et en attendant, appliquons-nous à tenter de sauver l’Essentiel.
En réponse au POURQUOI final de Meadows.
Au niveau de notre petite planète, flottant dans l’univers, il se trouve que ça tombe sur nous. Et aujourd’hui sur notre génération. C’est peut être con mais c’est comme ça. Pour ceux qui se lamentent, qui ne voient là qu’une catastrophe, pas de bol. D’autres peuvent y voir une chance, un tournant etc. Question de point de vue.
Quant à ce « droit moral » dont Meadows nous accuse, celui de tout saloper, je ne crois pas qu’il soit propre à notre temps. Certes cette tare (c’est une) n’a jamais été aussi répandue, donc jamais aussi grave, mais je doute qu’elle n’existait pas déjà dans le passé. Si cette théorie qui plait tant à certains écolos est vraie, je doute alors que les Pascuans de l’époque valaient mieux que nous. Quoi qu’il en soit nous ne serons pas la première civilisation à disparaître. Espérons déjà que nous ne serons pas la dernière, et que le Sapiens du futur aura bien évolué.