La controverse sur la décroissance démographique remonte en France à 1972, avec la discussion autour de la lettre de Mansholt. Voici quelques éléments historiques pour te faire une opinion personnelle.
9 février 1972, La lettre de Sicco Mansholt au président de la Commission européenne
« Très graves sont les 5 problèmes qui vont bientôt se poser à nous. Lorsque je dis « nous », je ne pense pas seulement à l’Europe, mais à l’humanité tout entière. Cinq facteurs sont les grands déterminants de l’avenir de l’humanité : l’évolution démographique dans le monde, la production alimentaire, l’industrialisation, la pollution, l’utilisation des ressources naturelles. Je me limite à ces points notamment parce qu’ils constituent la base du rapport du System Dynamics Group du Massachusetts Institute of Technology (Cambridge, juillet 1971)… Le problème clé est celui de l’évolution démographique. C’est surtout dans les pays en développement que la natalité prend des proportions angoissantes, mais l’Occident industriel ne pourra pas non plus échapper à la nécessité de contrôler la natalité. Si rien n’est entrepris, la population mondiale va doubler en trente ans, pour passer de trois milliards et demi à 7 milliards d’habitants en l’an 2000 (ndlr : 6,113 milliard constaté en 2000, 8 milliards en 2022). Même si nous obtenions que la « famille de remplacement » devienne la norme dans une trentaine d’années, la population augmenterait néanmoins en milliards. Cela s’explique entre autres par le fait que, dans les pays en voie de développement, 45 % environ de la population est âgée de moins de 15 ans. Il est vraisemblable qu’une population de 6 milliards dépasserait les possibilités de ce qui peut être considéré comme un niveau d’approvisionnement raisonnable. En tout cas, il est plus que souhaitable d’arriver à la longue à stabiliser la démographie. Il nous incombe d’indiquer les éléments économiques qui peuvent contribuer à promouvoir la limitation des naissances. A cet égard, on peut penser à la politique fiscale et à la suppression des aides sociales aux familles nombreuses. »
5 avril 1971, Georges Marchais (L’humanité) : « Il existe donc, au sein de la plus haute instance du Marché commun, un plan visant à provoquer délibérément un net recul du bien-être des habitants de la nouvelle Communauté des Dix. Le président de la Commission de Bruxelles commence par dresser un véritable constat de faillite. S’appuyant sur des extrapolations statistiques d’origine américaine, il prétend que le « problème-clé » serait le suivant : il y a trop de bouches à nourrir et ces bouches consomment trop. Partant de là, M. Mansholt explique que la seule solution réside dans une politique malthusienne à outrance… L’Europe de la misère et de la régression économique, voilà le programme, noir sur blanc, du héraut du Marché commun ! »
12 juin 1972, « Le chemin du bonheur » (Le Nouvel Observateur, n° 396)
Sicco Mansholt lors d’une interview : « Je sais ce que c’est que la terre. Je sais par expérience qu’elle s’épuise vite, ou plutôt qu’on l’épuise de manière insensée. Quand j’étais agriculteur, j’ai utilisé comme tout le monde des insecticides, des pesticides, des produits chimiques, des engrais de toute sorte. Comment faire autrement ? Tous les agriculteurs savent à quel point ces produits sont néfastes. Allez donc dans une coopérative agricole : là, vous pourrez acheter, par kilos, de quoi tuer tout un village. Et c’est cela qu’on utilise pour la terre ! Je pensais alors qu’il était possible de résoudre le problème de la malnutrition par des mesures disons marginales d’adaptation. Le choc, car j’ai reçu un choc, c’est vrai – est venu lorsque j’ai lu le rapport du System Dynamics Group (MIT) de Cambridge. Cela a été pour moi une révélation terrible. J’ai compris qu’il était impossible de s’en tirer par des adaptations : c’est l’ensemble de notre système qu’il faut revoir, sa philosophie qu’il faut radicalement changer… Prenons par exemple l’accroissement démographique, qui est déterminant : nous sommes 3,7 milliards d’homme environ. Dans trente ans, nous serons au moins 7 milliards parce que 45 % de la population mondiale a aujourd’hui moins de 15 ans. Est-ce que ce sera supportable ? A mon avis, ça ne l’est déjà plus en 1972, en Inde, au Moyen Orient, en Amérique du Sud, partout où on est très pauvre. La preuve, c’est qu’on compte chaque année environ 40 millions de morts imputables à la malnutrition, ou simplement la famine, dans les pays sous-développés. J’ai fait un calcul très simple : si nous voulons que toute la population du globe jouisse d’un niveau de vie comparable à celui que nous avons en Occident, étant donné le revenu mondial global, savez-vous à quel chiffre elle devrait s’abaisser ? A 1 milliard d’individus. Vous voyez que nous sommes loin du compte avec nos 3,5 milliards. Alors dans trente ans, quand nous aurons le double !
En dehors de tout argument de solidarité, on peut rétorquer que chaque Occidental utilise 25 fois plus d’énergie et de matières premières que les habitant des pays pauvres. La différence de croissance démographique n’est-elle pas largement compensée par cette consommation inégale des ressources mondiales ? Pour être logique avec lui-même, si un pays refuse de diminuer ou de stabiliser sa population parce c’est aux autres, plus nombreux de le faire, il doit au moins, en contrepartie, accepter d’abaisser sa propre consommation au niveau des « autres ». Or les pays riches, au contraire, veulent, en plus, une croissance économique continue…
Josette Alia : Une dernière question : que diriez-vous à un garçon ou à une fille de 20 ans si vous deviez les conseiller sur l’orientation à donner à leur vie ?
Mansholt : De ne pas avoir trop d’enfants – deux au maximum. De ne pas vivre comme un ermite, encore moins comme un saint. D’aimer la vie, le théâtre, les arts. De préserver l’avenir des générations futures en ne gâchant ni le sol, ni l’eau, ni les ressources naturelles qui leur feront un jour défaut.
Avril 2023, Dominique Méda (introduction du fascicule « la lettre MANSHOLT 1972 ») : Réglons avant d’aller plus loin une question essentielle qui concerne un des points clés du programme de Mansholt et du rapport « Les limites à la croissance » : la question démographique. Sicco Mansholt reprend à son compte l’idée selon laquelle « Le problème clé est celui de l’évolution démographique », tout en reconnaissant que les habitants des pays industrialisés consomment beaucoup plus et dégradent bien davantage l’environnement que ceux des pays pauvres. Il faut donc « stabiliser la population mondiale ». Cette prise de position a beaucoup été reprochée à Mansholt, considéré comme un nouveau Malthus, et aux auteurs du rapport Meadows. Mais il importe de rappeler qu’il s’agissait à l’époque d’une idée relativement banale et partagée, notamment après la lecture de « La Bombe P » de Paul Ehrlich, ouvrage publié en 1968. Au long des années 1960, le décalage entre la production mondiale de nourriture et la croissance de la population était devenu un sujet d’inquiétude dans de nombreuses enceintes institutionnelles et académiques. Mais cela ne doit pas nous conduite à balayer d’un revers de main le reste de l’argumentation de Mansholt.
24 mai 2023, Antoine Reverchon (LE MONDE) : « On ne sait pas trop s’il faut rire ou pleurer à la lecture de cet étonnant document. Le 9 février 1972, Sicco Mansholt, vice-président de la Commission européenne chargé de l’agriculture (et à ce titre un des pères de la politique agricole commune), adressait une lettre au président de la Commission de l’époque… La boussole ne devrait plus être le produit national brut, mais l’« utilité nationale brute »… Il souhaite aussi mettre en place la compensation de la réduction de la consommation de biens matériels »
Juin 2023, biosphere : Dominique Méda balaye donc d’un revers de la main la position de Mansholt sur la démographie. Dans la recension de Reverchon, il n’y a absolument aucune trace de la position malthusienne de Mansholt. Nous sommes devenus une société où on se contente aujourd’hui de critiquer sans jamais apporter de contre-argumentation !
En savoir plus grâce à notre blog biosphere
– « Juin 2023, biosphere : Dominique Méda balaye donc d’un revers de la main la position de Mansholt sur la démographie[ etc.] Nous sommes devenus une société où on se contente aujourd’hui de critiquer sans jamais apporter de contre-argumentation ! »
Comment Biosphère peut-elle dire qu’il n’y a aucune argumentation du côté de ceux qu’elle appelle «anti-malthusiens» ? À moins bien sûr que la définition biosphérique de «argumenter» diffère de celle de tous les dictionnaires.
Malthus a été copieusement critiqué dès le début, notamment par Marx et Proudhon. Nous en avons des pages et des pages ! Et puis il est passé aux oubliettes. Pour n’en ressortir vraiment que dans les années 70. Et cette fois ce sont ses nouveaux apôtres qui ont eu droit, eux aussi, a autant (si ce n’est plus) de critiques, et de démontages en bonnes et dues formes.
Même quand c’est le grand Sicco Mansholt qui est au prêchoir, ou au tableau noir si vous préférez, cette «chouchoute des médias» (“Dernières limites en librairie, sans Malthus !”) reste imperméable à Malthus. Rien à faire, pas du tout con vaincue. Pas la moindre révélation… aucune illumination, nada !
Et alors ? En quoi son athéisme en la matière porte t-il préjudice à la crédibilité de son argumentation ? Dominique Méda balaye-t-elle, d’un revers de la main, TOUT ce que raconte Mansholt, comme le font souvent les binaires ? Pas du tout, au contraire :
– « Mais cela ne doit pas nous conduite à balayer d’un revers de main le reste de l’argumentation de Mansholt.» (Avril 2023, Dominique Méda)