Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.
Premiers contacts avec l’écologie (fin)
Fin juin 1971, je me déclare solidaire des objectifs du CSFR (Comité pour la sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin, à savoir :
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opposition par tous les moyens légaux au projet de construction, à la construction ou au fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim ;
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création d’un courant populaire en faveur de la sauvegarde de la santé publique pour la non implantation de centrales nucléaire dans la plaine du Rhin.
J’ai maintenant ma licence de sciences économiques, je commence ma vie active… en tant qu’éducateur ! Mais je continue ma réflexion écologique sans être encore écologiste. Tout autour de moi on ne jure que par la croissance, je commence vraiment à penser qu’on a été trop loin. Je lis en mars 1972 le livre de Jean Dorst « Avant que nature meure » (1965). Tout est déjà dit :
« Si l’on envisage l’histoire du globe, l’apparition de l’homme prend aux yeux des biologistes la même signification que les grands cataclysmes à l’échelle du temps géologique… A l’époque contemporaine la situation atteint un niveau de gravité inégalé… Tous les phénomènes auxquels l’homme est mêlé se déroulent à une vitesse accélérée et à un rythme qui les rend presque incontrôlables… L’homme dilapide d’un cœur léger les ressources non renouvelables, ce qui risque de provoquer la ruine de la civilisation actuelle. »
Je découvre cette vérité profonde : il est facile en théorie d’abattre la société moderne, il suffit de ne pas consommer. Vivre à la campagne, devenir végétarien et artisan, se vêtir, se nourrir, se loger par l’auto-production artisanale. Tout le reste devient inutile ville, usine, cinéma, auto, télé… Or cela apparaît impossible, parce que nous sommes coupés de la campagne, parce que les gens se nourrissent en échange de métiers inutiles, parce que les gens sont habitués au « confort »… Grothendieck s’est retiré du monde à cette époque, c’est une attitude que je comprends tout à fait. Il me faudra personnellement attendre 2011 pour que j’agisse en faveur des communautés de transition (dite aussi de résilience) pour une autonomie locale, alimentaire et énergétique.
Avril 1972, j’assiste à une conférence sur la pollution atomique. 20 000 instituteurs girondins étaient invités, il n’y en a qu’une vingtaine à peine qui s’est déplacée. Sans commentaire ! Hier je discutais avec un presque médecin. Pour guérir une angine, pas besoin de médicaments. Un peu de jeûne et 15 jours de lit suffisent. Le médecin sait cela, mais l’ouvrier qu’il soigne doit vite reprendre son travail. Alors on le dope et il est remis sur pied en deux jours !
Mai 1972, je suis visionnaire : « Le mode de satisfaction des besoins dans les pays dits développés ne peut pas être appliqué à la population du monde entier car les ressources naturelles sont trop limitées ; l’équilibre écologique devient trop difficile à maintenir puisque l’industrialisation technicienne a acquis une supériorité inaccessible à la critique. » Je cite Ivan Illich : « Davantage de marchandises peut signifier moins d’avantages… Plus grande est la vitesse à laquelle un homme se déplace aujourd’hui, plus important est le temps qu’il met pour se rendre d’un endroit à un autre… Une politique de limites supérieures donnerait à l’individu un pouvoir maximal pour déterminer quels outils sont adaptés à son existence, pour les produire et les utiliser à sa manière et pour ses propres buts, au service de sa vie et de celle des autres. »
Je crois que la pollution nous donne un délai de trente ans seulement pour abandonner notre consensus de croissance économique au profit d’un consensus « angélique », où notre entourage n’est plus fait d’objets, mais d’amour et de sentiments, d’un attachement palpable à la terre et à notre planète. Quarante ans après, nous ne sommes toujours qu’une poignée à tenir ce discours. La planète a encore l’air de tenir le coup en 2012 … Notre chute n’en sera que plus brutale.
15 Juin 1972, je découpe un entrefilet sur la conférence des Nations unies sur l’environnement qui se tient à Stockholm. La France a eu le mauvais goût de faire un essai nucléaire dans l’atmosphère à la veille de cette conférence… certains pays voudraient condamner ce genre d’exploit. La France montre qu’elle se fout complètement de ce qui se passe à Stockholm. Même jour, un article sur le nouveau cri d’alarme de Sicco Mansholt, président de la commission du Marché commun :
« La race humaine, menacée par la pollution, l’accroissement démographique et la consommation désordonnée de l’énergie, doit modifier son comportement, si elle veut tout simplement ne pas disparaître… La grande crise devrait culminer autour de l’an 2020. »
Cette déclaration se base sur l’enquête effectuée par le Massachusetts Institut of Technologie (le rapport du club de Rome sur les limites de la croissance), publié en juillet 1971, évoqué en février 1972 par une lettre de Mansholt. La planète est déjà peuplée de 3,7 milliards de personnes. Que faut-il faire ? Mansholt répond :
« Il faut réduire notre croissance purement matérielle, pour y substituer la notion d’une autre croissance, celle de la culture, du bonheur, du bien-être. C’est pourquoi j’ai proposé de substituer au PNB « l’Utilité nationale brute » ou, comme on le dit plus poétiquement en français, le Bonheur national brut. »
Même jour, un autre article où s’exprime Philippe Saint Marc : « Nous sommes dans un train qui roule à 150 km/h vers un pont coupé. Le monde court à la catastrophe écologique s’il ne procède pas rapidement à une réorientation fondamentale de la croissance économique. »
Je lis Le choc du futur de Toffler. Angoissant. « L’expérience individuelle dans le futur sera modelée et programmée par des psychotrusts, comme déjà n’importe quel bien de consommation courante est surchargé d’un pouvoir affectif par la publicité. Le jour naîtra où les consommateurs ne réussiront plus à faire une nette distinction entre le réel et le simulé… Le jour où des pans entiers de la vie seront programmés commercialement, nous nous serons fourrés dans un guêpier de problèmes psychologiques d’une complexité effarante. Jusqu’à maintenance, la santé mentale était caractérisée entre autres par l’aptitude à discerner le réel de l’irréel. Nous faudra-t-il inventer une nouvelle définition ? »
Mais Toffler, lui, n’est pas angoissé. Il considère que les drop out contestataires n’ont pas pu s’adapter au rythme du changement et que ce n’est nullement une dénonciation du système. Jacques Ellul est plus critique. Il considère que l’homme de demain sera sans doute réduit à l’état d’appareil enregistreur. Il vivra dans un Etat totalitaire dirigé par une gestapo aux gants de velours.
Un peu de science fiction , j’imagine le monde à venir dans mon petit carnet le 16 septembre 1972 :
– Trouvé à l’angle de la 78e avenue et de la 496e rue un mégot de cigarette. L’inconscient qui a laissé cette ordure est prié de se présenter au commissariat pour verser la taxe forfaitaire afférente à cet acte anti-social…
– Les vapeurs toxiques commencent à diminuer d’intensité. Les foyers peuvent dès à présent ouvrir l’électricité, mais pas plus de 3mn et 45 secondes…
– Nous apprenons que nous avons enfin pu reconstituer un spécimen d’une espèce de poisson jadis appelée sardine. Nos prévisions de repeuplement permettent d’anticiper la pêche des sardines dans environ 350 années…
– Deux fusées intergalactiques viennent de se percuter près de l’astre 91. Heureusement nous n’avons à déplorer que 37 485 victimes. Par contre les dégâts en capital sont si importants que les familles des disparus sont priées d’apportées leur contribution à sa reconstitution.
Nous sommes en 1972, je n’ai encore aucune idée de l’importance que prendra l’écologie politique. Les partis de l’époque non plus ! Faudra attendre 1974 avec René Dumont… Il est vrai qu’à l’époque mon engagement d’objecteur de conscience occupe mes pensées et mes actions. (à suivre, demain)
Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :
Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde