Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.

Modèle de testament de fin de vie

Un jour prochain sans doute, le testament de fin de vie sera la règle, une vie ne vaut que si elle est utile pour soi et pour les autres. Mon propre testament de fin de vie est ainsi rédigé par la présente : « Sain de corps et d’esprit, je déclare ce jour (4 novembre 2002) que je n’accepte pas les soins palliatifs qui ne serviraient qu’à me maintenir en vie et non à me réinsérer dans la société. Je déclare accepter par avance une euthanasie passive si la conscience morte de mon cerveau m’empêche de percevoir mon état de légume humain. J’exige le droit à euthanasie active si j’estime en toute conscience que ma vie ne vaut plus la peine d’être prolongée ».

En France, le Conseil d’État a estimé que le devoir du médecin de sauver un malade ne pouvait prévaloir sur la volonté de celui-ci : le code de déontologie médicale donne obligation de respecter la volonté de la personne. Le métier de médecin est d’adoucir les peines et les douleurs lorsque cet adoucissement peut conduire à la guérison mais aussi de procurer une mort calme et douce quand il n’y a plus d’espoir… C’est alors un geste d’amour, un acte de compassion. Mon cousin germain est bien fatigué, il est alité, il souffre de plus en plus. Cancer du colon, ganglions près de la colonne vertébrale, une opération qui a arrêté le déchaînement cellulaire à un endroit et laissé des métastases ailleurs, de la chimio qui rend très malade mais qui n’a pas soigné grand chose, l’hospitalisation après avoir utilisé à domicile des packs délivrant la morphine qui ont eu de moins en moins d’effet palliatif. Alors il se retrouve dans un lit anonyme avec la morphine à haute dose, l’occlusion intestinale ou une hémorragie, on ne sait plus trop, la fin de plus en plus proche, la douleur de soi et la douleur des autres. Est-ce cela mourir dans la dignité ? Il y a eu euthanasie passive, permise en France par la loi Leonetti. On augmente les doses de morphine et on arrête toute aide à survivre. Quelle différence avec l’euthanasie active ?

De toute façon il nous restera toujours le suicide comme expression de la volonté. Claire Quillot expliquait son suicide programmé en fin de vie comme une manière de « ramener une sorte d’optimisme ». Dès 1970, je connaissais cette déclaration de Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx : « Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles, ne paralyse mon énergie et ne brise ma volonté et ne fasse de moi qu’une charge à moi-même et aux autres. Depuis des années, je me suis promis de ne pas dépasser les 70 ans. » Il a tenu sa promesse en 1911, c’est un exemple qui mérite considération. L’anarchiste Marius Jacob, qui servit de modèle à Arsène Lupin, se suicide en 1954 (à 75 ans) : « Amis, j’ai eu une vie bien remplie d’heur et de malheurs, et je m’estime comblé par le destin. Aussi bien je vous quitte sans désespoir, le sourire aux lèvres, la paix dans le cœur. Vous êtes trop jeunes pour apprécier le plaisir qu’il y a à partir en bonne santé, en faisant la nique à toutes les infirmités qui guettent la vieillesse. J’ai vécu, je puis mourir… Vous trouverez deux litres de rosé, à votre santé. » Je ne sais pas encore si j’aurai le même courage.

La mort n’est rien. La mort n’est que la continuation de la vie par un autre chemin. Août 1972, j’avais 24 ans, j’écrivais que j’attendais le retour à la terre, l’instant suprême où mes molécules se disperseraient dans l’infini univers, et recommenceraient leurs sarabandes sans but. Une métempsycose cosmogonique. 26 décembre 2011, je rédige sur mon blog du monde.fr mon testament écolo : « Je soussigné désire un enterrement sans aucune cérémonie religieuse, sans fleurs ni couronnes ni aucune marque matérielle de condoléances. Je veux être enterré de façon à minimiser mon empreinte écologique au maximum. Pas de crémation qui utilise une énergie extracorporelle devenue trop rare. Pas de cercueil qui mobilise des ressources naturelles. Pas de vêtements car nu je suis né, nu je veux disparaître. Mon idéal est de participer sans rechigner au grand recyclage que la nature nous propose gratuitement.

Pour faciliter la chose, Paris nous offre paraît-il un modèle que je recommande : la commune fournit aux personnes décédées (sans ressources ni famille) des caissons en béton étanche équipés d’un système d’introduction de l’air afin que les espèces qui aident au recyclage de l’organisme puissent accéder au festin. L’oxygène accélère le dessèchement du corps et l’évacuation des gaz de décomposition est assurée. Il n’y a aucune pollution et le caveau peut être récupéré à l’infini : tous les cinq ans, il est à nouveau disponible. Nous ne nous appuyons pas assez sur les compétences de la biosphère qui possède depuis des temps immémoriaux un sens pratique très développé en ce qui concerne l’équilibre dynamique et le recyclage performant.

Je suis émerveillé par toutes les générations précédentes d’hominidés qui depuis des millions d’années n’ont laissé pratiquement aucune trace sur terre. Ils ont permis aux décomposeurs le soin de disperser leurs molécules pour profiter aux autres formes de vie. Je suis révolté par tous ces puissants et autres saccageurs de la nature qui font construire des pyramides et des mausolées dédiés à leur ego, des statues ou des monuments grandioses à la hauteur de leur suffisance. Ils n’ont aucun sens de l’écologie, ils n’ont pas le sens des limites, ils sont néfastes. Notre trace sur terre importe dans le souvenir que nous laissons aux vivants, pas dans l’empreinte écologique qui défigure notre planète. Je suis abasourdi de voir que les gens qui nous font vivre à l’occidentale construisent buildings immenses et autoroutes un peu partout, des territoires où la nature est absente. Je suis ulcéré par cette pub de Renault qui prétendait « laisser moins de traces sur la planète ». D’après Jean-Guillaume Péladan, « L’européen moyen émettra au cours de sa vie 752 tonnes d’équivalent CO2 de gaz à effet de serre… Nous devrions avoir peur de la trace laissée après notre mort : entre un et deux millions de fois notre propre poids, c’est plus qu’une trace ! » (Sur quelle planète vont grandir mes enfants ? – Ovadia, 2009).

Je ne suis que fragment de la Terre, nous ne valons certainement pas plus que le lombric qui fertilise le sol. Mais j’aspire aussi à un monde meilleur pour mes descendants, une société humaine en harmonie avec notre merveilleuse oasis de vie perdue dans l’immensité d’un univers apparemment sans vie. Ce n’est donc pas une planète vide d’humains que je souhaite, mais une planète où l’espèce humaine parcourt son existence d’un pas léger qui ne laisse presque aucune empreinte.

Quand j’aurais quitté le monde des humains, quand mes atomes tourbillonneront pour l’éternité dans l’espace galactique infini, alors seulement j’atteindrai la véritable plénitude. Je ne peux regretter véritablement cette espèce plus souvent homo demens qu’homo sapiens, je ne peux me sentir totalement concerné par cette agitation désordonnée de l’humanité dont les préoccupations restent le plus souvent égoïstes et de courte vue. Ethnocentrisme, anthropocentrisme, nationalisme, indépendantisme, chacun se croit le centre de la Biosphère et ne vit que pour sa personne ou son groupe d’appartenance. J’ai pourtant essayé de penser et vivre autrement, mais ma vie a été par nécessité incertaine et impotente. Tout ce que je sais de manière certaine, c’est de n’être que fragment de la Terre, minuscule élément d’une petite planète qui compte déjà beaucoup trop de mes semblables. Tout ce que je sais, c’est que les problèmes deviennent innombrables et les réponses toujours lacunaires. Tout ce que je sais, c’est que les générations futures vont être obligées de faire avec…

Une petite citation de Jean Rostand pour conclure provisoirement : « Du point de vue sidéral, la chute d’un empire ou même la ruine d’un idéal ne compte pas plus que l’effondrement d’une fourmilière sous le pied d’un passant distrait. Quand le dernier esprit du dernier de notre espèce s’éteindra, l’univers ne sentira même pas sur lui le passage d’une ombre furtive. »

D’accord ! Il n’y a ni optimisme ni pessimisme dans cette sentence, juste un constat. Mais je préfère conclure autrement, avec mon père… (la suite, demain)

Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

5 réflexions sur “Fragments de vie, fragment de Terre (suite)”

  1. L’écologie étant à la mode… incontournable, indispensable etc. il n’y a donc rien d’extraordinaire au fait que les zécolos se soucient de leurs obsèques. Pas étonnant non plus que le Business innove dans ce sens. Les zécolos n’ont donc que l’embarras du choix, sur la manière de compenser une dernière fois. Parce qu’ils le valent bien, ils pourront ainsi dormir en paix. Pour des siècles et des siècles amen. 🙂

    – « Aucune étude n’a encore été menée sur l’impact écologique des cimetières sans caveau. La décomposition des corps est certes plus rapide, mais pour l’instant il n’existe pas de preuve scientifique que les corps en décomposition en pleine terre ait un impact nul sur les sols. » (cridel.fr/fiches/enterrement-ecologique/inhumation-cimetiere-ecologique)

  2. – « Je soussigné désire un enterrement sans aucune cérémonie religieuse, sans fleurs ni couronnes ni aucune marque matérielle de condoléances. Je veux être enterré de façon à minimiser mon empreinte écologique au maximum. Pas de crémation qui utilise une énergie extracorporelle devenue trop rare. Pas de cercueil qui mobilise des ressources naturelles. [etc.]» (Testament Modèle)

    Comme un chien quoi. Et encore. Ce serait oublier que certains chiens ont droit à des obsèques et des sépultures comparables à celles de leurs maimaîtres. Probablement parce qu’il le valent bien. Certes Médor n’en a rien à foot d’avoir des funérailles nationales ou d’être enterré comme un chien. Seulement ce n’est pas lui qui commande. ( à suivre )

    1. Et il ne manquerait plus que ça que ce soit le cas ! Imaginons que tout le monde puisse faire n’importe quoi… comme là. En France et pas que là, il existe des lois.
      Je ne peux pas faire n’importe quoi. Ni n’importe comment, même avec un animal, fusse t-il ma propriété (MON chien, MA femme etc.). Je n’ai pas le droit de le maltraiter, ni de me marier avec lui, même s’il me le demande. Mon chien n’a pas le droit de conduire, ni de voter. Je peux toujours le regretter mais c’est comme ça. N’importe quoi !
      Alors si ON n’a pas le droit de faire n’importe quoi avec son animal de compagnie, il ne manquerait plus que ça qu’ON ait le droit de le faire avec son compagnon, sa compagne, ses enfants, ses voisins, bref ses semblables. Même s’il le demande, l’exige et tout ce qu’il voudra, Michel Sourrouille ne peut pas être inhumé comme un chien. Ni exposé aux vautours ou je ne sais quoi. Déjà parce qu’en France le cercueil est obligatoire.

      1. Michel C., tu écris : »En France et pas que là, il existe des lois. »
        Ma question, des lois simplement légales, ou aussi légitimes ?
        Quand l’Etat nous demande de faire n’importe quoi, faut-il suivre ?

      2. Bien évidemment certaines lois doivent être combattues. Je pense notamment à celles allant à l’encontre du «principe de fraternité» («délit de solidarité»). J’espère avoir répondu à votre question. Pour en revenir au sujet du jour, et donc à votre testament (modèle), je rappelais seulement que l’inhumation sans cercueil est interdite par la loi française. ( Peut-on être enterré sans cercueil ? – lassurance-obseques.fr )
        Bien que je n’ai pas rédigé de testament, mes proches savent ce que je souhaite. L’incinération. Et ils savent aussi ce que ne souhaite pas. Pas de cercueil avec des poignées en or, ni d’obsèques nationales ! Pour ce qui est de m’amener à l’église, je les laisse décider. Quoi qu’il en soit, personnellement je ne souhaite pas être enterré comme un chien. Tout simplement parce que je sais ce que représente ce moment pour les proches, et pour la société. Et sur ce genre de choses, je souhaite que ça perdure.

Les commentaires sont fermés.