Plus tu veux aller vite, plus tu vas lentement

Les évaluations socio-économiques actuelles des projets continuent d’accorder une valeur monétaire considérable à l’utilité de la vitesse trop souvent au détriment de leurs effets sur l’environnement. Dans le dernier rapport de 2018 sur l’abaissement des vitesses maximales autorisées à 110 kilomètres à l’heure sur autoroute, les temps perdus représentaient un coût de 1,145 milliard d’euros pour la collectivité. La « valeur du temps » présente dans ces évaluations dévoilerait ce que les individus sont prêts à céder de leur salaire pour gagner du temps. Dans le cas de l’abaissement à 110 km/h, elle montrait de quelle somme il faudrait les dédommager pour qu’ils acceptent de perdre du temps. Les gains environnementaux – moins de carburant, de pollution et de CO2 – ne sont évalués qu’à hauteur de 474 millions d’euros. La balance pour l’économie néo-classique penche donc nettement du côté du maintien de la limite de 130 km/h.

Du grand n’importe quoi !

Emmanuel Munch : Grâce à la vitesse, nous déménageons plus loin de notre lieu de travail, allons faire des courses plus loin, partons plus loin en vacances. En conséquence, la durée quotidienne de déplacement est restée stable au cours du temps, de l’ordre d’une heure par jour.I l y a 200 ans, les Français parcouraient entre 4 et 5 kilomètres par jour à la vitesse de 4 à 5 km/h. La multiplication des distances par 10 (44 kilomètres par jour et par personne en moyenne) a été rendue possible par une augmentation des vitesses à peu près équivalente, de l’ordre de 42 km/h. Là où le bât blesse avec les « sciences » économiques, c’est lorsqu’on passe de l’utilité individuelle à l’utilité collective. Si tout le monde se déplace davantage, les réseaux de transport rapide, victimes de leurs succès, en viennent à être saturés. Il faut créer de nouvelles infrastructures. A terme, avec un tel cercle vicieux, les individus perdent littéralement du temps à cause du développement de la vitesse, et donc de la distance.

Cela conduit les populations, non plus vers la simple satisfaction de leur besoin, mais vers une dépendance définitive à l’automobile, à la vitesse et à la distance. Dans nos sociétés surindustrialisées, la survitesse revient à remplir un immense tonneau des Danaïdes. On ne peut plus valoriser les transports en s’appuyant sur des théories économiques héritées des « trente glorieuses ».

Le point de vue des écologistes

C’est exactement ce que démontrait Ivan Illich (1926-2002) dès les années 1970 (« La convivialité », 1973). Il calculait qu’en mettant en regard le temps qu’il faut pour payer le véhicule et tout ce qu’il y a autour, et la distance parcourue avec ce véhicule, on retrouve la vitesse du piéton, 5 km/h. Illich considérait que c’est le vélo (outil convivial, dont on comprend le fonctionnement, qu’on entretient soi-même, et qui ne coûte pas cher) qui avait amélioré l’équation. Mais le « monopole radical » de l’outil moderne (tout est désormais conçu pour l’homme motorisé, on ne peut plus vivre sans voiture, et la voiture a évincé le piéton et le cycliste) a créé la malédiction.

La Chine avait failli atteindre la société conviviale (au moins pour les transports) dans les années 2000, avec le vélo pour tous, le train et l’autobus, et le tricycle motorisé poids lourd pour l’utilitaire. Elle est désormais au-delà, les Chinois rêvent de voiture électrique.

Les propos intelligents d’Illich ou de Munch se heurtent en effet à la nature court-termiste du désir humain. Or le marché est le lieu le plus simple et le plus facile pour trouver un assouvissement rapide à nos besoins. Le supplément de vitesse comble ce désir d’accéder à une offre plus grande et variée d’objets ou services. Il est plus facile d’avoir un jet d’endorphines dans le cerveau en achetant une paire de Nike dans un centre commercial ou une semaine de vacances quelque part au loin que d’essayer de nouer une relation avec ses voisins autour de chez soi. Entre la réponse immédiate par le marché et la difficile recherche du bonheur, le souci écologique ne fait hélas pas le poids .

En clair, gagner du temps pour en faire quoi ? Pour aller dans une salle de sport, puis faire le coach potatoes devant Netflix ? On peut se déplacer à pied ou à vélo sans assistance dans une petite ville où on trouve tout dans la rue principale, la mairie, l’école, la poste, le cabinet médical, le commerce. Par exemple la ville de Monrmoreau, dans une commune de 2 500 habitants.

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Bientôt des bouchons de voitures propres

extraits : Sans régulation, l’usage de la voiture augmentera, avec bientôt des bouchons de voitures propres… Plus vite, plus loin, plus souvent et moins cher  » était un slogan,sans avenir il sera remplacé par : « Moins vite, moins loin, moins souvent, et beaucoup plus cher ». Cette évolution est inéluctable, raréfaction des ressources pétrolières et réchauffement climatique l’exigent. Le tout-voiture a été une erreur fondamentale et remplacer les moteurs thermiques par des moteurs électriques ne change rien à l’affaire. Nous n’avons pas écouté Ivan Illich au début des années 1970, pourtant son analyse dite de la « vitesse généralisée » était imparable …

Ivan ILLICH, une personnalité qui a laissé sa trace

extraits : Si la voiture doit prévaloir, il reste une seule solution : supprimer les villes, c’est-à-dire les étaler sur des centaines de kilomètres, le long de banlieues autoroutières. C’est ce qu’on a fait aux Etats-Unis. Ivan Illich (in Energie et équité) en résume le résultat :

« L’américain type consacre plus de 1500 heures par an à sa voiture : cela comprend les heures qu’il passe derrière le volant, en marche ou à l’arrêt ; les heures de travail nécessaires pour la payer et pour payer l’essence, les pneus, les péages, l’assurance, les contraventions et impôts. Bilan : les gens travaillent une bonne partie de la journée pour payer les déplacements nécessaires pour se rendre au travail. La voiture en fin de compte fait perdre plus de temps qu’elle n’en économise. Comme cet Américain fait 10 000 kilomètres dans l’année, il fait donc du 6 km par heure. Dans les pays privés d’industrie des transports, les gens se déplacent exactement à cette même vitesse en allant à pied, avec l’avantage supplémentaire qu’ils peuvent aller n’importe où et pas seulement le long des routes asphaltées. »…

6 réflexions sur “Plus tu veux aller vite, plus tu vas lentement”

  1. Esprit critique

    Munch et Biosphère soulignent que la vitesse permet seulement d’accéder (parcourir, consommer) plus de distance, et donc d’espace. Et en même temps d’accéder à plus d’objets ou services. C’est là qu’entrent en jeu les besoins. À ne pas confondre avec les désirs, ni les prétendus «besoins». Ne perdons pas de vue la pyramide de Maslow, ni le fait que beaucoup d’humains savent très bien se satisfaire de peu d’objets, comme de peu de déplacements et d’espace. Les Amish… Ou ces gens qui n’ont pas de voiture, ne prennent jamais l’avion, et qui parfois ne voyagent que pour survivre. Pas par plaisir.
    Je suis étonné qu’ON ne soit pas encore venu soutenir que si nous étions moins nombreux… alors les réseaux de transport rapide, victimes de leurs succès, ne seraient pas saturés etc.
    Et alors plus besoin de remplir l’immense tonneau des Danaïdes (sic Munch).
    Même qu’ON pourrait rouler à 250 sur l’autoroute. 🙂

  2. Le mouvement, c’est la vie, l’immobilisme, c’est la mort.
    Comme toujours, la sauce CO2 permet aux écolos de justifier tout ce qui ne leur plaît pas.
    Je rappelle que le CO2 n’augmente pas, 0,01% en 100 ans car il est dissout dans l’eau de pluie et l’eau de mer où il est transformé en calcite solide.
    H2O + CO2 -> H2CO3
    et H2CO3 + H2O -> H3O+ + HCO3−
    Ca2+ + 2 HCO3- -> CaCO3 + H2CO3 (H2CO3 -> HCO3− etc)
    Pourquoi réduire la vitesse à 110 km/h sinon pour contraindre les esprits. L’idée ultime étant de se déplacer à 0 km/h!
    Et dans cela les écolos se rejoignent avec Macrelle qui veut des sédentaires allant travailler gentiment sans faire de vagues.
    Les écolos servent bien la soupe à Macrelle jusqu’au jour où il les jettera comme un klinex.

    1. Esprit critique

      Si l’immobilisme c’est la mort… alors le bougisme c’est quoi ? Pas besoin de nous ressortir les théories complotistes, le CO2 et le Réchauffement pures inventions et patati et patata, le sujet du jour porte sur notre rapport au TEMPS (Le temps c’est de l’argent et autres conneries du genre). Sujet qui, de mon point de vue, mérite bien plus que des commentaires sur cette réduction de la vitesse à 110.
      Mon dieu tout ce temps qu’ON va «perdre» en allant moins vite. Et ça à cause de ces cons d’écolos qui servent la soupe à Macrelle. N’importe quoi !
      Combien de fois sur l’autoroute où j’ai dépassé un de ces escargots, qui roulent à 90, et encore le vent dans le dos. Et de m’arrêter quelques temps après, pour pisser…
      Et là l’escargot qui passe… pépère… et qui me fait TUT-TUT !
      Mon dieu tout ce temps perdu ! Tout ça à cause de la bière. 🙂

      Plus sérieusement, c’est qui les cons dans cette course à la con ?

  3. – « […] les temps perdus représentaient un coût de 1,145 milliard d’euros pour la collectivité.
    La « valeur du temps » présente dans ces évaluations dévoilerait ce que les individus sont prêts à céder de leur salaire pour gagner du temps. […] Du grand n’importe quoi ! »

    Ce n’est pas moi qui le dit ! Et j’en suis content. Je le redisais encore il n’y a pas longtemps, aujourd’hui tout et n’importe quoi se doit d’être chiffré en Pognon. C’est ainsi qu’ON met un prix sur une vie humaine. Ce qui est logique à partir du moment où ON accepte le fumeux postulat «Le temps c’est de l’argent». Si une heure vaut tant d’euros, alors logiquement une journée, une année, une vie valent tant de milliers, millions ou milliards d’euros. Selon qu’ON soit riche ou misérable. C’est ainsi que le temps (la vie) d’un seigneur vaut X fois plus que celui (celle) d’un gueux. Du grand n’importe quoi peut-être… en attendant c’est comme ça.

    1. L’article parle du temps des déplacements. Seulement c’est pour tout, et n’importe quoi, qu’ON veut en gagner, du temps. Du moins ne pas en perdre. Dans les transports par exemple. Illich a montré le temps passé à bosser POUR se déplacer, en Bagnole. Imaginons que nous passions 24 heures par jour à nous déplacer, en Bagnole, à vélo peu importe…
      Aussi étonnant que ça puisse paraître de ce côté là ON a su faire preuve de modération, voire de sagesse. Ce temps est donc resté stable : 1 heure par jour. Autrefois pour parcourir 5 km, aujourd’hui 50, demain 500 qui sait…
      Le reste de la journée se décomposant comme ON sait : 8 heures à bosser, 7 à dormir, 2 à manger, ce qui nous fait déjà 18 heures. Ce qui nous laisse donc 6 heures pour FAIRE du sport, les courses, la bouffe, le lit, la fête, l’amour, la guerre, les cons, les comptes etc. etc.
      ( à suivre )

      1. ( et fin ) Seulement comme ON n’en a jamais assez pour FAIRE tout ça, alors il nous faut bien gratter toujours plus d’un côté ou de l’autre. En fait partout et en même temps.
        C’est ainsi qu’ON mange en bossant, et/ou qu’ON bosse en se déplaçant. Qu’ON se déplace en Bagnole pour aller à la salle de sport pour pédaler sur un vélo immobile. ON peut aussi faire du sport, l’amour, le con etc. en bossant, ou en se déplaçant, bref tout et n’importe quoi et en même temps. En tous cas c’est comme ça qu’ON gagne du temps pour le reste.
        Moralité : Perdre ou gagner du temps = Du grand n’importe quoi !

        POURQUOI du grand n’importe quoi ? Tout connement PARCE QUE personne ne sait combien il lui en reste au Compteur, du temps. Si ça se trouve beaucoup moins qu’ON le pense.
        Moralité : Le temps il faut juste savoir le prendre.
        Et la pression ne pas se la mettre, surtout pas se la faire mettre, mais juste la boire. 🙂

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