Madeleine Pelletier, féministe ET malthusienne

« Évidemment je suis née ­plusieurs siècles trop tôt », écrivait-elle dans son journal tenu durant les premières semaines de la Grande Guerre. Aujourd’hui en 2024, on publie ses Mémoires d’une féministe intégrale, recueil des textes autobiographiques de Madeleine Pelletier. Les extraits qui nous sont parvenus font à peine 70 pages, mais ce bref ensemble est d’une époustouflante richesse  :

« Je n’aime pas les femmes telles qu’elles sont, pas plus que je n’aime le peuple tel qu’il est. Les mentalités d’esclave me révoltent… L’idéal est une illusion, mais sans cette illusion la vie ne vaut pas la peine.  »

Son histoire, ses engagements

Excellente élève, Madeleine Pelletier (1874-1939) a dû, comme tous les enfants du peuple, quitter l’école à 12 ans, ; mais elle fréquente assidûment la bibliothèque paroissiale, lisant avec avidité tous les ouvrages à sa disposition. Matérialiste, elle subodore un lien étroit entre la pensée individuelle et la société. Les interactions sociales forment la psychologie des individus qui en retour font évoluer la société. Avec une dizaine de femmes libertaires, elle fonde en janvier 1890 le groupe la Femme libre, où elle fait ses premières armes à l’oral comme à l’écrit.

En juillet 1897, à l’âge de 23 ans, elle est reçue au baccalauréat. Elle s’inscrit en 1898 à la faculté de médecine. Sur 4 500 étudiants, on ne compte que 129 femmes, étrangères pour la plupart, qui subissent sarcasmes et brimades de la part des carabins. En 1902, elle soutient une thèse remarquée sur « l’association des idées dans la débilité mentale ». Mais elle se voit refuser l’accès au concours de l’internat des asiles au prétexte qu’étant femme, elle ne jouit pas de ses droits civiques et politiques, condition requise pour l’inscription. Cependant, l’affaire fait grand bruit, les politiques s’en mêlent, et Madeleine Pelletier obtient l’autorisation de passer le concours l’année suivante. Elle devient médecin des postes – seule administration recrutant des doctoresses –, tout en ouvrant un cabinet privé dans un quartier pauvre de Paris.

En 1907, elle fonde la revue La Suffragiste et écrit La Femme en lutte pour ses droits. Son constat : pour que les femmes s’engagent un jour dans des activités politiques radicales, il faut qu’elles n’aient pas été privées a priori du droit de vote. Elle met en pratique ses idées en brisant les vitres d’un bureau de vote. En 1908, elle représente « La solidarité des femmes » aux manifestations des féministes anglaises à Hyde Park pour le suffrage des femmes. Elle est impressionnée par le nombre de manifestantes et leur détermination qui va jusqu’à la violence, ce qui lui fait regretter d’autant plus la prudence des féministes françaises. Féministe et malthusienne, elle publie en 1911 L’éducation féministe des filles ; Le Droit à l’avortement.

« La femme enceinte n’est pas deux personnes, elle n’en est qu’une, et elle a le droit de se faire avorter, comme elle a le droits de se couper les cheveux. Sur notre corps, notre droit est absolu, puisqu’il peut aller jusqu’au suicide. » Elle estime que « la force du féminisme est dans l’élite intellectuelle de la nation : un groupe d’hommes et de femmes qui, instruits, cultivés, au courant de toutes les questions qui agitent le monde, ont su se libérer des préjugés séculaires »

C’est une activiste qui va bien au-delà des mentalités de son époque. Son militantisme féministe et malthusien lui vaudra de sérieuses inimitiés. Pour une égalité complète entre les deux sexes, elle prône le service militaire pour les femmes. Mais en 1914, elle se rend sur le champ de bataille de la Marne et en revient encore plus antimilitariste, découragée par « la bêtise de l’être humain ».

Au sein de la franc-maçonnerie comme à la SFIO, elle a cherché à faire avancer la cause des femmes. Elle découvre le néo-malthusianisme. Madeleine Pelletier fait partie des féministes les plus combattantes et, au regard de la majorité des féministes françaises qu’elle côtoie, une des plus jusqu’au-boutistes. La manière dont elle s’habille montre ses idées : chapeau melon et cheveux courts, elle s’habille comme un homme sans demander auprès de la préfecture de police la permission de travestissement nécessaire. Sa conviction : une véritable liberté pour les femmes devait dépasser le suffrage et comporter le contrôle sur sa propre fertilité. Elle voit dans la maternité la cause de l’infériorité de la femme. La limitation des naissances est un moyen pour les prolétaires de ne plus vivre dans la misère et de permettre à leurs enfants de recevoir une meilleure éducation. Ses idées sur l’avortement et la disparition souhaitable de l’institution familiale heurtent les membres de la SFIO et isolent Madeleine Pelletier dans le parti.

Son activisme est brisé en 1937 lorsqu’un accident vasculaire cérébral la rend hémiplégique. Elle est accusée en avril 1939 d’avoir avorté une jeune fille de 13 ans enceinte de son frère. Déclarée irresponsable par le psychiatre chargé de l’examiner, elle est aussitôt internée avant même la tenue du procès. « Voilà comment en France on traite les femmes qui se distinguent du point de vue intellectuel. Arria Ly s’est suicidée et moi je suis dans un asile d’aliénés ».

NB : Arria Ly est le pseudonyme de Joséphine Gondon (1881-1934). Représentante de l’aile radicale du mouvement féministe français, elle prônait, comme sa consœur Madeleine Pelletier, une virginité militante.

pour en savoir plus,

https://www.humanite.fr/histoire/feminisme/la-doctoresse-madeleine-pelletier-feministe-et-revolutionnaire

1 réflexion sur “Madeleine Pelletier, féministe ET malthusienne”

  1. Anarchiste, communiste, socialiste, révolutionnaire, antimilitariste, antifasciste, féministe, et même «féministe intégrale», extrémiste, subversive… franc-maçon et j’en passe.
    Médecin diplômée en psychiatrie et finalement internée en hôpital psychiatrique.
    Madeleine Pelletier était tout ça et en même temps.
    Une femme atypique et remarquable certes, mais finalement une femme comme tant d’autres. Et d’hommes aussi. Qui aura eu une vie compliquée. Une vie faite de hasards, à commencer par celui de sa naissance. (Pourquoi ici et pas ailleurs, pourquoi comme ci et pas comme ça ?)
    – « Son enfance est malheureuse et il semble que ses opinions politiques et philosophiques se soient construites en opposition avec celles de sa mère »
    ( Wikipedia : Madeleine Pelletier – Jeunesse )

    Pour en savoir plus : Madeleine Pelletier, une « féministe intégrale » (persee.fr)

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