Pour l’éditorial du journal Lemonde du 18-19 novembre 2007, tout parait simple : « Informer sur les faits ne pose que des problèmes techniques : il faut confronter les sources , vérifier les chiffres, fournir les indications les plus récentes et les plus complètes possible. En revanche, donner à tous ceux qui sont concernés des possibilités égales d’exposer leurs arguments est délicat. » Mais les faits par eux-mêmes relèvent déjà d’un parti pris conscient ou inconscient qui structure l’opinion du lecteur. Prenons un exemple tiré du même numéro, l’Opep refuse d’être tenue responsable de la flambée du baril. Bien sût les faits sont incontestables, les chefs d’Etat de l’Opep se réunissent à Riyad pour le troisième sommet depuis la création du cartel pétrolier à Bagdad en 1960. Mais le choix des citations impose une vision des choses, un article de journaliste est toujours un commentaire personnel.
Selon le ministre algérien du pétrole, « Il y a assez de pétrole sur le marché, d’autant qu’on assiste à un fléchissement de la demande ». Cette assertion est reprise plus loin, « A quoi sert de pomper plus si personne n’est là pour acheter ». Equilibre entre l’offre et la demande, il n’y aurait donc pour les producteurs aucune raison que le baril dépasse la barre symbolique de 100 dollars, si ce n’est la spéculation ou l’affaiblissement du dollar ! Cette vision à court terme est inféodée au jeu « libre » du marché, elle ne tient aucunement compte de l’épuisement des ressources fossiles et du prochain pic pétrolier, autant dire que le lecteur ne peut avoir clairement en vue toute la problématique conjoncturel/structurel ! Demain il est vrai nous serons tous morts, mais autant mourir en toute connaissance des choses…
Pour le journaliste, il s’agit d’une réunion hautement politique dont l’ordre du jour reprend aussi bien la défense des intérêts producteurs que l’aide aux pays pauvres. Mais de son côté le secrétaire général de l’Opep rappelle à ceux qui, comme Hugo Chavez, veulent en faire une arme à visée géopolitique que l’Opep est une organisation non politique… Alors que, selon le journaliste lui-même, la naissance du cartel fut certes politique, mais n’a pas été conçu comme une arme contre l’Occident. Alors, politique ou pas politique, comment s’y reconnaître ? Il faut découvrir par une lecture attentive dans l’article que l’Arabie Saoudite, maître des variations de l’offre, est inféodé aux intérêts occidentaux, et principalement ceux des Etats-Unis. Pauvre de nous, comme le lecteur moyen peut-il s’y reconnaître ?
De plus, un article particulier se lit toujours dans un contexte général. Sur la page de droite du journal Lemonde, toujours à la rubrique « Economie&Entreprises », un panégyrique sur l’industrie automobile qui rivalise d’annonces environnementales à Shanghai, voitures, scooters et vélos électriques, pile à combustible, la prochaine Logan de Renault très propre à 97 grammes de CO2 par kilomètre. Et juste en dessous, un autre article sur la fabrication d’un 4×4 en Corée du Sud par la même ex régie-Renault, on ne nous donne pas de chiffres sur l’émission de CO2 ! Ce n’est pas avec une telle avalanche d’informations contradictoires que le lecteur peut se rendre compte que le règne de la bagnole est bientôt terminé ; bientôt nous manquerons de pétrole et l’énergie de substitution performante n’a pas encore été trouvée !
Ajoutons pour clore ce chapitre sur les contradictions humaines que, six pages plus loin dans Lemonde, nos futurs (rubrique Futurs) s’annoncent radieux : l’énergie solaire produite dans le désert africain pourra (« pourrait » dans le texte) satisfaire 25 % des besoins européens en 2050. Nous savons tous que Lemonde n’est pas un journal écolo, mais on comprend aussi pourquoi les comportements vers un mode de vie plus sobre ne pourra se faire que dans la douleur : notre conscience des faits n’est pas du tout préparée à des futurs qui déchantent…