« L’observateur ne peut manquer d’être angoissé par le contraste entre l’insouciance de l’homme et la gravité des épreuves qui le guette. Comme le gouvernement crie au feu d’une voix rassurante et qu’on n’aperçoit pas d’incendie, personne n’y croit. Jusqu’au jour où la baraque flambera. Cette situation me paraît beaucoup plus inquiétante encore que celle des Français en 1938. Ceux qui acceptaient de regarder les choses en face apercevaient au-delà des frontières la lueur des torches illuminant les manifestations wagnériennes, ils entendaient les bruits de bottes rythmant les hurlements hystériques du Führer. Tous les autres refusaient de voir et d’entendre. On se souvient de notre réveil en 1940 ! »
Ce texte a été écrit en 1979 par J.A. GREGOIRE*. Sur ce blog biosphere, nous crions au feu depuis 2005… comme Cassandre et Grégoire. Sans davantage de succès ! Les résistances sont fortes. Le dernier rapport de l’Agence européenne de l’environnement (AEE) en témoigne. Intitulé Signaux précoces et leçons tardives : science, précaution, innovation, il pointe tout au long de ses quelque 700 pages, les failles béantes du système de régulation sanitaire et environnementale en vigueur, en Europe comme ailleurs**. Cela fait presque deux ans que le rapport était achevé, il restait dans les tiroirs, il ressort et ça continuera comme avant…. personne ne se souvient du précédent rapport publié en 2001, Signaux précoces et leçons tardives, (Late Lessons from Early Warnings) ! Plus on parle du principe de précaution, moins on l’applique, il y a quelque chose de profondément mauvais dans la manière dont nous vivons aujourd’hui. Il y a tout autour de nous des maladies destructrices causées par les inégalités d’accès à une eau propre, à la santé ou à un environnement sain. L’inertie très intéressée des industriels se conjugue avec des politiques obsédés par le court terme, la croissance et l’emploi au détriment de tout le reste. Les scientifiques ont minimisé les risques, souvent sous la pression de groupes d’intérêts. Le système juridique est fait de telle manière (l’affaire de l’amiante, du plomb dans l’essence, des insecticides systémiques…) que les responsables ne risquent jamais rien. Ils peuvent donc engranger des profits à court terme sans se soucier des problèmes que leur inconscience bien rémunérée peut causer sur le long terme.
* Vivre sans pétrole de J.A. GREGOIRE (Flammarion, 1979)
** LE MONDE du 24 janvier 2013, Bisphénol A, pesticides… l’Europe admet les failles de sa sécurité sanitaire
NB : nous recommandons la lecture de notre article d’il y a un an,
Dix leçons du passé, insouciance criminelle
1. Le plomb dans l’essence.
2. Le perchloroéthylène dans les canalisations du réseau d’eau.
3. Le méthyl-mercure déversé dans la baie de Minamata (Japon) dans les années 1950.
4. L’exposition des travailleurs du nucléaire militaire américain au béryllium.
5. La manipulation de la science par l’industrie du tabac.
6. L’exposition professionnelle au chlorure de vinyle.
7. Les effets du DBCP sur la fertilité humaine.
8. Le scandale du bisphénol A.
9. La saga du DDT.
10. L’éthinylestradiol (contraceptif oral) dans les eaux usées.
Recommandations principales du rapport
• la science devrait prendre en compte la complexité des systèmes environnementaux et biologiques, surtout lorsque de multiples causes peuvent être à l’origine de nombreux effets différents. Il est de plus en plus difficile d’isoler un seul agent et de prouver sa dangerosité au-delà de tout doute possible. Une approche plus holistique, englobant de nombreuses disciplines différentes permettrait également d’améliorer la compréhension et la prévention des dangers potentiels.
• les décideurs politiques devraient réagir aux signaux avant-coureurs plus rapidement, en particulier dans le cas des technologies émergentes utilisées à grande échelles. Il propose que ceux étant à l’origine de futurs préjudices payent pour les dommages causés.
• de nouvelles formes de gouvernance impliquant les citoyens dans les choix effectués en matière d’innovation et d’analyses des risques pourraient également être bénéfiques. Cela aiderait à réduire les expositions aux risques et encouragerait des innovations ayant des avantages sociétaux plus importants. Une plus grande interaction entre les entreprises, les gouvernements et les citoyens pourraient favoriser des innovations plus solides et variées avec un coût moindre pour la santé et l’environnement.